Dans l’article paru dans les colonnes de votre magazine, n° 1435, à propos de la Bataille de Bizerte et écrit par M. Fayçal chérif, on peut déceler une mise en doute de l’honnêteté et de la sincérité du fondateur de la Tunisie moderne, le combattant suprême Habib Bourguiba. Cette bataille fut couronnée par la libération de tout le territoire tunisien et ce, après avoir harcelé les forces françaises jusqu'à la reconquête de toutes les casernes occupées jusqu’alors par la France. Durant cette bataille, notre glorieuse armée âgée seulement de 4 ans, dont certains effectifs se trouvaient au Congo pour une mission de maintien de la paix, s’est battue héroïquement et s’est même distinguée en détruisant sept avions de combat français selon le rapport confidentiel du maréchal Amman. Notre armée devait aussi être vigilante face aux incursions françaises à travers le front ouest. La prise de décision de la Bataille de Bizerte était tout d’abord une réaction au fait que la France avait entrepris des travaux en vue d’agrandir la piste d’atterrissage de la base de Sidi Ahmed et les propos de M. Fayçal chérif sont loin d’être réalistes lorsqu’il dit que le Général DE Gaulle nous avait assurés que les forces françaises allaient bientôt quitter Bizerte.
Cette situation est semblable à celle du locataire qui opère des travaux couteux au moment de quitter un logement, ce locataire est, soit stupide, soit de mauvaise foi. Par ailleurs, Michel Debré, Premier ministre de De Gaulle en janvier 1959 et son plus proche collaborateur, reconnait, dans ses Mémoires parues en 1988, avoir déconseillé au général de prendre Bourguiba comme intermédiaire avec les Algériens. Mieux encore, un article publié par le journal Combat dans sa livraison du 1er août 1961 rapporte la position révélatrice et intransigeante formulée déjà en 1958 par Michel Debré qui n’était encore que sénateur : «… C’est un acte de trahison, s’écria t-il, c’est une porte ouverte à l’abandon de l’Afrique». Par ailleurs, la France se servait de la base de Bizerte pour bombarder l’Algérie où la guerre faisait encore rage en 1961 et Bourguiba avait estimé que le devoir de la Tunisie était de mettre fin à cette situation. Il faut rappeler à ce propos que la libération de l’Algérie a été réalisée grâce au sacrifice d’un million et demi de martyrs et nos frères algériens n’ont jamais crié au scandale, au contraire, ils en sont fiers.
En finir avec le révisionnisme
À titre d’exemple les troupes américaines et britanniques, lors du débarquement en Basse-Normandie pour libérer l’Europe du nazisme, étaient convaincues qu’elles allaient perdre 20 % de leurs effectifs, mais elles étaient animées d’un courage à la mesure de la tâche qu’elles devaient accomplir. C’est ce même courage qui animait les Tunisiens en 1961 pour libérer leur pays de la présence étrangère.
Certains individus pensaient que la décision de Bourguiba d’engager la bataille de Bizerte était destinée à se refaire une virginité vis-à-vis des pays arabes. Ces individus imprégnés de la culture novembriste semblent oublier que Bourguiba avait défié l’Union soviétique avec ses 16.000 têtes nucléaires à côté de laquelle la Russie actuelle fait figure d’enfant de chœur. Lors de l’invasion de la Tchécoslovaquie en 1968, il avait même prédit que l’URSS s’effondrerait dans les vingt années qui suivent. Il a confirmé cela lorsqu’il fut invité à visiter l’Union soviétique, il répondit qu’il ne visiterait jamais un pays voué à la disparition. Effectivement, 1989 a été l’année de la chute du mur de Berlin et les pays du pacte de Varsovie connurent par la suite le même sort. C’est cela le génie bourguibien. Cette intelligence hors du commun s’est vérifiée lorsque Bourguiba a évité le sacrifice inutile de 5000 soldats supposés partir épauler les armées arabes en 1967. Bourguiba était convaincu que cette guerre était perdue d’avance. Elle s’est achevée six jours après son déclenchement et nos troupes étaient encore à Ben Gardane lorsqu’elles reçurent l’ordre de rebrousser chemin et de regagner leur base à Tunis. Cette guerre s’est soldée par la perte de 400 avions de combat, détruits au sol à l’aube du 5 juin 1967 et nouvellement acquis par l’Égypte auprès de l’Union soviétique. 50.000 soldats égyptiens y ont laissé leur vie. Les chars détruits se comptaient par milliers pour cause d’absence de couverture aérienne. Le bilan de cette guerre se présente ainsi: le Golan était conquis par Israël de même que le Sinaï et El Qods.
Malgré ce désastre vous ne verrez jamais un Égyptien souiller la mémoire de Gamal Abdel Nasser.
