Le gouvernement Chahed et l’épreuve de vérité

 

Depuis son entrée en activité, il y a un mois environ, le gouvernement d’union nationale n’a eu aucun répit. Alors qu’on s’attendait à un gouvernement dont l’action devait obéir à des objectifs stratégiques, il a été contraint à jouer le pompier, à gérer dans l’urgence des dossiers explosifs en relation avec le terrorisme, les tensions sociales dont le feu s’allume partout et l’impératif de trouver des solutions rapides aux fortes pressions exercées sur les finances publiques et aux exigences de boucler le budget 2016 et d’élaborer un autre pour 2017, qui s’annonce particulièrement difficile.
Incontestablement, l’aboutissement heureux de la crise de PETROFAC, à Kerkennah, ne saurait cacher une bien triste réalité. Bien que le gouvernement ait réussi, au bout d’un processus de négociation ardu et tortueux, à éviter le pire, à savoir le départ définitif de cette entreprise, principal employeur dans cet archipel, et le recours à l’usage de la force, fusse-t-elle légitime, pour imposer la loi et le droit, cette affaire a révélé un déficit d’Etat et une incapacité notoire à gérer les dossiers sociaux dans un cadre de transparence, de responsabilité et de rigueur. Quelle image donnerait la Tunisie au monde des affaires, à quelques semaines seulement de la tenue de la conférence internationale de l’investissement qui devrait réunir plus d’un millier d’hommes politiques et de décideurs économiques, si les pouvoirs publics se montrent incapables d’assurer la sécurité d’une entreprise, la continuité de sa production et de la protéger de tentatives de racket ?
Quelle image donnerait la Tunisie quand une entreprise se trouve condamnée, pendant plus d’un an, à l’arrêt de toute activité régulière par des sit in sauvages, des revendications excessives et par l’option des pouvoirs publics à des choix de facilité ? L’absence des forces de sécurité dans l’île depuis plus de six mois est-elle la bonne solution et à qui profite-t-elle ?
Si ce dossier explosif hérité par le gouvernement Youssef Chahed a trouvé une fin qui satisfait toutes les parties, il est fort à craindre l’effet domino. Dans le cas d’espèce, on redoute l’effet de contagion et le recours, comme c’est maintenant le cas dans certains permis de production de pétrole dans le Sud, aux mêmes pratiques de harcèlement et de pressions des entreprises qui finiraient par jeter l’éponge.
L’autre épreuve de vérité qu’affrontera le gouvernement Chahed a trait à la qualité des réponses qu’il sera amené à présenter pour donner aux Tunisiens, en général, et aux opérateurs économiques, en particulier, un message de confiance, un signal sur la détermination de l’Etat à agir et à mettre en œuvre les réformes nécessaires pour remettre de l’ordre dans la maison, donner des réponses convaincantes à des attentes légitimes, élaborer un projet qui bénéficie d’un large consensus pour sauver l’économie et préserver le pays d’un scénario catastrophe.
Manifestement, les projets de budget de l’Etat et de la loi de Finances 2017 constituent un examen de passage délicat. Il s’agit de faire preuve d’une grande ingéniosité pour trouver les bons arbitrages qui offriraient des solutions efficaces aux pressions exercées sur les finances publiques, à l’impératif de soutenir le développement, de relancer l’investissement, de redonner de l’espoir aux jeunes à la recherche d’emploi, de satisfaire des demandes sociales toujours pressantes et en prenant soin d’éviter tout dérapage en matière d’endettement public et toute appréciation négative des institutions de Breton Woods, principales pourvoyeuses de ressources financières en ces moments difficiles. Pour maîtriser toutes ces contraintes, il n’y a qu’une seule porte de sortie, celle qui consiste à dire la vérité aux Tunisiens, à les prendre pour témoins et à savoir les mobiliser pour qu’ils participent au sauvetage de leur pays. Cela passe, nécessairement, par une communication intelligente, directe, un engagement clair à aller de l’avant dans le combat contre la corruption, à ne pas trembler lorsqu’il s’agit d’appliquer la loi et ne pas hésiter à entreprendre les réformes et à trouver les meilleurs arguments pour rétablir les valeurs de l’effort et du travail.
Enfin, la conférence internationale sur l’investissement, de fin novembre prochain, ne doit pas être une simple occasion pour discourir et faire du tape à l’œil. Depuis cinq ans, le pays a raté de nombreuses opportunités pour mobiliser à ses côtés les décideurs politiques du monde et la communauté des hommes d’affaires. Le temps est venu pour tirer les bonnes conclusions et remédier aux dysfonctionnements qui ont amplifié les difficultés du pays, écorné son image et érodé sa compétitivité. A l’évidence, il ne suffit pas d’élaborer un plan et un code d’investissement pour résoudre tous les problèmes, il importe plutôt de donner une cohérence à ces textes avec l’environnement dans lequel ils vont être appliqués. C’est par ce moyen qu’il sera possible de gagner la confiance de tout le monde qui, de bonne grâce, apportera son soutien à la seule expérience démocratique aboutie dans la région.

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