Dans les moments graves et de tristesse, les Tunisiens, dans leur extrême diversité, ont su faire montre d’une grande dignité, sagesse, fidélité et maturité.
La disparition de Béji Caïd Essebsi les a unis, tous ont exprimé leur reconnaissance à l’homme d’État exceptionnel. A l’homme qui a consacré plus de 60 ans de sa vie au service du pays, tout en se prévalant comme défenseur invétéré de la liberté, du droit, de la démocratie, de l’ouverture, de la tolérance et de la civilité de l’Etat.
Une mort qui a été un véritable test pour la solidité des institutions et du substrat démocratique. Au premier choc, la construction de cet édifice a montré une indéniable résilience. Les Tunisiens ont exprimé leur reconnaissance, les familles politiques, toutes tendances confondues, ont manifesté leur fidélité à un héritage, à un processus vertueux faisant preuve d’un grand sens de responsabilité.
En dépit des inquiétudes injustifiées exprimées par certains médias arabes, qui ont servi et servent encore des agendas suspects et par certaines figures connues pour leur dogmatisme et leurs penchants obscurantistes, le pays est sorti de cette épreuve soudé faisant réfléchir une image valorisante de ce que l’alternance pacifique au pouvoir doit être.
Ceux qui ont été outrés de voir qu’il ne se passe rien en Tunisie, suite au décès de Béji Caïd Essebsi, ne peuvent que déchanter, parce qu’ils se sont trompés d’adresse, ne saisissant pas la particularité du modèle national et l’attachement des Tunisiens à leur démocratie.
Les Tunisiens ne peuvent que tirer fierté et orgueil de la passation des pouvoirs en toute quiétude et de la poursuite du cours normal de la vie dans un pays blessé, mais qui a su interagir, parvenant à fixer en un temps record la date des élections anticipées. Le pays a administré la preuve qu’il est fort de ses institutions, de ses hommes et de tous ceux qui croient en son expérience démocratique. Il ne s’est rien passé d’anormal, parce qu’il n’y a pas lieu que le départ d’un président soit le déclencheur d’une déstabilisation, d’une explosion de la violence ou d’une exacerbation de la colère. Il ne s’est rien passé parce que les Tunisiens ont retenu rapidement la leçon en saisissant que la clef réside dans leur respect de la Constitution et dans leur acceptation de cohabiter avec leurs différences et leurs oppositions.
En dépit de la douleur et de la tristesse qui ont gagné tout le monde, la Tunisie a réussi son examen de passage, donnant un bel exemple d’alternance pacifique au pouvoir et prouvant que les craintes pour sa stabilité n’ont pas lieu d’être, parce qu’elle a pu se doter à temps d’institutions fortes et élever participation, liberté, droit et modernité au rang de vertus cardinales. Partant, la mort de Béji Caïd Essebsi a été un indicateur probant de l’existence d’une alternative possible qui permet aux acteurs politiques et sociaux d’agir autrement et de trouver des lignes de convergence quand il s’agit des intérêts supérieurs du pays et de son modèle sociétal.
Le problème crucial qui pourrait surgir du départ du président Béji Caïd Essebsi concerne l’avenir du processus démocratique et la façon avec laquelle les acteurs politiques et sociaux vont gérer, le jour d’après, tous les dossiers en suspens. Quelles réponses faut-il trouver ensemble à une grave crise politique, économique et sociale aujourd’hui à l’origine d’un désenchantement national, de perte de confiance et d’absence de perspectives ? Dans quelle mesure ceux qui allaient prendre la relève, seraient-ils en mesure de poursuivre son œuvre, notamment en matière de préservation de la civilité de l’Etat et de la fédération des énergies et des volontés ? Le vide que laisse le président défunt sera essentiellement de leaderships, de vision et de méthode d’action. L’inflation de formations politiques n’est pas tout le temps synonyme de consistance, de capacité de mobilisation ou de présentation d’alternatives crédibles aux Tunisiens.
Le grand défi des prochaines élections serait incontestablement celui de la capacité des Tunisiens à se mobiliser pour renouveler la classe politique, se défaire de leur pessimisme et désaffection de la politique pour conduire le changement, renforcer les fondements de l’Etat moderne et fournir des réponses qui ouvrent les voies de l’espérance devant les jeunes et les moins jeunes.
La question qui se pose avec une grande acuité renvoie à la possibilité historique offerte aux Tunisiens de porter aux devants de la scène des leaders capables de les fédérer, de restaurer leur confiance perdue, de garantir les libertés et les droits et de se prévaloir comme acteurs agissant dans la relance de la croissance économique et du bien-être social. Ceux qui vont prendre la relève, seront investis de la mission, ô combien ardue, de conforter cet héritage et surtout, de poursuivre l’œuvre du président disparu en orientant tous leurs efforts vers le développement, la conduite du changement, la réponse aux attentes des Tunisiens, de tous les Tunisiens.
Il ne s’agit point de marquer une rupture avec un legs, mais de faire en sorte que ceux qui se bousculeront au portillon du palais de Carthage, en septembre prochain, aient conscience de l’ampleur des défis à relever pour que cette démocratie perdure, que le désespoir s’estompe et que l’inclusion se consacre.