Le long martyrologue du patrimoine tunisien

Qui aurait pu imaginer un seul instant qu’en ce début du 21e siècle, un homme de religion, un cheikh de l’Islam, en viendrait à qualifier de “haram”… l’assida du Mouled. Heureusement, les Tunisiens  ne sont pas des montons de Panurge, ainsi que la Révolution du 17 décembre et du 14 Janvier l’a démontré, et ils ne sont pas prêts à suivre les mauvais bergers, même quand ceux-ci se présentent comme des tenants éclairés de la religion. Le bon sens a prévalu et les files d’acheteurs ont prouvé que la tradition séculaire de l’assida —qu’il s’agisse de la populaire “blanche” faite de semoule ou de farine ou de celle plus élaborée avec la crème de noisettes ou de pin d’Alep et artistiquement décorée —a été respectée, avec ses échanges entre voisins et amis, à la grande joie des petits et des grands. Comme les Chrétiens qui fêtent Noël, nous fêtons le Mouled, deux fêtes pour honorer deux prophètes !

Ayant débuté (voir les N° précédents) par ceux de Saïda Manoubia et de Sidi Bou Saïd El Béji, les destructions et tentatives de distruction des marabouts et mausolées des Saints se sont accélérées à l’approche de Mouled : on signale entre autres celles de Sidi Abdelkader Jilani  Menzel Bouzelfa, de Sidi Ali Ouerfelli à Akouda, de Sidi Ali Ben Salem à El Hamma, de Sidi Knaou à Matmata. Dans d’autres, les cérémonies ont été troublées. A Sidi Boulbaba (Gabès), une blogeuse a été insultée et jetée dehors, de même qu’à Djemal, c’est Abdelfattah Mourou qui a été frappé alors qu’il s’apprêtait à donner une conférence sur le Mouled, organisée par le bureau local d’Ennahdha !

“Nos” salafistes veulent ainsi suivre l’exemple de leurs “frères” du Mali, mais ici les protestations de la société civile devraient les faire reculer, d’autant plus que les autorités s’y sont jointes : le président de la République, le Chef du Gouvernement qui a déclaré “Ces actes, basées sur des différends idéologiques, sont inacceptables et contraires à l’esprit de tolérance des Tunisiens”, tandis que le ministre de la Culture annonçait des mesures afin de lutter contre le profanation des mausolées, en collaboration avec le ministère de l’Intérieur. Certes, la société civile doit, elle aussi, s’impliquer dans la défense de son patrimoine, mais elle est bien mal armée contre ces fanatiques qui manient des cocktails Molotov et des armes blanches.

Malgré tout, Sidi Bou Saïd a pu fêter le Mouled dans un mausolée (presque) réhabilité, grâce à l’effort de sa population, dirigée par son Maire Abderraouf Dakhlaoui, et l’aide d’amis tunisiens et étrangers horrifiés par cette profanation.

 

* Des prêches qu’on souhaiterait ne plus entendre : Il s’agit de ceux, tout récents, du Cheikh Nabil Al Aouadi, prédicateur koweïtien, en visite dans notre pays, qui a annoncé qu’il allait lancer à travers la République une “campagne d’apprentissage du Coran” pour un million de personnes, de passage à Zarzis, il s’est extasié devant des petites filles de 6 ans portant le hijeb en les qualifiant de “petites princesses de Zarzis”. Les Tunisiens, qui remplissent les mosquées et qui apprennent le Coran depuis leur petite enfance, seraient-ils des “sauvages” ou des mécréants qu’il faut islamiser (de force peut-être) ? Quant à nos fillettes de 6 ans, nous les considérons comme de “petites princesses” même sans hijeb ou niqab !

L’autre prêche, c’est celui de Hassan Salmi, imam de la mosquée d’Al Manar (Tunis) qui a qualifié “d’idée diabolique” la loi sur la neutralité des mosquées, qui a pour but de restreindre les lieux de culte à la prière. Il menace de “mettre le feu au pays” si cette loi est adoptée. On appréciera le fanatisme d’un tel homme de religion, n’est-ce pas là plutôt que l’on peut parler d’une idée diabolique ?

 

* Concertations tous azimuts : L’allocution du Chef du gouvernement, hier samedi 26/1, a été un constat d’échec. Le remaniement ministériel, prévu depuis des semaines et annoncé à trois reprises, n’a pas pu être réalisé. C’était fatal, à partir du moment où Ettakatol et le CPR, sérieusement amputés de nombreux députés qui ont rejoint des groupes de l’opposition, demandaient une nouvelle répartition des postes et l’obtention d’un ou deux portefeuilles régaliens, les autres partis politiques représentés dans l’hémicycle présentaient leurs conditions sine qua non, enfin Ennahdha tient plus que tout à conserver l’Intérieur, la Justice et les Affaires étrangères, qui sont, il est vrai, les rênes du pouvoir et auxquels la Choura n’entent pas renoncer. Quant à la société civile, elle opte pour une équipe ministérielle restreinte, composée en partie de compétences et de spécialistes et que, surtout, les postes régaliens soient attribués à des personnalités neutres. Comme on le voit, c’est la quadrature du cercle, et on se demande bien comment, tel qu’il l’a annoncé à la fin de son discours, peut bien espérer présenter son cabinet à l’ANC d’ici quelques jours, afin d’obtenir l’aval des représentants du peuple ! Si c’est le statu quo et que le ministère est accepté quant même, tout continuera comme avant, cahin-caha, à la grande colère de l’opposition et, ce qui est plus grave, de la population. Mais si la formation ministérielle est refusée, que va-t-il se passer ? C’est l’inconnu, d’où l’inquiétude qui grandit à vue d’œil à travers le pays tout entrer.

De son côté, Nida Tounes poursuit ses consultations pour la constitution d’un solide front politique élargi, mardi 22/1 a été adopté le projet de coalition avec Al Jouhouri et Al Massar : un point d’acquis.

Ceci étant acquis, le parti de Béji Caïd Essebsi se tourne maintenant vers le Parti socialiste et le Parti du travail patriotique et démocratique, dans l’espoir que cette autre Troïka se transforme en véhicule à 5 roues ! En attendant mieux, mais je pense qu’il s’en tiendra là, pour éviter de construire une coalition trop hétéroclite qui ne serait pas assez solide. En tout cas, le meeting organisé ce dimanche 27/1 à l’occasion de son premier anniversaire a connu un grand succès et le Palais des Congrès de Tunis était comble !

Raouf Bahri         

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