Le laboratoire britannique Astrazeneca est optimiste pour une livraison à grande échelle à partir du mois d’octobre, une promesse qui interroge le milieu scientifique

« Le projet annoncé aujourd’hui, c’est mettre Sanofi et la France à l’excellence de la lutte contre le virus et pour trouver un vaccin ». Emmanuel Macron qui fait copain-copain avec les dirigeants de Sanofi avant la visite guidée du site de Marcy-l’Etoile (Rhône-Alpes), l’une des plus grandes usines de production de vaccins en Europe. Un rabibochage sur lequel on n’aurait pas misé un kopeck il y a un mois, quand les dirigeants du labo pharmaceutique se faisaient tirer les oreilles pour avoir proposé le remède contre le Covid-19 aux Etats-Unis en priorité.
Sauf que la maladie continue à progresser à l’échelle planétaire, que Pékin se reconfine partiellement, et que l’hypothèse d’une seconde vague est déjà une réalité en Iran.

*Cinq projets déjà entrés dans la dernière phase de test
Dans ces conditions, tout espoir est bon à prendre. Il y a l’un des deux candidats-vaccins sur lesquels travaille Sanofi, qui a profité de la visite du président pour annoncer 500 millions d’investissement sur une nouvelle usine capable de produire quatre vaccins à la fois à Neuville-Sur-Saône, pas loin de la maison-mère. Ou alors celui des Anglais d’Astrazeneca, qui déboule vent dans le dos depuis sa communication en grande pompe samedi dernier, après la conclusion d’un accord avec « l’alliance inclusive pour un vaccin », constituée de l’avant-garde européenne (France, Allemagne, Italie, et Pays-Bas).
« Un accord qui garantit que des centaines de millions d’Européens aient accès au vaccin de l’université d’Oxford après son approbation. Nous espérons rendre le vaccin largement et rapidement disponible », selon son PDG Pascal Soriot, qui a même avancé sur BFMTV : « On saura en septembre si le vaccin marche, et on sera capable de le distribuer à grande échelle à partir du mois d’octobre » Soit moins de neuf mois pour trouver, fabriquer, et distribuer un vaccin à 400 millions de personnes, quand le record établi jusque-là plafonne à cinq ans pour un vaccin contre Ebola, une maladie à laquelle se frottent les meilleurs scientifiques du monde depuis 1976. Une promesse qui laisse pour le moins pantois. Comment réaliser pareil miracle, si tant est que ce soit possible ? 20 minutes se penche sur la question avec l’aide de Daniel Floret, président du Comité technique des vaccinations, rattaché au Haut conseil de santé publique.

*Oxford travaille sur un vaccin dérivé de l’adénovirus de chimpanzé
Commençons donc par les fameuses recherches de l’université d’Oxford. Le vaccin AZD1222 que développe l’équipe dirigée par le professeur Sarah Gilbert est basé sur un adénovirus modifié touchant les chimpanzés. Il permet sur le papier de « générer une forte réponse immunitaire avec une seule dose », si bien qu’il « ne peut pas causer d’infection continue chez l’individu vacciné ». Voilà pour l’idée de départ. Daniel Floret nous explique le mode d’emploi pour la vérifier en respectant un peu mieux les protocoles que les disciples Raoultiens.
« Un essai pour un vaccin comporte quatre étapes. D’abord une phase préclinique qui se passe chez l’animal, afin de sélectionner les antigènes capables d’entraîner une réaction du système immunitaire. Puis un développement clinique en trois phases chez l’humain. On teste quelques volontaires sains, pour confirmer l’effet de l’antigène et établir une posologie. Puis on entre dans une phase deux sur un échantillon plus grand, afin d’évaluer les effets secondaires éventuels. Puis enfin une phase 3 avec un test à très grande échelle, avec, comme pour les deux premières phases, un groupe placebo en contrôle ».
Précisons ici que la phase 3 représente déjà un certain budget, dans le demi-million de dollars sur une procédure classique, menée pendant plusieurs années, comme l’expliquait récemment Frédéric Tangy, chercheur au CNRS affecté au laboratoire d’innovation vaccinale de l’Institut Pasteur. Eh bien figurez-vous que l’équipe d’Oxford a déjà entamé la phase 3, presque en même temps que deux concurrents chinois et les Américains de Moderna, pour parler des quatre ou cinq projets les plus avancés en termes de recherche scientifique.
Concrètement, l’université britannique a annoncé un premier test différencié (candidat-vaccin et placebo, dans ce cas un vaccin contre la méningite régulièrement donné aux adolescents) sur deux volontaires le 22 avril dernier. Les deux volontaires sont devenus 1.102, tous entre 18 et 55 ans, recrutés exclusivement en Angleterre. Et enfin 10.260 depuis début juin, payés jusqu’à 600 euros par tête, avec l’inclusion dans l’essai des patients de plus de 56 ans et des enfants de 5 à 12 ans « pour constater s’il y a une variation sur la façon dont le système immunitaire répond en fonction de si on est un adulte ou un enfant », détaille Andrew Pollard, le responsable du laboratoire de vaccination de l’université britannique.

