Le grand décalage

Que peut-on retenir des cent premiers jours du gouvernement Essid ? Très peu de choses ! En avançant cette date buttoir, comme condition essentielle pour juger de ses bonnes intentions et fournir une preuve utile de son engagement à enclencher un processus vertueux de changement et de réformes, le gouvernement s’est pris à son propre piège et s’est fourvoyé dans un chemin difficile. Tout en se montrant incapable de présenter une vision, une espérance et une alternative, il s’est trouvé,  dès les premiers jours de son entrée en fonction, dos au mur, jouant le rôle de pompier pour enrayer des mouvements sociaux en ébullition constante, des périls terroristes de plus en plus menaçants et des difficultés économiques insoutenables.

Forcé de gérer les affaires publiques dans l’urgence, il n’a pas su convaincre, ni éteindre les incendies qui se déclenchaient un peu partout et, encore moins, provoquer un choc positif qui aurait pu remettre le pays sur les rails. Hésitant, peu prompt à prendre des décisions dans le feu de l’action, il cède vite aux pressions et ne daigne pas faire les anticipations nécessaires qui auraient pu éviter au pays bien des déconvenues.

Ce gouvernement de coalition, qui dispose pourtant d’un fort soutien à l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP), donne l’impression d’une certaine incertitude agissant dans la précipitation et la dispersion, sans feuille de route claire, ni un consensus appuyé sur la stratégie à entreprendre pour sortir le pays de ce cercle vicieux. Jouant à fond la carte des cent jours, il a pris un grand risque, celui de nourrir de faux espoirs chez une population gagnée par le doute et le désenchantement et qui peine à trouver des bribes de réponses à un cafouillage presque général.

C’est sur le plan politique, que la machine a le plus grincé. La mise en place des institutions constitutionnelles a encore du plomb dans l’aile. Il a fallu même trouver de faux-fuyants pour justifier le retard pris dans la mise en place du Conseil supérieur de la magistrature. Quant à la loi sur la lutte contre le terrorisme et le blanchiment d’argent, elle est encore en discussion à l’ARP. Bien plus, de grandes craintes sont exprimées sur les libertés, en général, et la liberté d’expression en particulier. La polémique qui a éclaté au sujet du projet de loi réprimant les agressions contre les agents de l’ordre ou la crise qui a éclaté au sein de la HAICA (haute autorité indépendante de la communication  audiovisuelle) en disent long sur le malaise qui ne finit pas de s’épaissir.

Dans le domaine de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme, le gouvernement Essid peut se prévaloir de quelques réussites tangibles et ce, nonobstant la gravité des menaces qui planent et des  attentats terroristes perpétrés au cours des derniers mois. 

Sur le plan social, c’est encore la galère. Face à l’exacerbation des tensions et des mouvements de revendications, un peu partout dans le pays, le gouvernement semble paralysé, résigné. En pliant  constamment devant des mouvements sociaux qui prennent de l’ampleur, le gouvernement n’a pas trouvé les bons arguments pour arrêter cette spirale inquiétante, omettant de dire la vérité aux Tunisiens afin qu’ils aient conscience des défis et difficultés qu’il ne pourra affronter tout seul.

Le gouvernement Essid, dont les membres ont poursuivi jusqu’au quatre vingt dixième jour la présentation des actions des cent premiers jours, n’a pas su juguler le problème qui ne cesse de hanter les Tunisiens depuis des lustres, à savoir la hausse des prix des produits essentiels et la floraison du commerce parallèle.

Sur le front économique, les choses ne vont pas mieux, non plus. L’investissement ne décolle pas, les entreprises publiques s’enfoncent chaque jour un peu plus dans les abysses de problèmes insolubles et le doute des opérateurs, ne fait que s’amplifier.

Cent jours après son entrée en activité, le débat public ne s’est pas encore focalisé sur les grands dossiers et les choix d’avenir. Partis politiques, organisations nationales, représentants de la société civile sont encore loin, très loin, d’un consensus salvateur. Le jour où tout ce beau monde se résignera à s’asseoir autour d’une même table pour faire une première esquisse du projet de société que tout le monde ambitionne de réaliser, on pourra dire que la Tunisie est, enfin, bien partie.

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