Le sommet du G20 qui s’est tenu les 7 et 8 juillet derniers à Hambourg sous présidence allemande nous a ramenés à l’ambiance tumultueuse de la fin des années 1990 au vu de la contestation et des divergences qui ont accompagné cette rencontre. En effet, cette rencontre a été marquée par une forte mobilisation de la société civile et d’imposantes manifestations que nous n’avons pas connues depuis fort longtemps. Ces manifestations ont donné lieu à des heurts importants avec la police allemande et ont été à l’origine de fortes polémiques en Allemagne après le Sommet, notamment sur le choix de Hambourg pour l’organisation de ce Sommet et sur la violence de la police et le caractère disproportionné de sa réponse.
L’ampleur de la mobilisation de la société civile s’explique par le fait que dans la ville de Hambourg, les partis radicaux et les organisations de la société civile sont très actifs depuis des décennies. Mais, elle trouve aussi son explication dans le rejet croissant de la globalisation et la fissure croissante dans le consensus qui s’est mis en place à partir du début des années 2000 et qui a été à l’origine d’un retour sur la scène des mouvements de la société civile qui avaient perdu de leur verve et de leur influence au cours des années 2000.
La contestation de la globalisation et de l’ordre global libéral ne s’est pas limitée à l’extérieur des salles de réunions et à la mobilisation de la société civile et aux manifestations. Elle s’est aussi invitée dans les réunions de ce sommet avec des divergences de plus en plus importantes entre les membres de cénacle sur des questions aussi importantes que la lutte contre le réchauffement climatique ou le commerce international. Le consensus sur ces questions qui était au cœur des sommets globaux depuis le début des années 2000 est un lointain souvenir et semble avoir laissé la place à des divergences de plus en plus fortes et marquées entre les grandes nations. Les positions du Président américain, ses choix et son programme autour de la thématique « America first » ont exprimé ouvertement ses grandes divergences entre les membres du G20 sur les questions au centre de la gouvernance globale comme le climat et le commerce international.
Ces divergences et cette contestation de la globalisation à l’intérieur comme à l’extérieur du sommet nous ont ramenés à l’atmosphère tumultueuse et agitée de la fin des années 1990 où ce projet était doublement critiqué. Tout d’abord, les mouvements de la société civile avaient toujours remis en cause ce projet en considérant qu’il ne prenait pas en considération les intérêts des populations et se concentraient sur ceux des grandes firmes multinationales. Par ailleurs, elles considéraient que ce projet était anti-démocratique et imposait aux citoyens des institutions, comme les institutions sœurs de Bretton Woods, le FMI et la Banque mondiale, qui n’avaient pas été choisies démocratiquement.
La contestation ne se limitait pas à la société, mais intégrait également les pays émergents venus après des années de croissance forte perturber et remettre en cause l’ordre économique hérité de l’après seconde guerre mondiale. Il s’agissait d’un ordre dominé par les pays développés qui laissaient peu de place aux pays en développement qui commençaient à s’imposer sur la scène internationale et avaient exigé dès le début des années 1970 un nouvel ordre international plus ouvert et attentif à leurs préoccupations.
Ainsi, l’émergence de la globalisation comme réponse à la crise du modèle de l’Etat-nation et de l’Etat-providence hérité de la seconde guerre mondiale, n’était pas évidente. Elle s’est trouvée depuis les années 1990 au centre de vents contraires et de contestations fortes qui ont rendu cette naissance laborieuse et ardue. Cependant, un consensus a pu être construit de manière patiente et après des années de labeur. Ainsi, avons-nous pu lancer d’importantes négociations commerciales avec un cycle ambitieux lancé à Doha en 2001 ? Par ailleurs, la croissance globale a été forte au cours des années 2000, dopée par la forte croissance des pays émergents. Cette croissance des émergents a eu des effets sociaux, en tirant des millions de personnes dans les pays en développement de l’extrême pauvreté. Il faut également mentionner les négociations difficiles et complexes sur le réchauffement climatique, mais qui ont réussi à aboutir à un accord lors du Sommet de Paris 2015.
Or, cette atmosphère favorable à la globalisation semble avoir survécu et elle est en train de laisser la place à une nouvelle ère, marquée par un malaise profond et une crise de la globalisation. Ainsi les critiques en sourdine de la globalisation sont devenues fortes et virulentes. L’année 2016 a constitué de ce point de vue un tournant important avec le vote du Brexit, la montée du populisme autoritaire dans un grand nombre de pays développés et en développement, et l’élection de Donald Trump.
A qui la faute…. et qui est derrière cette crise de la globalisation ? De mon point de vue, un triple échec explique ce malaise et la montée des frustrations et de la rage parfois contre la globalisation. Le premier est d’ordre économique et concerne le choix d’un nouveau modèle de développement porté par la financiarisation. Or, la grande crise de 2008 a montré la fragilité de ce modèle et a ouvert la voie à une dérive financière sans précédent à la cupidité et à l’avidité. D’ailleurs, en dépit de tous les efforts et de tous les plans de relance, la croissance mondiale reste fragile et faible et n’a jamais retrouvé sa vigueur d’antan. Le second échec est plutôt d’ordre social dans la mesure où la globalisation s’est traduite par une montée des inégalités. Ces inégalités ont été à l’origine de la montée des frustrations sociales et d’une conviction que la globalisation n’a pas été au service de tous et qu’elle a servi les élites globalisées. C’est sur cette vague de frustration que vont surfer tous les mouvements populistes. Le troisième échec est d’ordre écologique dans la mesure où le productivisme et la course à la productivité qui ont accompagné la globalisation ont été à l’origine d’une forte détérioration du climat.
Ainsi, la globalisation n’a plus le vent en poupe et les grandes rencontres mondiales, comme le Sommet du G20, sont revenues au tumulte et à la contestation d’antan. Avec une nouveauté tout de même qui est la montée du populisme autoritaire qui cherche à imposer ses vues sur la sortie de la crise de la globalisation en cherchant un retour à l’Etat-nation. Il s’agit d’un projet qui privilégie les intérêts nationaux aux dépens de véritable coopération internationale comme l’exprime le projet « America First » de la nouvelle administration américaine. Des réponses qui peuvent entraîner une montée des guerres commerciales et des conflits et entraîner une plus grande instabilité de l’ordre international.
Ainsi, le monde post-global que le G20 de Hambourg semble avoir inauguré avec une grande contestation et un refus de la coopération internationale peut entraîner une grande instabilité et la montée des conflits et des confrontations. Il s’agit de l’ouverture d’une page inquiétante dans l’histoire de l’Humanité comme celle qui a précédé la seconde guerre mondiale avec ses horreurs…A moins que nous soyons en mesure d’offrir une nouvelle sortie à cette globalisation en crise qui mette l’accent sur la coopération, la solidarité, l’inclusion sociale et le développement durable.