Le gâchis alimentaire: Du pain pour les vaches

Lorsque l’on sillonne les rues des grandes villes, on remarque parfois des sachets de plastique pleins de restes de pain. Et le soir, à l’heure où sortent les poubelles, ce sont des plats entiers qui sont parfois jetés : pâtes, couscous, restes de pizzas, riz… Tout y passe, tout est jeté, définitivement perdu, car avec la chaleur, même les chats ne peuvent plus consommer ces restes. Les rares chats affamés qui osent grignoter ces restes avec un petit air dégoûté, le regrettent bien vite car ils sont pris de violents maux de ventre. Mais le plus souvent l’ensemble va rejoindre la grosse benne de la municipalité et les décharges publiques.

Pourquoi un tel gâchis ? Comment éviter ce gaspillage alimentaire outrageant ? Plongée dans l’univers impitoyable des cités modernes…

S’il est facile de constater le gaspillage de toutes sortes d’aliments dans nos cités en observant les poubelles, c’est à la campagne qu’il faut se rendre pour saisir ce phénomène, car des dizaines de sacs de pain rassis sont donnés aux vaches en guise de nourriture. Face à l’augmentation excessive des prix des aliments pour bétail, les agriculteurs viennent en ville récupérer les restes de pain des citadins, ramassé par cette nouvelle race de récupérateurs de déchets que l’on voit fouiller les poubelles…

Mais quel est l’impact de cette nourriture sur la santé des vaches et sur celle des humains qui consomment leur lait et leur viande ? Selon un vétérinaire « le pain récupéré est très dangereux pour la santé de l’homme et de l’animal car il est souillé, avec des restes de sauce, de la terre, des champignons qui résultent de l’humidité… En outre, ces croutons de pain sont saturés d’amidon, ce qui donne de la graisse supplémentaire à des animaux souvent sédentaires. »

La peur de manquer de nourriture

De nombreuses études ont été menées dans le monde, d’où il ressort qu’en moyenne, sept kilos de produits sont jetés par an et par habitant. En Tunisie où aucune étude n’est disponible, nous devons dépasser ce chiffre, au vu de ce que l’on voit dans nos poubelles. D’ailleurs, le gâchis semble être entré dans nos mœurs, à tel point que l’on trouve parfois des aliments emballés que l’on a oubliés au fond du congélateur et dont la date limite de consommation est dépassée.

Chaque année, des tonnes de nourritures qui sont jetés à la poubelle, une situation paradoxale pour des citoyens qui se plaignent de la vie chère. « Oui, je gaspille beaucoup d’aliments, jusqu’à la moitié parfois », avoue Saida, un peu gênée, avant d’ajouter « pourtant, je déteste jeter de la nourriture ». Malgré tous ses efforts, elle n’arrive pas éviter les pertes. « Je vis avec mon mari et mes deux enfants et j’ai toujours peur de manquer de nourriture le soir, quand les magasins sont fermés. En fait, j’organise mal mes courses et souvent j’obéis à des achats compulsifs. »

Pourtant, la jeune dame est équipée d’une armada de boîtes hermétiques, histoire de conserver les produits ouverts ou les restes des repas. Mais rien n’y fait, elle gaspille une grande partie de ce qu’elle achète à grands frais. « Chaque mois, j’ai environ quarante à cinquante dinars de produits qui vont à la poubelle ! », assure-t-elle. « Le problème, c’est d’arriver à trouver la bonne quantité de courses dont j’ai besoin. »

Mais le plus grand drame reste le pain. Vu son prix peu élevé par rapport aux autres produits alimentaires, on en achète bien plus qu’il n’en faut. Sauf qu’entre la fille qui a décidé de faire un régime, le garçon qui le matin préfère un croissant à sa tartine et le père qui mange salé dès le réveil, plusieurs kilos de pains sont jetés chaque mois par chaque famille tunisienne. Le pire c’est pendant le mois de Ramadhan, quand l’odeur du pain chaud attire les ventres vides et double l’achat de ces petits pains dont on ne consommera qu’une infime partie.

