Le “Livre noir” de la Présidence: une honte pour la République

''Le Système de propagande sous Ben Ali'' ou la «liste noire» des journalistes corrompus, longtemps attendue par tous, vient de tomber ! Il ne s’agit pas d’une liste établie par le syndicat des journalistes, pas plus que d’une publication réalisée par le ministère de la Justice transitionnelle, mais d’un livre édité par la présidence provisoire de la République !

De nombreuses personnes ont été surprises de voir le livre présenté par Salah Attia, zeélateur réputé de Leila Ben Ali et du régime déchu, sur une chaîne de télévision, Al Motawasset, connue pour être proche de la Troïka…

 

Étrangement, la scène d’une pareille présentation nous projette dans le passé, à une époque que nous croyons révolue et que le livre même prétend combattre : l’avant 14 janvier et les médias valorisant les «réalisations du régime.»

Publier les noms de personnes ayant aidé l’ancien régime à tenir toutes ces années et faire justice à tous ces gens dont la réputation a été éclaboussée, voire dont la vie a été brisée par les écrits de journalistes à la solde du système est et reste, une revendication légitime.

Les journalistes et les hommes de médias  qui n’ont rien à se reprocher, demandent, depuis deux ans, l’ouverture du dossier. D’un côté, ils veulent connaître  les noms de ceux qui ont gangréné le secteur de l’intérieur, empêchant toute possibilité de liberté d’expression et d’épanouissement personnel et d’un autre, ayant abattu la colère populaire sur les médias. Aujourd’hui, des journalistes honnêtes se font agresser, insulter, sont chassés des lieux de couverture des événements  et sont accusés d’appartenir aux «médias de la honte» à cause de leurs collègues incriminés.

Les anciens militants, la population, l’élite tous veulent connaître les noms de ceux qui ont nourri le système et qui ont trahi leur profession en étouffant la possibilité de toute revendication et réclament le droit de savoir. Mais la nouvelle de la sortie du livre ne comble pas ces attentes et pour cause, un véritable court-circuit a été opéré par cette publication.

 

État de droit

Le président provisoire, « ancien militant des droits de l’Homme » et ayant toujours vanté les mérites de la justice transitionnelle, a trouvé en la publication d’un pareil livre, la possibilité de faire passer ce qu’il n’a pu réaliser par les lois. Mais il a oublié que l’exigence d’ouvrir le dossier des journalistes corrompus vient de l’aspiration des Tunisiens à construire un État de droit. Or, dans un État de droit, accuser les gens de corruption ne se passe pas en dehors des tribunaux, mais via la voie de la justice. Il passe ainsi outre les fondamentaux des Droits de l’Homme et affiche un total mépris des lois et des institutions en publiant une liste de personnes n’étant pas passées devant le juge ni ayant pu jouir de leur droit à la défense.

Le président provisoire fait preuve également d’un dépassement inacceptable dans un pays ayant connu une Révolution : celui du pouvoir exécutif qui s’immisce dans la justice. Le ministère de la Justice transitionnelle est ainsi court-circuité. Le président provisoire – éditeur – court-circuite aussi le syndicat des journalistes tunisiens…

Il a également ouvert, en collaboration avec son bureau de presse et les personnes ayant participé à l’élaboration du livre, une archive qui devait être consultée par un comité spécial désigné pour trancher dans cette affaire et composé d’historiens, d’hommes de loi et de médias.

Tant d’infractions commises par le Président provisoire dans cette publication dans un pays qui se veut démocrate… Pis encore le Président tente, à travers ce livre, de gagner des voix et de se faire «apprécier» , dans un geste plutôt populiste et irréfléchi dans une période de crise où le citoyen perd confiance en la classe politique.

 

L’arroseur arrosé

Et si l’on voulait procéder dans cette logique de délation sur laquelle s’est appuyée la présidence et ses collaborateurs dans l’élaboration du livre, nous découvrirons rapidement que le nom du président provisoire Moncef Marzouki figurerait en tout mérite sur la liste en question. Ainsi, lui qui a toujours assuré s’être toujours opposé à Ben Ali, a écrit dans un article titré « Pour que réussise l’élève la Tunisie » et paru le 25 mars 1989 sur les pages d’Essabah : «Pour que viennent ces 99% non pas en réveillant en nous l’ironie mais pour exprimer la confiance que nous avons en l’homme du consensus, pour qu’il soit le président de tous les Tunisiens et non pas celui des uns et pas des autres et de l’attente que cette confiance soit réciproque ».

En matière d’articles, les phrases ci-dessus citées, parues en soutien à l’ancien président Ben Ali à la veille des élections d’avril 1989, ne constituent nullement une exception puisqu’il avait publié d’autres écrits allant dans le même sens.

Ainsi, si nous voulions passer outre le mépris des lois et des droits dont le président se réclame, et supposons même que le droit lui revenait d’écrire aujourd’hui pareil livre, en consultant les pages, l’on constate qu’il tombe lui-même dans une campagne de diffamation qu’il dirige à l’encontre de ceux qu’il cite. Il éclabousse la réputation de personnes innocentes et omet de citer celles qui sont fortement et publiquement impliquées…

 

Menaces

Outre les dépassements commis et le fait de tenter, via ce livre, de manipuler l’opinion dans la promotion de sa propre image, le Président met en danger la vie des personnes citées. On ne peut trancher de l’acquittement ou de l’implication des personnes dont le nom a été publié, car cela nécessiterait une procédure judiciaire, mais la certitude est que certaines d’entre elles peuvent être agressées, harcelées, si ce n’est pire…

Le président aura choisi une période d’insécurité, où nous avons connu deux assassinats politiques et où des listes de journalistes menacés de mort sont établies, afin d’en rajouter «une couche» et d’offrir à qui le souhaite le prétexte de de légitimer ses violences. …

Par Hajer Ajroudi

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