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Il y a dix ans, les Marocains ont amendé leur Constitution. Ils s’apprêtent ce mercredi 8 septembre à voter lors d’élections générales qui combinent législatives, régionales et communales, une première pour le royaume chérifien. Qualifiée de réponse au « Printemps arabe », la Constitution de 2011 adoptée par le premier référendum du règne de Mohammed VI – qui a accédé au pouvoir en 1999 – a permis de renforcer les pouvoirs du chef de l’exécutif et du Parlement tout en préservant la prééminence politique et religieuse du roi. Voici dix points d’évolution de la constitution pour mieux comprendre ce qui se joue autour des élections du 8 septembre.
*La redistribution des pouvoirs entre l’exécutif et le roi
Peut-être s’agit-il là de l’évolution la plus importante. Depuis 2011, le Premier ministre est désormais chef du gouvernement. Le suffrage universel devient décisif puisque le roi doit le désigner au sein du parti arrivé en tête aux législatives.
Avec la révision constitutionnelle, le champ de la responsabilité gouvernementale a connu un élargissement substantiel, avec un pouvoir de nomination du chef de l’exécutif très important, le Palais conservant un « pré carré » régalien dans les domaines religieux, de la défense et des affaires étrangères.
Également, l’opposition parlementaire est renforcée et dispose en vertu de la Constitution de fonctions précises en matière de contrôle de l’action gouvernementale.
*La reconnaissance des composantes plurielles de l’identité nationale
Les premiers chantiers du roi Mohammed VI après son accession au trône portaient essentiellement sur deux volets : la reconnaissance de la diversité territoriale et la reconnaissance de l’altérité comme socle de l’identité nationale marocaine. Ainsi, le préambule de la Constitution énonce que le « Royaume du Maroc entend préserver, dans sa plénitude et sa diversité, son identité nationale une et indivisible. Son unité, forgée par la convergence de ses composantes arabo-islamique, amazighe et saharo-hassanie, s’est nourrie et enrichie de ses affluents africain, andalou, hébraïque et méditerranéen ».
L’évolution la plus importante réside notamment dans la reconnaissance de la composante juive du Maroc, fait inédit pour un pays arabe.
*La modification du paysage linguistique national
Alors que toutes les versions des Constitutions précédentes ne reconnaissaient qu’une seule et unique langue officielle, l’arabe, celle de 2011 modifie cet état de fait bien que l’État œuvre à sa protection et son développement ainsi qu’à la promotion de son utilisation.
De même, « l’amazigh constitue une langue officielle de l’État, en tant que patrimoine commun à tous les Marocains sans exception ». Plus qu’une simple affaire de reconnaissance juridique et technique de la part de l’État, le Maroc est le pays du Maghreb qui concentre la plus grande population amazighe. Celle-ci est estimée entre 15 et 20 millions de personnes, soit la moitié des Marocains.
*Une césure entre le temporel et le spirituel
Depuis 2011, la monarchie marocaine est devenue une institution pleinement constitutionnelle. L’ensemble de ses pouvoirs sont inscrits dans la Constitution alors que, jusque-là, ils étaient pour l’essentiel coutumiers et indéfiniment extensibles. De plus, la Constitution de 2011 a opéré une dissociation entre les fonctions du roi « Chef de l’État, son Représentant suprême, Symbole de l’unité de la Nation, Garant de la pérennité et de la continuité de l’État et Arbitre suprême entre ses institutions » et le roi « Commandeur des croyants ».
Il s’agit d’une séparation des pouvoirs plus affirmée avec un roi arbitre, garant du choix démocratique et du bon fonctionnement des institutions, des pouvoirs publics autonomisés.
Autre nouveauté, la loi fondamentale a remplacé la sacralité du roi par la mention suivante : « l’inviolabilité et le respect lui sont dus ».