*« La phase 3 doit être incontournable et peut durer plusieurs mois »
Un tour de force qui laisse Daniel Floret songeur : « La phase 3 doit être incontournable. Il faut des milliers de sujets suivis pendant plusieurs mois. Cette logique de nombre dépend en partie de l’importance de la circulation de la maladie. Parce que pour tester l’efficacité du vaccin, il faut qu’une partie non négligeable des volontaires attrape le Covid-19 dans un délai relativement court. En France, par exemple, je ne suis pas sûr qu’on puisse mener pareille étude aujourd’hui parce que la maladie a reculé, ça prendrait trop de temps, sans doute six mois. Si c’est un pays où le virus est encore vivace, l’essai pourra être mené dans des délais plus courts ».
Consciente que le taux d’incidence du Covid-19 en Grande-Bretagne montre lui aussi un net reflux ces dernières semaines, l’université d’Oxford a conclu un partenariat avec les autorités sanitaires brésiliennes pour inclure in extremis 2.000 patients de la région de Sao Paulo dans l’essai, en plus de travailleurs britanniques en première ligne. « Le plus important, c’est de mener à bien cette étape de l’étude dans un pays où la courbe épidémiologique est toujours en train de monter pour donner des résultats plus intéressants », confirme Lily Yin Weck, coordinatrice du centre d’immunologie de l’université de Sao Paulo.
Les Américains ont visé encore plus large (30.000 volontaires), avec le même objectif : présenter un résultat définitif en septembre. « Un calendrier hautement ambitieux » assumé par Andrew Pollard, qui sert sans doute de base de travail au PDG d’Astrazeneca dans ses dernières déclarations. Sauf que si le vaccin a réellement démontré son efficacité d’ici là – ce qui reste encore à prouver, puisque à la fois l’équipe d’Oxford et Astrazeneca reconnaissent, dans les petits alinéas en bas des communiqués de presse, « que le vaccin pourrait ne pas fonctionner » –, il restera tout de même à franchir l’étape de l’autorisation de mise sur le marché du produit tant attendu.

