Le logement dans toutes ses dimensions: Le rêve confronté à la réalité !

La problématique de base à l’heure actuelle en matière de logement réside dans la flambée des prix au moment où le pouvoir d’achat du Tunisien moyen connaît une dégradation sensible depuis quatre ans. Quelles sont les véritables raisons de cette situation ? Quelles dispositions faut-il prendre pour résoudre cette équation ? La promotion immobilière se trouve être au centre de cette problématique : quel rôle en réalité ?

Il y a une moyenne de 95.000 mariages légaux par an en Tunisie, sans compter les mariages « orfis » pour lesquels il n’y a pas de statistiques fiables. Les spécialistes estiment que les besoins du marché du logement sont de l’ordre de 77.000 logements nouveaux par an.

Les statistiques qui font la comparaison entre le résultat des recensements officiels et ceux des permis de bâtir accordés par les municipalités sous l’égide du ministère de l’Equipement et de l’Habitat font que l’habitat anarchique représente 37% de l’ensemble des logements construits.

C’est un taux catastrophique car ce sont des logements construits sans respect des normes techniques, ni prise en considération du code de l’urbanisme : une source de problèmes juridiques, financiers, d’hygiène, de santé…

Il y a un déséquilibre profond entre offre et demande, notamment un déficit de l’offre en matière de logements sociaux et économiques.

En effet, le Tunisien a une affection particulière pour l’auto-construction même si elle coûte cher et comporte une multitude de tracasseries administratives et techniques : 80% des logements sont construits ainsi. La promotion immobilière ne construit que 10% des logements selon les statistiques officielles et ce malgré les apparences.

On dénombre seulement 2% de logements sociaux, 33% de logements économiques, le reste étant du moyen et du haut standings pour la promotion immobilière.

Le marché demeure demandeur car il se construit moins de 60.000 logements officiellement par an en Tunisie.

Entre le marteau et l’enclume

La profession de promoteur immobilier souffre en fait de difficultés multiples et se trouve dans une position inconfortable pour plusieurs raisons. Il faut savoir qu’un promoteur qui se respecte et qui vient de terminer et de vendre un programme immobilier (10 à 100 appartements selon la taille), doit alors en entamer un autre : le mettre en chantier sur un terrain acheté depuis quelques années déjà tout en cherchant de nouveaux terrains pour l’avenir.

Tout cela demande beaucoup d’argent, une petite part en fonds propres et une grande partie en crédits bancaires. Sauf que pour les gros promoteurs assis sur un matelas de bénéficies capitalisés, le compteur des intérêts bancaires commence à courir dès le début alors que le cycle de l’immobilier c’est quatre à cinq ans pour un même projet.

C’est pourquoi la première contrainte pour un promoteur c’est le temps, or il est “bien servi” en la matière puisque la moyenne des délais pour la paperasse est de six mois pour un permis de bâtir, un an pour un plan de lotissement et six ans pour les plans d’aménagement urbain. Il y a là beaucoup de lenteurs administratives.

D’ailleurs depuis le 14 janvier la perte d’autorité de l’Etat a fait qu’il n’y plus de normes ou plutôt aucun respect des délais réglementaires.

Sur 2800 promoteurs agréés, 800 seulement sont actifs. En 2010, avant la Révolution, les promoteurs ont construit 13600 logements. Ces chiffres sont tombés à 6000 en 2011 suite à des difficultés de toutes sortes dont la désertion des ouvriers et le détournement des clients.

Certes il y a eu une légère reprise par la suite mais les chiffres sont restés au niveau de 60% des réalisations de 2010 : 8670 en 2012, 8460 en 2013 et autant en 2014 même s’il n’y a pas encore de chiffre officiel.

En somme, après le boom de la profession il y a eu une régulation et une stabilisation suite à l’émergence de plusieurs facteurs nouveaux comme la flambée des prix, la rareté des terrains et de la main-d’œuvre, le manque de liquidités chez les banques et la baisse du pouvoir d’achat chez les clients. La totale, ou presque.

