Le discours et la pratique

 

Peut-on être à la fois démocrate et défenseur des valeurs républicaines et magnifier la défiance de l’Etat, le non-respect du droit et de la loi ? Il semble, qu’à travers l’évolution quelque peu désordonnée   de la vie politique dans notre pays, certains acteurs politiques et activistes de la société civile ont été gagnés par une sorte de schizophrénie. Le paradoxe réside dans la duplicité de leurs discours. En théorie, ils défendent à cor et à cri les valeurs républicaines, l’Etat de droit, se montrent résolument progressistes, réclament une application rigoureuse de la loi et une lutte sans merci contre la corruption et toutes formes d’abus.
Dans la pratique, et quand il s’agit de tirer avantage d’une situation politique donnée, certains acteurs perdent leurs repères et se montrent prêts à fouler du pied toutes les valeurs dont ils se réclament et ne reculent pas à trouver des justificatifs pour édulcorer des abus , saluer, un hold up et des pratiques qui constituent une menace grave aux fondements de l’Etat, en l’assimilant à la «réalisation d’un rêve révolutionnaire », d’une réussite de l’entrepreneuriat social.
L’affaiblissement de l’Etat depuis 2011, malgré toutes les tentatives répétées et annoncées, sans succès, pour restaurer son prestige, se trouvent confrontées de plus en plus au laxisme de la classe politique, à l’ambiguïté de son discours et aux graves contradictions qui entachent ses pratiques sur le terrain. Il faut dire que la duplicité du discours et de la pratique ne concerne pas uniquement les partis de l’opposition, mais aussi les partis qui font, depuis 2014, partie intégrante de la coalition au pouvoir. Si l’opinion publique a fini par se lasser des réactions qui frisent l’hystérie de partis comme le CPR, le mouvement démocratique, « harak, al irada », de Moncef Marzouki et dans une moindre mesure le Front populaire de Hamma Hammami, les récentes déclarations de certains dirigeants d’Ennahdha, montrent que leur appartenance à un gouvernement d’union nationale obéit à une géométrie variable et également leur fidélité aux valeurs républicaines et du droit.
Le grand brouhaha provoqué par la vente aux enchères,   la semaine dernière, des dattes de l’oasis de la ville de Jemna par une association qui s’est emparée illégalement depuis 2011 de ce domaine a mis à nu les grandes contradictions qui continuent à déchirer une partie de la classe politique tunisienne, toujours prête à porter l’habit du populisme et de la démagogie, pourvu que cela lui permet de renforcer ses rangs et de gagner des positions.
Le déficit d’Etat s’est matérialisé dans cette affaire- tout comme c’était le cas à Kerkennah ou dans le bassin minier de Gafsa —dans l’impuissance chronique des pouvoirs publics   à arrêter les dégâts et à faire preuve d’intransigeance   quand il s’agit d’imposer la loi et le droit. En attendant que le gouvernement Chahed honore l’un des premiers engagements qu’il a pris, l’on ne peut que se demander de la nature du profit que pourrait récolter une classe politique laxiste et sur le bord des principes ?
Dans cette affaire, c’est la Tunisie qui sort grand perdante et c’est son expérience démocratique, qui se fonde sur les valeurs du droit et de la loi, qui se trouve bafouée par ceux-là mêmes qui sont censés être aux premiers rangs dans la défense de ce contrat social.

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Au fur et à mesure que la date du congrès de la Centrale syndicale s’approche, aucun répit ne peut être espéré entre le gouvernement et l’UGTT sur le front social. Même si la Centrale a accepté le jeu qui a abouti à la formation d’un gouvernement d’union nationale qui a ouvert la voie à deux de ses anciens cadres de s’approprier deux ministères clefs, elle maintient une attitude inflexible au sujet de tous les dossiers, et en particulier l’augmentation salariale, à un moment où le pays vit une grave crise dans ses finances publiques.
En refusant la proposition du gouvernement, l’UGTT faute d’arguments, a cherché des arguties. Une échappatoire qui lui permet tout le temps de maintenir la pression et de remuer le couteau là où il fait plus mal.   Ne regardant pas la réalité d’en face, elle privilégie un discours décalé, qui entretient la tension, le flou et le ressentiment.Faut-il détruire les entreprises, déposséder les hommes d’affaires de leurs biens et de leur richesse pour satisfaire les caprices de l’UGTT dont l’action revendicatrice est à l’origine des difficultés économiques et de la baisse la compétitivité des entreprises obligées à rétribuer   le déficit de productivité, le laisser-aller, l’absentéisme et les grèves sauvages?

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Les dernières propositions présentées par les avocats en matière d’accomplissement de leur devoir fiscal, donnent le tournis. Leur trouvaille, va à l’antipode d’une fiscalité équitable et transparente, privilégiant le sur mesure et l’acquis.
Pour échapper, à nouveau, aux contraintes de la loi, le conseil de l’Ordre des avocats met sur la table sa propre réforme, celle qui arrange le mieux cette corporation et   lui offre la possibilité d’épargner les avocats des affres de la transparence et de l’accomplissement de ce devoir.
Malheureusement, dans le discours, aussi bien les avocats que les autres corporations, se présentent comme des défenseurs farouches de ces principes, mais dès qu’on aborde la phase opérationnelle, le corporatisme se manifeste et toute réforme devient illégitime, inéquitable. Dans la foulée, les médias manipulateurs sont pris à parti et les responsables politiques sont vilipendés et pour conclure on brandit le refus catégorique d’appliquer la loi.

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