Le paradoxe de la relation irano-saoudienne

L’appartenance à la famille du prophète Mohamed, le dernier des messagers, doit conditionner l’accès au califat. Après le décès du prophète de fièvre, à Médine en l’an 632, telle fut la position prise par les tenants de l’orientation dite chiite. Pour les sunnites, fidèles à la tradition, la désignation du successeur idéal revient au consensus intertribal. Le critère du choix sera la sagesse, valeur suprême léguée par la Grèce du siècle de Périclés. Perçue par delà les siècles islamiques, la seconde option pourrait sembler davantage conforme aux normes démocratiques même si la doxa tribaliste ne soit plus au goût du jour depuis l’émergence de « l’individu nu », disait Marx, avec l’irruption du capitalisme. La première vision, celle du chiisme a partie liée avec l’attente après un temps si long. Le descendant d’Ali et de Hussein, le sage attendu en matière successorale, viendra restituer l’unique légitimité.
Pour un laïque, cette chamaille théocratique fleure un arôme anachronique. Mais il n’a rien compris, dommage pour lui. Nous y reviendrons. Aujourd’hui, avec les dessous occidentaux du calife Baghdadi, la mise à feu et à sang de plusieurs pays semble renouer avec le vieux conflit. Mais pourquoi le tenant d’un libre esprit trouve-t-il tout cela quelque peu rikiki ? Une observation lui met la puce à l’oreille et réveille son esprit. Une marge de profit commun associe l’Iran chiite et l’Arabie sunnite pour venir à bout de l’adversité personnifiée par le calife autoproclamé. Sous le paillasson de l’intérêt partagé glisse l’ancestrale animosité doctrinale. Mais c’est là, un aspect superficiel et il reste à exhumer l’essentiel, car seul un joueur hors jeu des croyances chiites et sunnites peut inscrire tant de massacres commis et annoncés au panthéon de l’insensé. La remarque d’allure anodine, lève, pourtant, le voile sur la problématique centrale.
Pour l’illustrer au mieux, laissons de côté le domaine religieux quelque peu chargé de susceptibilités.
Imaginons un spectateur tout à fait indifférent au ballon rond. Le but marqué par l’une des équipes soulève d’une part les hourras et de l’autre le désarroi.
L’indifférent, lui, n’éprouve rien et tend à subodorer une espèce d’absurdité au cœur de ce tintamarre bizarre et contradictoire.
Au cas où il ne fut initié ni à la mode sunnite, ni au style chiite, le match poursuivi de la mort de Mahomet à nos jours lui paraît au plus haut point déplacé.
Mais pour les partisans de ces deux groupes à distance, le ni pour, ni contre telle ou telle équipe, n’a rien saisi eu égard à l’énorme enjeu de la partie. Par eux, le problème fondamental fut bien vu, car hors de la socialisation, il n’est point de salut.

Poutine veut mener la danse autour de Bachar
Voilà pourquoi, dans le monde social tel qu’il est, à la fois sunnite et chiite, l’avis du spectateur indifférent joue hors jeu. Ecarter les représentations mises en présence revient à gommer l’édifice collectif tout entier. A ce propos, interprété en termes philosophiques et littéraires, Malraux évoque une certaine « Condition humaine » quelque part, nous avons tous à voir avec la croyance fut-elle ni sunnite, ni chiite. Pareille observation déblaye la voie du compromis par dessus le ressentiment et les drames sanglants. Ainsi Daech, l’adversaire commun, pousse, aujourd’hui les éternels frères ennemis, lecteurs ou non de Machiavel, à regarder, ensemble, dans la même direction.
Selon Baghdadi l’Arabie serait « la tête de la vipère ». Et vu les performances de l’EI en dépit des frappes aériennes, la participation à « une large coalition » contribuerait à éloigner le spectre de la décapitation. Le pragmatisme paraît l’emporter à la barbe du chiisme et du sunnisme. La politique a ses lois que l’indigné par l’opportunisme ne connaît pas. Déjà, peu après la disparition de Mahomet, sunnites et chiites eurent leurs moments d’entente par delà de furieux combats.
La compétition gravitait autour du critère successoral, mais, par cela même, les deux clans partagent l’importance donnée à la succession. Cet accord sur l’enjeu du grand désaccord, un pont toujours mis à contribution depuis le décès de Mohamet jusqu’à maintenant. Raison de la coalition, sur laquelle Poutine et Obama ne s’entendent pas, Baghdadi, à son insu, déclenche une série de répliques ressenties à l’échelle mondiale que seul un apprenti sorcier prétend maîtriser. Ni la Russie, ni l’Iran, ni l’Arabie, ni les Etats Unis ne sont à même de savoir vers où mèneront les soubresauts à répétition de l’actuel chaos. Les multiples certitudes chavirent sur l’ample incertitude.
Au beau milieu de ce tourbillon, Obama tient à dégager Bachar et Poutine le défend. Après la bombe larguée sur Hiroshima, deux puissances nucléaires aspirent à énoncer le droit. Hélas, aucune vérité absolue n’existe au-delà d’opinions émises en relation avec des positions prises. Nietzsche, l’incrédule, écrivait : « j’admire les grandes falsifications » qui mènent le monde.

Related posts

Le danger et la désinvolture 

Changer de paradigmes

El Amra et Jebeniana