Pourquoi la flambée des prix ?

Pour M. Fahmi Chaabane, président de la Chambre syndicale des promoteurs immobiliers (UTICA), il y a eu une hausse vertigineuse des prix du logement au cours de ces dernières années alors que le pouvoir d’achat du Tunisien n’a pas cessé de régresser de façon sensible. La classe moyenne a été laminée et n’arrive plus à joindre les deux bouts rien que pour l’alimentation.

M. Chaabane impute cela à la conjugaison de plusieurs facteurs : la rareté et le coût élevé des terrains susceptibles d’être construits, ce qui entraîne une spéculation monstre et la hausse vertigineuse des prix des matériaux de construction : ciment, briques, matériaux de carrière.

La main-d’œuvre qualifiée dans les métiers du bâtiment, déjà rare avant 2010, a vu son coût connaitre une hausse incroyable depuis quatre ans et les entreprises de bâtiment souffrent souvent de fragilités financières inquiétantes.

Les plans d’aménagement ne permettent pas souvent des constructions en hauteur et une forte densité d’habitat, ce qui aurait permis d’alléger le coût de l’assiette foncière.

Parmi les propositions avancées par le président de la Chambre des promoteurs immobiliers, celles de porter la durée de remboursement des prêts-logements de 25 à 30 ans, ramener la part d’autofinancement des candidats au logement de 20% à 10% et celle des TRE de 30% à 15%.

M. Chaabane a également proposé de supprimer l’autorisation du gouvernement pour ce qui est de l’accès à la propriété foncière des étrangers. Cela a permis à certains pays de développer le tourisme résidentiel, source d’animation économique régionale et de recettes en devises. Les promoteurs immobiliers souffrent des longs délais et des complications administratives pour l’obtention des permis de bâtir et du coût des raccordements STEG et SONEDE, la délivrance des titres de propriété foncière ainsi que des frais élevés d’enregistrement des contrats de vente.

Y a-t-il une bulle immobilière et menace-t-elle d’éclater ?

Certes, l’image d’une bulle qui gonfle de plus en plus jusqu’au point d’éclater un jour est séduisante en elle-même, d’autant plus que cela a eu lieu, dans le passé, en France et en Espagne au point d’engendrer par la suite une inflation galopante et un effondrement des prix. Cependant les conditions de cette bulle ne sont pas remplies en Tunisie du moins dans l’état actuel des choses.

Les prix ont effectivement augmenté de façon sensible mais il n’y a pas mévente car il y a un déficit de l’offre sur le marché par rapport à la demande, dont une partie demeure insatisfaite, notamment de niveau social et économique.

On peut, tout au plus, constater un ralentissement des ventes pour le haut standing, ce qui pousse les promoteurs à réajuster le rythme des mises en chantier. En fait le marché s’équilibre de lui-même par le libre jeu de la concurrence d’abord et, ensuite, par le rythme impulsé par les promoteurs à l’avancement de leurs chantiers : on attend que la moitié ou les 2/3 d’un programme soient déjà vendus avant d’entamer un nouveau chantier, même si tout est prêt pour cela. La bulle immobilière, selon les professionnels du secteur, c’est une vue de l’esprit.

Le secteur a certes connu un boom dans les années 80 et 90. A l’époque les appartements se vendaient sur plan.

Durant les années 2000 les gens achetaient les appartements après visite d’un appartement témoin alors que le chantier était toujours en cours. Depuis 2010 les appartements haut standing attendent trois à six mois après la fin du chantier pour être vendus. Par ailleurs, les banquiers affirment qu’ils n’ont pas d’impayés avec les promoteurs qui honorent leurs engagements à l’échéance.

On n’a pas entendu parler de promoteur qui a fait faillite, ni de promoteur qui brade ses appartements sauf peut-être des cas rarissimes portant sur des intrus de petite taille.