*L’étape décisive de l’autorisation de mise sur le marché
Si Daniel Floret imagine sans peine la montagne de pression que devront supporter les différentes institutions garantes de la transparence du processus de validation, notamment l’Agence européenne du médicament, pour compresser des délais d’autorisation qui prennent plusieurs mois en moyenne avec des allers-retours entre le laboratoire et les experts de l’agence, le président du comité technique des vaccinations s’inquiète des possibles effets secondaires du vaccin qui sera présenté comme le sauveur à la rentrée.
« Il me semble difficile de se lancer sur des essais à large échelle tant qu’on n’en sait pas plus là-dessus. Il y a déjà eu des tentatives de vaccin contre le SARS et contre le MERS, deux autres coronavirus, qui dans les phases de développement ont fait apparaître des lésions pulmonaires graves ». Pas de chiffre plancher gravé dans la pierre, mais une jurisprudence bien ancrée dans le milieu. Des syndromes de Gullain-Barré repérés pour un vaccin contre la grippe porcine développé aux Etats-Unis. De l’ordre d’un cas sur 100.000.
« A ce niveau de récurrence, on s’interroge. C’est la fameuse balance bénéfice/risque. Si vous avez une maladie mortelle pour 70 % des malades, on acceptera plus facilement des effets indésirables qui peuvent entraîner la mort. Mais dans le cas du Covid-19, avec une mortalité très faible, on sera beaucoup plus exigeant. Je suis assez convaincu que lorsqu’il faudra donner des autorisations de développement, les structures concernées prendront beaucoup de précautions ». Précautions d’autant plus compréhensibles que le vaccin devrait certainement être inoculé à des centaines de millions de personnes, une proportion jamais vue dans l’histoire de la médecine. Or, pour l’instant, l’équipe de Sarah Gilbert n’a rien laissé filtrer sur l’éventuelle nocivité de son vaccin, indiquant seulement que les recherches « avançaient bien ». Un certain flou qui inquiète les chercheurs, stupéfaits par la course à l’échalote qui s’est engagée chez les labos pour trouver le Saint-Graal.

*« Ça ne sert à rien d’aller trop vite »
« Ça ne sert à rien d’aller trop vite : passer des tests sur l’animal à l’homme aussi rapidement ? Restons sérieux. Quand je vois les barrières de contrôle qui sautent à droite à gauche, ça pose quelques questions éthiques sur lesquelles il faudra revenir plus tard », s’étonnait récemment dans 20 Minutes Morgane Bomsel, spécialiste de l’immunologie à l’Institut Cochin. Rien que cette dernière étape administrative de la mise sur le marché rend « très difficile » la probabilité d’un vaccin efficace ET autorisé avant la fin 2020, se risque Daniel Floret, lequel n’est pas spécialiste des démarches qui devraient suivre si le vaccin d’Oxford passait in fine le cut des différents contrôles.
Si la recherche scientifique a progressé à la vitesse de la lumière sur le Covid-19 en raison d’une mobilisation planétaire inédite des différents instituts, c’est bien le robinet de liquidités grand ouvert par les gouvernements et les labos qui permettra peut-être de faire « sauter » les compteurs établis par Ebola. C’est à celui qui sortira la plus grosse liasse de billets. Larguée par les Etats-Unis au printemps, l’UE compte bien rattraper son retard avec une levée de fonds qui porte à 4,4 milliards d’euros la part publique de l’aide au vaccin. Un magot généreux qui vise à partager les risques avec les labos, contraints de commencer à produire à profusion sans même avoir la certitude que leur candidat-vaccin aura son bac. Voilà donc résumé le grand bouleversement induit par la recherche d’un vaccin contre le Covid-19 : inventer un produit à l’efficacité pas encore démontrée afin d’être capable de livrer tous les continents à la vitesse d’un Rafale.

*La finance publique plus incitative que jamais
Astrazeneca vient ainsi d’annoncer une salve d’accords avec des producteurs implantés un peu partout dans le monde pour établir sa chaîne de production. Emergent Biosolutions aux Etats-Unis, le Serum Institut of India où vous devinez, Catelant en Italie, et Novasep en Belgique. Si ce dernier allié de circonstance, dont le siège social est situé tout près de celui de Sanofi, a indiqué qu’il ne serait pas capable de conditionner le vaccin AZD1222 avant « courant 2021 », Catelant a précisé de son côté qu’il était dans les starting-blocks pour remplir ses tubes « à partir d’août 2020 jusqu’à mars 2022 », rendant (un peu) plus plausible l’espoir d’un remède à l’automne. Cela ne coûte rien d’y croire.

(20 Minutes)

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