Fred Otash était un flic véreux de Los Angeles devenu détective privé, maître chanteur et proxénète. Il était surtout connu pour avoir colporté des ragots sur le tout Hollywood pour le compte du magazine Confidential. Avec son goût pour les seconds couteaux à la personnalité trouble, Ellroy s’est emparé d’Otash et en a fait un personnage de fiction qui apparaît dans American Death Trip et Underworld USA.
Personnage réel et controversé, Otash, dans sa version ellroyenne, est en effet déjà apparu dans la trilogie Underworld USA dans son rôle de maître chanteur. Dans Extorsion, c’est au purgatoire que l’on retrouve Otash, se faisant piquer le cul par les fourches de ceux et celles – Montgmery Clift, JFK, Marylin ou Ava Gardner – qu’il a fait chanter ou dont il s’est employé à détruire la réputation pour le tabloïd Confidential. Une seule solution s’offre à lui pour quitter cet endroit, raconter sa vie à un plumitif minable qui voudrait vendre ses souvenirs pour en faire une série télé : James Ellroy.
Il lui donne le premier rôle dans Extorsion en l’imaginant au purgatoire, torturé par ses anciennes victimes, de Marilyn Monroe à Montgomery Clift en passant par Ava Gardner. Freddy O ne pourra obtenir une remise de peine et « accéder au nuage supérieur» que s’il confesse ses péchés. Né en 1948, Lee Eale Ellroy est plus connu sous le nom de James Ellroy. Auteur de polars, il a vécu une adolescence difficile, perturbée par l’assassinat de sa mère et des problèmes liés à l’alcool et la drogue. Ses années d’errance lui ont inspiré ses premiers romans, Brown’s Requiem et Clandestin. Sa carrière littéraire décolle progressivement avec la publication de la trilogie Lloyd Hopkins entre 1984 et 1986. Mais c’est en 1987 avec Le Dahlia noir qu’il va connaître la célébrité, s’inspirant d’un fait divers réel : l’assassinat en 1947 d’une jeune starlette de Los Angeles. Cette ville servira de décor à trois autres de ses romans : Le Grand Nulle Part, L.A. Confidential et White Jazz. Toujours obsédé par l’assassinat de sa mère dont l’auteur n’a jamais été arrêté, il va essayer d’élucider lui-même ce meurtre 40 ans après les faits faisant le point sur sa propre existence avec Ma part d’ombre en 1996, complété en 2011 par La malédiction Hilliker.
Le plus savoureux est moins la quantité d’anecdotes salaces – réelles ou fictives – rapportées sur les célébrités d’Hollywood que l’autodérision fanfaronne qu’Ellroy manifeste. Car l’auteur du Dahlia noir, houspillé par Fred Otash, qui croupit au purgatoire, se met ridiculement en scène… Par la voix de cette ordure finie, Ellroy dévoile l’un des secrets de son style : « l’allitération et les insultes inventives ». Extorsion va bientôt être adapté en série télé, outre-Atlantique. Un projet caressé par Ellroy depuis plus de vingt ans.
James Ellroy est un peu la mascotte de Rivages. Celui dont le succès a permis à la collection noire de l’éditeur de s’implanter solidement, l’inamovible tête de gondole. Et donc, même si Ellroy ne publie pas énormément, Rivages se doit de combler régulièrement les attentes des fans en sortant quelques écrits de son auteur phare. En attendant donc le premier volume du nouveau Quatuor de Los Angeles, Perfidia, dont on pourra lire à la fin d’Extorsion deux chapitres inédits mettant en scène – ô joie ! – ce corrompu suprême de Dudley Smith et Lee Blanchard, voilà donc un inédit d’Ellroy, moins roman que novella, dont le héros, Fred Otash est bien connu des fidèles du Dog.
L’habitué retrouve donc là tout Ellroy en concentré, le meilleur comme le pire : l’égocentrisme de l’auteur, ses obsessions tournant autour de la sexualité cachée des stars, la manipulation et le chantage et une écriture hachée, qui court après les pensées du personnage et de l’auteur qui s’enchaînent sans discontinuer. James Dean rabatteur pour Otash, Marlon Brando devient un homosexuel, Liz Taylor lancée dans des parties à trois ou quatre avec Otash et ses maîtresses… Hollywood côté face cachée des stars.
Sorte d’exercice de style un peu anecdotique tour à tour amusant et agaçant qui permet à Ellroy de s’amuser avec un personnage qui, de toute évidence, le fascine, Extorsion a pour fonction essentielle de faire patienter le lecteur avide de lire la nouvelle série de romans d’Ellroy. On le conseillera donc plus aux inconditionnels de l’auteur qu’à ceux qui voudraient le découvrir.
*Extorsion, James Ellroy, Trad. Jean-Paul Gratias. Paris : éd. Rivages, Paris.
Farouk Bahri