Il faut croire qu’il a fallu une guerre impliquant les maîtres de ce monde pour que certains pays prennent conscience de l’importance d’une politique agricole performante qui table sur la sécurité alimentaire et partant, préserve la souveraineté nationale. La guerre en Ukraine a, en effet, levé le voile sur une erreur stratégique commise par nombre de pays dont les puissances occidentales : importer son pain de l’étranger. Finalement, on a beau être une puissance nucléaire, militaire, aérospatiale, technologique, il faut pouvoir nourrir sa population et en toute circonstance. L’importance stratégique du blé est une évidence depuis la nuit des temps, pourtant, les politiques économiques ont radicalement changé au fil des décennies sous l’effet de l’évolution des technologies et des exigences des consommateurs. Même les pays du Sud, pays en voie de développement, à fortes potentialités agricoles, ont progressivement délaissé la céréaliculture au profit de nouvelles cultures plus rentables, mais aussi plus onéreuses. Il ne sera pas aisé aujourd’hui de compenser les quantités de blés (dur et tendre) et les autres céréales que fournissaient les deux plus gros exportateurs dans le monde, la Russie et l’Ukraine, ni de faire face à la flambée des cours mondiaux en raison de la forte demande. Cette situation est particulièrement inquiétante pour les économies en difficulté et les pays surendettés. La Tunisie qui, de surcroît, est en pourparlers avec le FMI, en est un exemple édifiant. Près de vingt milliards de dinars manquaient déjà pour boucler le budget de l’Etat pour l’exercice 2022. Les retombées de la guerre en Ukraine sur l’économie mondiale en général et sur la Tunisie en particulier devraient creuser davantage ce déficit et compliquer une situation socio-économique explosive. Que faire ? L’évolution de la situation suggère que les Tunisiens cessent de se saborder et s’unissent pour s’entendre sur les mesures urgentes et les décisions à prendre pour amortir le choc de la crise ukrainienne et tracer la voie future au cas où les relations avec les partenaires étrangers viendraient à connaître quelques changements. La guerre en Ukraine a, en effet, traumatisé le monde occidental et perturbé les relations internationales. Qu’en sera-t-il une fois la paix revenue ? Verrons-nous une résurgence du conservatisme, du protectionnisme, du repli identitaire en Europe ? La crise ukrainienne a donné à voir le racisme, la xénophobie, la haine de l’autre. La brutalité de la guerre n’est pas la seule responsable, la propagande de diabolisation de l’ennemi y a également contribué. D’où les interrogations : l’Europe restera-t-elle le premier partenaire économique de la Tunisie ? Les instances financières internationales changeront-elles de paradigmes ? Des interrogations légitimes mais sans réponses pour le moment. Le monde entier retient son souffle et espère un cessez-le-feu.
En trois semaines, le monde a connu un total chambardement, il est méconnaissable. Un pays risque de disparaître, un autre tente d’imposer un nouvel ordre mondial et les clivages entre anti et pro-Poutine sont tranchants. Pour le bloc anti-Poutine, il n’y a pas de place à la demi-mesure : c’est soit avec nous, soit contre nous. Beaucoup de pays choisissent de rester dans l’entre-deux, car la guerre en Ukraine est une affaire occidentale dont les défis et les enjeux seront mondiaux. L’invasion de l’Ukraine par l’armée russe est en train de rebattre les cartes du monde occidental et de remodeler les relations internationales.
La Tunisie n’a pas d’autres choix que celui de défendre ses intérêts et de réhabiliter ses capacités économiques décimées par une décennie d’incompétences, de corruption, d’anarchie gréviste et d’impunité généralisée. Il est temps que Kaïs Saïed mette à profit l’Etat d’exception et ses décrets pour remettre en selle la CPG et le groupe chimique, la production de phosphate et celle des engrais qui doivent retrouver leur rythme d’antan et leurs niveaux d’exportation de 2010. Aucun obstacle et aucun empêchement ne devront plus être tolérés. L’Ugtt en assume une grande part de responsabilité. Il revient en effet à la Centrale syndicale de donner le tempo de l’étape à venir, une étape cruciale qui déterminera la voie à suivre par tous les Tunisiens pour sortir le pays de l’impasse. Cette voie devra être celle du travail, de la production, du rendement. On ose espérer que c’était le sens des propos de Noureddine Taboubi, en marge de la commémoration du 23e anniversaire de la disparition de Habib Achour, qui déclarait que « la situation en Tunisie nécessite une véritable union nationale afin de faire des choix nationaux et créer de la richesse », soulignant que « l’Ugtt ne restera pas impassible face à la dégradation de la situation économique et à la détérioration du pouvoir d’achat du citoyen et assumera pleinement son rôle national». La même promptitude est attendue de l’Utica, la Centrale patronale, de la Cheffe du gouvernement Najla Bouden et de ses ministres et surtout du président de la République qui ne doit pas se focaliser uniquement sur les défis politiques, malgré leur importance. La stratégie de non-communication de Kaïs Saïed et de Najla Bouden ne peut pas convenir à une période aussi critique que la nôtre aujourd’hui, qui nécessite la cohésion, le dialogue et la solidarité.
Le temps n’est ni au mutisme ni à des monologues sans fin qui, jusqu’ici, n’ont mené à rien, sinon à compliquer encore plus une situation devenue incontrôlable, voire invivable.
Le temps n’est pas non plus aux menaces sans actions concrètes dont le seul bénéficiaire sera le citoyen.
Le temps est à l’action et ce ne sont pas les descentes sporadiques visant « les spéculateurs » et autres « monopoles », qui ressemblent beaucoup plus à une campagne médiatique qu’à une action réfléchie visant à soulager le citoyen de ces longues files devant les boulangeries pour une baguette, qui pourraient s’assimiler à la panacée.
Réveillons-nous, car des temps plus durs encore sont en perspective.
Tous les experts s’accordent à dire que la crise ukrainienne va engendrer un choc économique mondial qui n’épargnera aucun pays, y compris nos partenaires européens et arabes. Il faudra alors ne compter que sur nous-mêmes, sur notre volonté et notre intelligence à surpasser les obstacles et à traduire nos difficultés en opportunités.
Ceci est valable autant pour le volet économique que politique. Et il faut commencer maintenant.
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