Un visionnaire
Lorsque le général De Gaulle nous rassurait à propos de la restitution de Bizerte, cela rejoignait les propos des dirigeants israéliens qui se voulaient rassurants lors des fréquentes rencontres entre Ehud Olmert avec Yasser Arafat et Mahmoud Abbas, ainsi que les camps David I et II, ce qui fait qu’à l’heure actuelle nous en sommes toujours au même point. Il aurait été plus simple d’écouter la voix de la sagesse lorsque Bourguiba préconisait à Jéricho, en 1965, d’adopter la politique des étapes et d’accepter les résolutions de l’ONU. Les Palestiniens devaient renoncer à la politique de tout ou rien qui avait engendré des décennies de malheur pour des millions d’innocents. Tout prés de chez nous le Nord du Maroc frère croule toujours sous une injuste colonisation espagnole, il s’agit de Ceuta, Melilla et de l’Ile de Leila qui se trouve à seulement 200 mètres des côtes marocaines Nos frères marocains ne peuvent y accéder que munis d’un passeport. Encore une preuve que Bourguiba avait raison de ne pas courir le risque de se contenter de propos rassurants. Le courage de Bourguiba s’illustra une nouvelle fois lors de l’attaque de Gafsa, en 1980. Le combattant suprême se trouvait alors à Nefta pour des vacances, tout le monde se souvient du Zaim brandissant sa canne et parlant de Kadhafi en disant «qu’il vienne je l’attends». Bourguiba n’avait pas voulu quitter Nefta jusqu’à la neutralisation totale du commando armé par Kadhafi.
Bourguiba tenait à la dignité du Tunisien, il s’était porté garant de l’éducation gratuite, de la santé et du bien-être pour toute la population tunisienne. En 1985, il avait obligé certains entrepreneurs de renom à construire des dizaines de milliers de logements, car il ne supportait pas de voir des Tunisiens habiter des gourbis, il avait seulement oublié d’acquérir un logement pour lui-même.
L’altruisme de Bourguiba faisait qu’il plaçait l’intérêt de la Tunisie et du Tunisien bien avant le sien. Il n’a possédé que ses deux costumes, sa Jebba, sa Chéchia, et ses deux chaussures, ces vêtements sont exposés à Monastir. Dans l’un de ses discours il disait « J’ai débuté pauvre et je partirai pauvre.»
Ce qui comptait pour Bourguiba c’était de bâtir une nation homogène et solide. Pour cela il fallait garantir le bien-être social pour toute la population, en quelque sorte une démocratie sociale qui préparait la démocratie politique.
Dés les années 60 et durant la période appelée «El Jihed Al Akbar», la Tunisie a observé un développement économique qui a couvert tout le territoire de la République. À titre d’exemple, la région de Bizerte vit la réalisation de la raffinerie STIR en 1961, l’usine de cellulose vit également le jour à Kasserine. Le tourisme a commencé à se développer dès les années 60 avec l’hôtel Corniche Palace à Bizerte, le Jugurtha Palace à Gafsa et bien d’autres établissements et ce, dans une période où l’on ne comprenait même pas ce que voulait dire le mot tourisme. Toutes ces réalisations furent accompagnées par l’implantation de plusieurs aéroports. Le tourisme saharien ne fut pas négligé avec la réalisation de l’aéroport de Tozeur Nefta.
La réussite économique de la Tunisie des années 70 avait engendré un dinar supérieur au franc français et au dollar. Plus tard, durant les années 80, la Tunisie avait un tel prestige que le choix des pays arabes s’est porté unanimement sur notre pays pour abriter le siège de la Ligue arabe en remplacement de l’Égypte.
Bourguiba était respecté partout dans le monde et une plaque porte son nom à Brooklyn, à New York, en souvenir de son passage dans cette ville à l’invitation de John Fitzgerald Kennedy. Lorsque Ronald Reagan écrivait à Bourguiba, il commençait toujours par «Cher président et ami.»
Un musée a été réalisé au Caire en l’honneur de Bourguiba. En Corée, la pensée bourguibienne est enseignée officiellement à l’école.
En Afrique du Sud, tout le monde reconnait que c’est sur les conseils du combattant suprême que le grand Nelson Mandela a intensifié la lutte contre l’Apartheid jusqu’à la victoire finale contre ce régime.
Mais il faut toutefois noter que pour Bourguiba, amitié ne signifiait pas soumission. Cela s’est vérifié lorsque la Tunisie a été à deux doigts de rompre les relations diplomatiques avec les États-Unis, suite au bombardement de Hamman Chatt par l’aviation israélienne. Le revirement spectaculaire des États-Unis, qui s’étaient rangés du côté tunisien, a remis les relations tuniso-américaines au beau fixe. Il est temps que la Tunisie renoue avec ses valeurs et que le respect envers les hommes qui ont fait la grandeur de notre nation reprenne sa place.
Lors du Grand Bond en avant organisé par Mao Tse Toung, les victimes chinoises ont approché les 50 millions et vous ne trouverez pas un seul Chinois qui manquera de respect à la mémoire du Grand Timonier. En Turquie, Mustapha Kamel Atatürk avait fait réécrire le Coran en Turc, malgré cela aucun Turc ne dira de méchancetés du fondateur de la Turquie moderne. Il est donc impératif de cesser les dérapages envers la mémoire de Bourguiba, car ceci ne fait pas honneur à la Tunisie. Mais il est vrai que ces dérapages sont hérités d’un matraquage novembriste subi durant 23 ans de médiocrité érigée en système.
Lotfi Bourguiba