Le Maghreb de l’art existe ! Je l’ai vu !

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Le Centre d’art B7L9, reconnaissable à sa façade zébrée plantée au cœur du quartier populaire de Bhar Lazreg, révèle ce soir la toute première rétrospective nord-africaine consacrée à Hamid Zénati.
L’artiste, disparu en 2022, reste encore largement méconnu du grand public. Et pourtant, dans l’intimité de son appartement munichois transformé en œuvre totale, il a bâti, loin des projecteurs, un univers foisonnant, tissé de motifs, de mémoires et de résistances.
Avec The Birds Are Chirping Above The Tree, le centre des arts B7L9 propose un retour aux sources pour cet autodidacte né à Constantine en 1944, et inscrit son travail dans une constellation créative maghrébine en dialogue avec les grands noms de la modernité artistique régionale.

À l’intérieur, le bruissement des voix s’enivre de motifs et de couleurs…
Curatée par Nadine Nour el Din, en collaboration avec Anna Schneider, l’exposition réunit près d’une centaine d’œuvres de Zénati : tissus peints, céramiques, fresques, photographies, objets métamorphosés. Le visiteur circule à travers un parcours initiatique pensé par le scénographe Bechir Riahi. Les pièces dialoguent avec des œuvres patrimoniales de la Fondation Kamel Lazaar, mais aussi avec celles de figures majeures de l’art moderne maghrébin : Abdelaziz Gorgi (Tunisie, 1928–2008) ; Abderrazak Sahli (Tunisie, 1941–2009) ; Adel El Siwi (Égypte, né en 1952) ; Ali Bellagha (Tunisie, 1924–2006) ; Aly Ben Salem (Tunisie, 1910–2001) ; Ammar Farhat (Tunisie, 1911–1987) ; Baya Mahieddine (Algérie, 1931–1998) ; Brahim Dhahak (Tunisie, 1931–2004) ; Larbi Cherkaoui (Maroc, né en 1972) ; Mahmoud Sehili (Tunisie, 1931–2015) ; Nejib Belkhodja (Tunisie, 1933–2007); Nja Mahdaoui (Tunisie, né en 1937) ; Safia Farhat (Tunisie, 1924–2004) ; et Souhila Bel Bahar (Algérie, 1934–2023).

Ce jeu d’échos n’est pas un simple hommage : c’est un parti pris
Il s’agit d’inscrire Hamid Zénati dans une constellation sans frontières, sans le figer dans une identité unique. L’exposition donne à voir un art en perpétuel mouvement, où les héritages berbères croisent l’abstraction lyrique, où les motifs psychédéliques des années 1970 se frottent à l’art islamique dans une même pulsation libre.
L’homme, lui, vivait en retrait. Installé à Munich dès les années 1960, Zénati gagne sa vie dans des emplois modestes. Il peint sur tout : les murs, les meubles, ses vêtements. Son appartement devient peu à peu une œuvre vivante, une sorte de grotte sacrée saturée de couleurs, où chaque geste relève autant du rituel que de l’expérimentation plastique.
Le titre de l’exposition, The Birds Are Chirping Above The Tree, intrigue. Il s’agit de sa toute première leçon d’arabe apprise enfant, restée gravée en lui. Une phrase en apparence anodine, mais qui condense une mémoire intime et un désir profond de transmission, d’expression, de reconquête de soi.
Et l’expérience est aussi sensorielle
Deux parfums, créés spécialement pour l’exposition par la parfumeuse Dana El Masri, traduisent en odeurs l’univers de Zénati. Une manière d’approcher son œuvre non seulement par les yeux, mais par les sens, dans une immersion totale.
Depuis quelques années, son travail commence enfin à circuler : à Munich d’abord, puis à Berlin, Londres, Casablanca et aujourd’hui Tunis. À mesure que les frontières s’effacent, que les regards s’ouvrent, l’œuvre de Zénati se fraie un chemin, non pas vers les cimaises des musées institutionnels, mais vers les imaginaires de ceux qui reconnaissent dans ses gestes une forme de résistance poétique. The Birds Are Chirping Above The Tree ne signe pas une consécration tardive — elle révèle un artiste qui n’attendait rien, mais dont l’œuvre attendait d’être vue.
Zénati n’a jamais cherché la reconnaissance : il a préféré tisser son monde en silence, loin des marchés, fidèle à sa propre musique intérieure. Aujourd’hui, ses oiseaux chantent au-dessus de l’arbre, et leur chant résonne bien au-delà des murs de B7L9. Ils annoncent peut-être autre chose : l’éveil d’un continent d’images longtemps refoulées. Le Maghreb de l’art existe et il est sublime !

Bechir Ben Mohamed

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