Le paradoxe de la compétitivité tunisienne 

 On parle beaucoup ces derniers jours de la compétitivité de l’économie tunisienne. Nous essayons ici de dégager de façon très simplifiée les idées qui peuvent être retenues de plusieurs travaux récents sur la compétitivité tunisienne.

Première observation : lorsqu’on examine les critères habituels de la compétitivité économique (résultats sur les marchés mondiaux, prix comparés des produits tunisiens et des produits étrangers, balance commerciale), on aboutit à des constats en apparence contradictoires. Certains résultats sont favorables, d’autres ne le sont pas. C’est ce qu’on appelle le « paradoxe de la compétitivité » tunisienne, transposant ce que les économistes ont appelé en d’autres temps le paradoxe de la productivité. Il s’avère qu’on ne peut expliquer ce paradoxe qu’en posant correctement la définition de la compétitivité, ce que les indicateurs classiques ne font en général pas ou font de façon trop partielle.
Deuxième observation découlant de la première : qu’est-ce que la compétitivité ? Dans les études, cela s’exprime en parts de marché ou bien en termes de taux de change qui avantage ou pénalise les coûts. C’est aussi plus que cela. Laura d’Andrea Tyson a proposé une définition plus générale, à savoir « son aptitude à produire des biens et des services qui satisfont au test de la concurrence sur les marchés internationaux et à augmenter simultanément et de façon durable le niveau de vie de la population ».
Cette définition pose clairement les enjeux. La compétitivité, c’est d’abord le fait que les produits offerts sont adaptés à la demande mondiale (ce qui entraîne normalement la stabilité ou l’augmentation des parts de marché), mais c’est aussi le maintien durable d’une croissance comparable à celle des autres pays. C’est donc le maintien des positions non seulement dans les échanges mais aussi dans la croissance mondiale. C’est au regard de ces deux critères qu’il faut apprécier la situation tunisienne.
Or, et c’est ma troisième observation, la détérioration de notre balance commerciale depuis les années 2000 a correspondu à une période de forte croissance tunisienne qui a entraîné une augmentation de nos importations, plus forte que celle de nos exportations et a créé un déficit que nous connaissons toujours mais qui s’est amplifié avec le ralentissement de la croissance.
Si l’on prend maintenant les parts de marché à l’exportation, c’est-à-dire la part de la demande mondiale satisfaite par les entreprises tunisiennes, on constate sur 20 ans un recul de 1,2‰ à 0.8‰ actuellement. La situation s’est donc détériorée et nous restons à un niveau proche du point bas historique de 1985. Les parts de marché à l’exportation ne traduisent donc pas une amélioration tendancielle des positions tunisiennes.
Enfin, dernier point qui est, lui, favorable, la compétitivité-prix des produits tunisiens a été globalement préservée au cours des vingt dernières années. Celle-ci est même au-dessus de la moyenne passée et cela est dû pour beaucoup à la politique de dépréciation du dinar.
Les observations ne convergent donc pas toutes : prix et coûts tenus, mais parts de marché grignotées, et déficit dû à une croissance faible. Précisément, la clé pour réconcilier ces observations est le fait que la croissance industrielle tunisienne a été faible (qu’on la prenne sur 25 ans ou sur 10 ans). Confrontées à la fois à des chocs externes et internes, notamment, les entreprises industrielles n’ont pas bien réagi pour préserver leur compétitivité-prix et n’y sont pas parvenues. Très peu ont survécu. La base industrielle de notre économie s’en est trouvée érodée, ce qui se traduit par une faible croissance industrielle et un très net recul de l’emploi.
Ces constats conduisent à s’interroger sur les facteurs plus stru

cturels de notre compétitivité, à commencer par la capacité technologique et d’innovation. Une appréciation de la situation tunisienne peut être tentée en réunissant plusieurs indicateurs et en examinant pour chacun d’eux le poids de la Tunisie par rapport aux pays concurrents.
Au final, on aurait tort de penser que la dépréciation du dinar supprime la contrainte extérieure. La Tunisie se retrouve donc plus que jamais face à la contrainte de compétitivité et peut-être plus encore que par le passé, face aux facteurs structurels de la compétitivité.

Mohamed Ben Naceur

 

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