*La primauté aux conventions internationales
Le préambule de la Constitution engage le royaume à « accorder aux conventions internationales dûment ratifiées par lui, dans le cadre des dispositions de la Constitution et des lois du royaume, dans le respect de son identité nationale immuable, et dès la publication de ces conventions, la primauté sur le droit interne du pays, et harmoniser en conséquence les dispositions pertinentes de sa législation nationale ». La loi fondamentale consacre notamment l’égalité et l’interdiction de toutes les formes de discrimination ; le droit à la vie, à la sécurité des personnes et des biens ; le droit d’être à l’abri de la torture, la présomption d’innocence et le droit à un procès équitable. Toutefois, ces avancées ne doivent pas cacher les défis qui persistent sur plusieurs questions ayant trait à la consolidation des droits économiques, culturels et sociaux.
*Un parlement bicaméral aux pouvoirs renforcés
Le Parlement est devenu un pouvoir alors qu’il n’était qu’un organe. D’autant plus que les prérogatives du Parlement en matière de législation, de contrôle et d’évaluation des politiques publiques ont été renforcées.
En revanche, le Parlement peut désormais réviser la constitution sans passer par le référendum. Des mécanismes rigoureux de moralisation de la vie parlementaire ont été également mis en place, tels que l’interdiction pour les parlementaires de passer d’un parti à un autre une fois élus et la lutte contre l’absentéisme.
*La Justice hissée au statut d’un pouvoir indépendant
Considérée comme l’un des maillons faibles du Maroc depuis son indépendance, la réforme de la justice constitue un point nodal de la Constitution de 2011. Ainsi, elle a été promue en pouvoir indépendant par la Constitution de 2011 et un Conseil supérieur du pouvoir judiciaire a été créé et placé sous la présidence du roi. Il est doté d’une totale indépendance.
La justice demeure toutefois perfectible, selon le nouveau modèle de développement qui a fait état récemment d’« un sentiment d’insécurité judiciaire et d’imprévisibilité qui limite les initiatives, en raison d’un décalage entre certaines lois comportant des zones grises et les réalités sociales vécues, d’une justice qui pâtit d’un manque de confiance », appelant à une justice renforcée, des lois claires, des règles transparentes et applicables à tous.
*La Cour constitutionnelle, gardienne de la Constitution
La Cour constitutionnelle occupe une place prééminente dans l’ordonnancement institutionnel du pays. Parmi ses compétences : contrôler la conformité à la Constitution des lois organiques, des lois ordinaires, des règlements intérieurs des chambres, de la répartition des compétences normatives entre le législatif et l’exécutif, c’est-à-dire des domaines de la loi et celui du règlement, des conventions internationales et de la procédure de révision constitutionnelle en forme simplifiée.
*Le renouveau de la gouvernance territoriale
Parallèlement à la réorganisation des pouvoirs entre les institutions constitutionnelles, la Constitution ouvre la voie à une réorganisation démocratique des compétences entre l’État et les régions. En 2011, et pour la première fois, un texte constitutionnel marocain précise, en son article 1er, que « l’organisation territoriale du Royaume est décentralisée, fondée sur une régionalisation avancée ».
Mise en œuvre à partir de 2015, avec le redécoupage territorial et l’élection des conseils régionaux, la régionalisation avancée doit progressivement permettre de gommer ces disparités en intégrant les localités les moins avancées aux régions économiquement plus stables, de manière à instaurer des mécanismes de solidarité. Selon les projections du haut-commissariat au Plan, il faudrait un quart de siècle pour réduire la moitié des inégalités territoriales actuelles, qui fragilisent la cohésion sociale.
*La société civile, acteur essentiel de la vie publique
Ayant compris la teneur de la crise que connaît la démocratie représentative à travers le monde, le royaume s’est mis en ordre de marche pour mettre en place des organes de démocratie participative afin d’épauler la représentation classique.
Ainsi, le constituant marocain a accordé une place importante aux exigences de la démocratie participative. Celle-ci implique que l’État garantisse aux citoyens(ne)s leur droit effectif de s’organiser pour prendre part à la gestion et à la discussion de la chose publique, ainsi qu’aux processus de prise de décision. Cette forme d’implication des Marocains et des Marocaines complète la démocratie représentative dans laquelle les citoyen(ne)s exercent leur participation seulement à travers leurs élus.
(Le Point)