En dépit du séisme provoqué par le premier tour de l’élection présidentielle du 15 septembre dernier qui a balayé dans son sillage toute la classe politique et les partis traditionnels, ce scrutin a prouvé quand même la solidité du jeune processus démocratique en Tunisie et surtout l’enracinement d’une nouvelle culture. Celle de l’alternance pacifique du pouvoir et de l’acceptation de tous ceux qui se sont engagés dans la compétition électorale, le verdict des urnes et la volonté exprimée par les Tunisiens.
Quand on voit les partis politiques, notamment les grands perdants de cette élection hors-normes, reconnaître publiquement leur défaite, l’imputer à leur manquement à leurs devoirs, plutôt qu’à toute autre chose, n’oubliant pas au passage d’adresser leurs félicitations aux parties qui ont gagné la confiance du peuple, on ne peut que s’en féliciter.
Le caractère transparent et libre des élections est un acquis indéniable, nonobstant l’existence d’un fort taux d’abstentionnisme et les craintes soulevées par la montée en puissance de courants populistes dont le discours, l’aventurisme dont ils font montre et le programme qu’ils présentent suscitent des inquiétudes sérieuses. Ce n’est pas tant la rupture qui dérange, ce sont plutôt les idées qu’ils essayent de promouvoir. Des idées qui peuvent être nuisibles pour le système démocratique lui-même, dans la mesure où dans cette guerre pour l’occupation des avant-postes de l’Etat, chacun use de moyens parfois inavoués et suspects pour induire en erreur un électorat désabusé en lui présentant en guise d’alternatives, de fausses pistes et de mauvais remèdes.
Si cette poussée populiste arrive à se confirmer au cours des prochaines Législatives, elle mettra le pays devant un grand dilemme, finira par accentuer le doute et la peur aussi bien chez la communauté des affaires que chez nos partenaires et exacerbera inévitablement les difficultés du pays et les tensions de toutes sortes. Si les électeurs ont, lors de la Présidentielle, sanctionné une classe politique qui a bercé les Tunisiens de faux espoirs et qui s’est illustrée par son incompétence, les nouveaux arrivants, qui manquent terriblement d’expérience, risquent par le caractère dogmatique de leurs déclarations fantaisistes, de tuer tout espoir. Il y a plusieurs raisons à cela. D’abord, le pays passera d’une bipolarité bloquante, à un système fragmenté et asphyxiant.
Il sera quasiment impossible pour un parti d’avoir une majorité confortable pour gouverner et mener des réformes, aussi essentielles soient-elles. Le jeu des alliances se fera encore sentir cette fois-ci entre une multitude de partis et de courants que rien n’unit et qui se verront obligés de gérer les affaires du pays dans une sorte de cohabitation détonante.
Un tel scénario, qui n’est plus à écarter, sera une source de fragilité pour l’action gouvernementale et d’instabilité politique pour un pays qui a vécu huit années difficiles où l’activité a été bloquée, les réformes freinées et les tensions sociales exacerbées.
La montée de la vague populiste inquiète, soulève des appréhensions, non parce qu’elle a permis de balayer une classe politique inapte, mais parce qu’elle contient les germes de choix aventuristes, hasardeux et de conservatisme incompatible avec la réalité du pays. Un populisme qui véhicule de faux espoirs, de faux messages et surtout de faux arguments.
Hormis la promesse d’extirper la pauvreté à la racine qu’avancent certains, d’autres nous promettent une refonte du système politique, voire même la restitution du pouvoir au peuple. Certaines déclarations et promesses qui ont soulevé des vagues chez un électorat qui a perdu ses illusions, proposent tout bonnement de remettre en question nos relations avec nos partenaires traditionnels. Est-il possible de changer, par un coup de tête, de partenaires historiques et se tourner vers l’Afrique ou le Golfe, en nous faisant croire par des slogans creux, que cette entreprise est possible, voire même aisée ?
Certes, le pays a besoin d’hommes capables de conduire le changement et de faire bouger les lignes. Le plus grave est de vendre de faux espoirs ou rêves. Le retour de manivelle sera violent. Peut-on nous faire croire encore que la Tunisie baigne sous le pétrole ou prétendre que son sous-sol regorge de richesses inépuisables qui pourraient garantir le bien-être à tous les Tunisiens ?
Il est admis que les promesses électorales n’engagent que ceux qui y croient, mais ce qui est inadmissible, c’est de bercer les électeurs de faux espoirs en invoquant de faux problèmes et en proposant en guise de réponses, des mirages.