On peut, à l’occasion, d’un salon faire une promotion ou une remise symbolique de 5 ou 10% par exemple lorsqu’il s’agit d’un paiement au comptant. Mais jamais de soldes. Dans l’immobilier en général la réévaluation des prix, c’est en moyenne 10% par an selon les experts.

Le Tunisien et le logement

Selon Hassen Zargouni, le rêve du Tunisien moyen, c’est d’avoir un logement et une voiture. C’est pourquoi, les pouvoirs publics ont mis en place tout un dispositif orienté vers cet objectif depuis plus de trente ans : AFH, SNIT, CNEL devenue ensuite Banque de l’Habitat puis la promotion immobilière.

Pour le Tunisien, le premier crédit à obtenir est un crédit-logement. Ce modèle à succès est peut-être arrivé à ses limites mais la promotion immobilière demeure un métier d’avenir selon le statisticien-sondeur d’opinion.

Le logement c’est 2,4% du PIB et il y a toute une filière comprenant le bâtiment qui emploie 450.000 salariés.

Selon SIGMA conseil,boite de sondages de Hassen Zargouni, il faut trouver des pistes de croissance et revoir la gouvernance du secteur, notamment résoudre le problème des terrains à bâtir au niveau de l’AFH.

Il y a dans le pays 3,3 millions de logements contre 2,7 millions de ménages. La famille moyenne c’est quatre personnes. C’est pourquoi, la taille des logements la plus demandée ce sont des S+1 et S+2. Pour les superficies, 42% des logements varient entre 100 et 150 m2 plutôt 120m2. Il y a certes 18% de logements vacants, ce qui est déjà beaucoup.

Il y a plusieurs explications possibles à cela. D’abord les résidences secondaires, une mode qui prend de l’ampleur avec la notion de vacances, et qui se développe surtout dans les sites balnéaires. Ensuite le nombre croissant de logements acquis par les TRE en prévision de leur retour définitif et des séjours lors des congés. Il faut dire que le STIPA favorise l’acquisition de logements par les TRE. Une exportation in situ et une rentrée de devises qui soulage les promoteurs. Enfin, il y a des investisseurs qui achètent des appartements en vue de les louer : immeubles de rapport.

Si le montant du loyer ne convient pas ou si le profil du locataire n’est pas correct ou s’abstient de louer, cela n’empêche pas que 77% des Tunisiens sont propriétaires de leurs logements même s’il y a surendettement.

Le Tunisien recherche l’accès à la propriété d’un logement à partir de quarante-cinq ans.

Selon Zargouni l’avenir de la promotion immobilière réside dans l’orientation vers trois directions :

Introduire plus de transparence et de proximité-client en pratiquant des marges bénéficiaires raisonnables

Prendre de façon plus efficace les doléances des promoteurs vis-à-vis des pouvoirs publics pour simplifier les formalités, procédures et autres entraves fiscales.

Instaurer des indices fiables dans l’immobilier pour introduire plus de clarté et de transparence dans le cadre d’un baromètre des prix.

Une image faussée et un défaut de communication

La focalisation des promoteurs sur les logements de grand standing et la concentration de la majorité des programmes immobiliers sur certaines zones comme les jardins de Carthage, Ain Zaghouan, Sidi Daoud, Ennasr, Les Berges du Lac Nord… donnent une impression de bulle immobilière et de densité forte.

En outre, la publication de certains prix élevés favorise une fausse image du promoteur immobilier qui s’enrichit en pratiquant des marges abusives sur le dos des candidats au logement qui peinent à rembourser des échéances lourdes à soustraire sur de salaires modestes.

L’irruption de plusieurs intrus dans la profession qui pratiquent des prix qui sortent de la logique et non compatibles avec le pouvoir d’achat du Tunisien moyen a beaucoup nui à l’image de la profession.

La Chambre syndicale des promoteurs immobiliers gagnerait à organiser une grande campagne de communication pour dissiper cette image et promouvoir une image citoyenne et positive dans l’intérêt du pays.

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