Le pire cauchemar des Tunisiens, depuis quelques années, a un visage : l’immigration subsaharienne. C’est un grand «hold-up» qui se déroule en silence mais sous nos yeux.
Voilà qu’une frénésie s’installe. On ne veut plus de malheur sans bouc émissaire. Tandis que le problème est devenu l’objet de beaucoup de fantasmes et que s’efface l’acceptation de l’autre, différent, se répand une recherche éperdue du coupable. La question migratoire n’est d’ailleurs qu’une des facettes du sentiment d’insécurité identitaire dont la colère populaire a été la caisse de résonance.
Loin du petit jeu d’analyse sémantique auquel se prêtent plusieurs «têtes pensantes» avec la complicité moutonnière de quelques médias et qui apparaît bien dérisoire au regard de la gravité de la situation, il est inutile de disputailler. Le défi migratoire surgit comme un symptôme supplémentaire d’un monde totalement déboussolé et s’impose à tous les pays, développés ou en voie de développement. Chaque pays peut gérer sa fatalité au gré de sa politique face aux fléaux comme les guerres, le terrorisme, le racisme, l’islamophobie, le colonialisme, l’insécurité et le repli sur soi. Mais cette réalité impose, chez nous, une volonté d’affronter l’évidence, et d’abord de la nommer afin de regarder le monde tel qu’il est et agir avec efficacité et responsabilité. Doit-on expulser massivement les migrants en situation irrégulière ? Faut-il à l’inverse les accueillir quitte à courir le risque de les voir se fondre dans notre décor ? Quelles menaces constituent-ils ? Que dit le droit international ? Et comment traiter ce problème épineux ? Nous ne serions pas à la hauteur de ces interrogations si nous décidions de les cacher dans l’angle mort de nos fantasmes, ou bien de donner un os à ronger au protectionnisme, au repli identitaire et à la rétractation de la tolérance qui servent de fonds de commerce aux courants extrémistes et populistes.
Il faut tout changer en commençant par assumer les composantes d’une équation vertigineuse : le droit, les principes, l’impératif sécuritaire, le spectre terroriste, les aversions de l’opinion publique, les calculs stratégiques.
La planète monde est devenue «un petit village», comme l’avait prédit Kheireddine Pacha dans son œuvre majeure «Les voies les plus justes pour réaliser les meilleures réformes», un siècle et demi avant l’avènement de la mondialisation. Dans ce contexte, la vague de fond de l’immigration n’est qu’un mouvement à vocation universelle dont on n’a pas fini de voir toutes les implications.
Les États-Unis et l’Europe n’ont-ils pas été impuissants à s’opposer aux flux migratoires ? Si les grandes puissances et les regroupements régionaux se plaignent des atteintes portées à leurs territoires, donc à leurs souverainetés, que dire alors des petits pays comme le nôtre ?
Il serait ignoble de dire que tous les migrants subsahariens sont des criminels en puissance. Il faut livrer urgemment une bataille sans merci à ces tenaces préjugés qui nous collent à l’âme et nous installent à demeure du côté des fantasmes, de l’arrogance et de l’errance et faire barrage aux offenses dirigées contre tout engagement déterminé en faveur d’une Tunisie tolérante et souveraine. Il n’empêche que la question sécuritaire existe, qu’on est obligé d’en tenir compte, qu’on ne peut pas continuer à s’aveugler au nom du carcan juridique et conventionnel international et, qui plus est, au nom de la «solidarité humaine». Rien ne dispense les autorités de leur devoir de protéger nos territoires et notre souveraineté en faisant preuve d’assez de coopération avec les pays voisins pour gérer collectivement un problème épineux qui ne peut avoir de solution uniquement nationale. Les Tunisiens ont droit à une plus grande transparence, afin d’être assurés que le traitement de ce dossier sera fait de la manière la plus efficace possible.