Ayant peiné à débuter, le dialogue national est aussitôt suspendu. Voilà que depuis l’assassinat de Mohamed Brahmi, opposition, quartet et gouvernement ont été en négociations laborieuses avant d’annoncer leur accord sur la feuille de route, entamant ainsi le dialogue national. L’un des points cruciaux en était la démission du gouvernement actuel, condition déclarée acceptée et la constitution d’un nouveau gouvernement. Et c’est là que tout s’est bloqué puisque les partis ont déclaré avoir échoué dans le choix du nouveau Premier ministre… Impossibilité à se fixer sur un choix ou manoeuvres partisanes, puisque le gouvernement actuel ne peut démissionner avant que le chef du nouveau gouvernement ne soit choisi ?
«Nous ne sommes pas arrivés à un consensus sur la personnalité qui dirigera le gouvernement», a déclaré Houcine Abbassi, Secrétaire général de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT). Et d’annoncer «Nous avons décidé de suspendre le dialogue national jusqu’à ce qu’il y ait un terrain favorable à sa réussite.»
Ils étaient huit noms sélectionnés parmi dix-huit candidats annoncés Deux finalistes ont été retenus : Ahmed Mestiri et Mohammed Nasser, tous deux vétérans de la politique et dont l’expérience n’est pas à mettre en doute.
Rappelons qu’un premier délai de 36 heures avait déjà été donné samedi dernier, jour où le dialogue national devait aboutir au choix du nouveau Premier ministre. Une commission composée des chefs des partis politiques a été formée et s’est réunie samedi dernier, assistée par le quartet, en la personne de Houcine Abbassi, pour départager les candidats à la présidence du gouvernement. Cette commission était composée de Mustapha Ben Jaâfar, chef d’Ettakatol et président de l’ANC, Ahmed Nejib Chebbi, chef du haut comité politique d’al-Joumhouri, Rached Ghannouchi, président d’Ennahdha, Béji Caïd Essebsi, président de Nidaa Tounes, Ahmed Ibrahim, leader d’al-Massar, Hamma Hammami, dirigeant du Front populaire, Kamel Morjane, chef du parti l’Initiative.
Bien que ne revendiquant la candidature d’aucun prétendant à la primature, ni Ennahdha, ni ses rivaux n’ont expliqué clairement les raisons de leurs tergiversations. « Candidat » de la dernière minute, le nom de l’ancien ministre de la Défense, Abdelkrim Zbidi a été évoqué, mais il a apparement buté sur le « véto » du Président provisoire.
«Nous ne voyons pas d’alternative à Ahmed Mestiri», a déclaré Rached Ghannouchi, chef d’Ennahda, après la suspension des négociations.Le parti islamiste au pouvoir s’est accroché au choix d’Ahmed Mestiri L’opposition, le jugeant sans trop le dire « trop âgé » pour être à la tête du gouvernement en cette période critique, soutient Mohamed Naceur qui, outre son expérience politique, possède une grande connaissance dans du domaine social, l’un des dossiers les plus urgents en Tunisie en ce moment.
Les différends
C’est ici que s’est exprimé le premier réel différend entre les deux partis.
Alors que la Troïka considère que la seule tâche du chef du gouvernement est de veiller à l’organisation des élections, l’opposition souligne qu’il devrait être apte à redresser la barre sur plusieurs plans, à savoir économique, social et sécuritaire en premier lieu.
Un autre point de discorde s’est dessiné : la Troïka ne veut pas voir ses nominations au seins des institutions et administrations remises en cause. Or qui dit neutralité, dit forcément révision et limogeage des responsables partisans ou incompétents, surtout si l’on veut vraiment constituer un gouvernement indépendant.
Notons que la principale cause de l’obstination d’Ennahdha serait, selon Hamma Hammami, de vouloir «quitter le pouvoir par la porte pour y revenir par la fenêtre». Il souligne «La troïka, notamment Ennahda, a fait échouer le dialogue, car ils cherchent par tous les moyens à rester au pouvoir». Ennahdha de son côté accuse l’opposition «de venir au dialogue, sans y croire vraiment avec l’intention de confisquer le gouvernement.»
Coup d’État parlementaire
Et si la prédisposition à démissionner déclarée par Ali Lâarayedh était une énième tentative pour gagner du temps et absorber la colère populaire qui était à son comble à la veille du dialogue national ?
Pendant que les regards sont braqués sur le choix du Premier ministre, les amendements au règlement intérieur de l’Assembléeproposés par Ennahdha sont considérés comme un putsch parlementaire par les élus de l’opposition.
Rappelons ici que la dissolution de l’ANC était l’une des revendications avant d’arriver au terrain d’entente qui a abouti à la feuille de route du quartet. Ennahdha a maintes fois insisté sur le pouvoir les prérogatives que devait conserver l’ANC, maintenant et dans le contrôle du nouveau gouvernement.
Une opposition fragmentée
Face à une Troïka qui fait bloc, l’opposition est restée fidèle à son image fragmentée. Le Parti républicain, ayant entamé les négociations aux côtés du Front du salut populaire, a rejoint la Troïka dans son soutien à Ahmed Mestiri. Des déclarations d’Issam Chebbi et de Maya Jeribi démentent certes cette position. Cette dernière a par ailleurs souligné que le Parti républicain est à égale distance de tous les candidats envers qui le Parti voue le même respect. Cependant, la déclaration faite par Hamma Hammami à propos de la rupture de la collaboration entre le Front du salut national et le Parti républicain et pour cause, le soutien de ce dernier à la candidature d’Ahmed Mestiri, vient démontrer le clivage déjà existant et instituant une nouvelle crise au sein de l’opposition.
Par ailleurs, les partis suivants : Al Massar, le Front national tunisien, le Courant populaire, Nidaa Tounes, le Parti des travailleurs, le Parti des patriotes démocrates unifiés, Afek Tounes, la Troisième alternative (Al Khiar Al Thaleth), le Mouvement du Tunisien pour la liberté et la dignité, le Parti populaire moderniste, le Mouvement des démocrates communistes, Al Moubadara, le parti Al Jomhouri Al Magharibi, ont déclaré, le 5 novembre, se réunir pour étudier l’éventuelle prise de nouvelles décisions suite à l’échec du dialogue national.
Ils assurent avoir effectué toutes les concessions nécessaires au niveau des processus gouvernemental, constitutionnel et électoral, mais l’obstination de la Troïka, dirigée par Ennahdha, à camper sur ses positions et refusant toute concession sur la nomination du prochain chef du gouvernement avait fait échouer le dialogue national.
Encore une fois, la Troïka, Ennahdha en tête, s’est nourrie de la faiblesse de l’opposition et a fait d’une pierre deux coups : gagner encore du temps et redistribuer les cartes … En attendant, l’avenir de la Tunisie est plus que jamais incertain.
Hajer Ajroudi