Mais il n’y a pas que le pain. Parfois, les enfants et les parents n’ont pas forcément les mêmes goûts : résultat, plusieurs produits entamés dans le frigo qui ont peu de chances d’être consommés en totalité ! Le problème se pose aussi avec les fruits et légumes. On fait souvent les courses au marché ou dans une grande surface : un kilo d’oranges par-ci, un kilo de carottes par-là et la moitié des fruits et légumes finit à la poubelle.

Un psychologue qui a bien observé le comportement des Tunisiens face aux aliments affirme que « derrière cette frénésie d’achats, on trouve le besoin de voir son frigo rempli. C’est rassurant et ça offre plus de choix. » C’est ce que confirme une autre mère de famille : « je déteste voir mon frigo vide, car ça me rappelle une période de ma vie qui était plutôt pénible et où le frigo familial était désespérément vide… » Il faut dire qu’elle vient d’un milieu modeste où on ne mangeait pas à sa faim, où un petit carré de chocolat était un luxe et le beurre un luxe inabordable !

Une fortune dans nos poubelles

Un nutritionniste résume cela avec un raccourci : « de nombreux produits passent directement du caddy à la poubelle, après un bref séjour dans le froid, car il y a une méconnaissance totale des dates limites de consommation ». En fait, souvent lorsque la date est dépassée, certains produits restent encore propres à la consommation. Il faut distinguer deux choses : la date limite d’utilisation optimale et la date limite de consommation.

La date limite d’utilisation optimale souvent caractérisée par la mention « à consommer de préférence avant », valable pour des produits comme le pain de mie, les biscuits ou les boissons occasionne beaucoup de déchets. Or dépasser la date limite de quelques jours ne serait pas néfaste, à condition qu’il ait été conservé selon les conditions du fabricant. Cette date limite de consommation renvoie à tous les produits périssables : yaourts, fromage frais, plats cuisinés… Dans ce cas, il est déconseillé de dépasser la date, bien que ce soit le principe de précaution qui prime.

Un jeune couple tente de faire la chasse au gaspillage, après quelques mésaventures qui ont coûté cher et qui ont été accompagnées par les inévitables scènes de ménage : « nous préférons faire les courses deux ou trois fois par semaine et surtout nous préparons à l’avance une liste des produits à acheter, de façon à éviter les dépenses inutiles », précise le jeune marié, fier de sa trouvaille.

Quant aux moyens d’éviter, ou au moins de limiter le gaspillage alimentaire, notre nutritionniste donne des conseils avisés : « il faut veiller à n’acheter que la quantité de produits qu’il vous faut, en dressant une liste précise. Il faut aussi cuisiner les bonnes quantités, pour qu’il n’y ait pas de restes. Pensez à conserver vos restes dans des boîtes hermétiques. Avec des restes, on peut faire d’excellents plats ! »

Mais les particuliers ne sont pas les seuls à jeter des aliments. Les grandes surfaces sont également responsables d’une importante quantité de produits jetés, parce qu’ils ont été achetés en trop grande quantité et qu’ils n’ont pas trouvé preneur. C’est le cas notamment des fruits et légumes, mais aussi des dérivés des produits laitiers.

Un jeune homme témoigne : « j’ai travaillé dans une grande surface et je peux vous assurer qu’il y a beaucoup de gaspillage. Les boîtes de conserves cabossées sont souvent retirées des rayons et finissent à la poubelle, de même que les bouteilles qui ont perdu leur bouchon, les sachets troués… Il n’y a qu’à aller faire un tour à l’arrière des grandes surfaces, il y a de fortes chances pour qu’elles puissent remplir plusieurs caddies… »

Rappelons enfin que le gaspillage est un phénomène, un fléau même, des générations d’aujourd’hui, puisque leurs parents ne jetaient rien, et même les os étaient donnés au chat ou au chien. Et puis, il faut savoir que le gaspillage alimentaire est néfaste pour la planète. C’est pourquoi il faut changer de comportement et apprendre à faire des achats raisonnés.

Et n’oubliez pas que c’est toujours le portefeuille qui trinque…

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