Le paradoxe tunisien

Tant que toutes les questions qui fâchent ne sont pas mises une fois pour toutes  sur la table pour être débattues  avec  sens de  responsabilité et sérieux et n’aboutissent pas à des engagements irréversibles, la Tunisie peinera à sortir indemne d’une crise qui est en train de laisser des séquelles durables presque partout.
Tant que nos gouvernants continuent à trouver un malin plaisir à étaler leur linge sale, au lieu d’unir leurs forces pour apporter des réponses à des défis qui ne font que gagner en ampleur, le pays continuera à payer le prix fort de ce laxisme qui cache une incapacité manifeste à faire bouger les choses et à concevoir des solutions à la fois consensuelles et  efficaces.
Quand le gardien de la Constitution et l’équipe gouvernementale entrent dans une confrontation directe,  ne daignent plus sauver les apparences en faisant valoir le parti avant la patrie, il ne faut pas s’attendre à une amélioration de la situation ou la fin d’un dysfonctionnement général qui, tel un tsunami, peut  tout emporter avec lui.
Quand ceux qui nous gouvernent se montrent incapables de rétablir l’autorité de l’Etat de droit, en  versant dans l’infiniment insignifiant, dans des querelles et des surenchères improductives, peut-on s’attendre de la part des autres composantes de la société tunisienne  à un comportement exemplaire ?
En plus de la déliquescence de l’État, on est en train de constater, dans une impuissance affligeante, sa disparition. Parce que ceux qui nous ont répété à satiété leur engagement à  restaurer son prestige, en appliquant la loi et en respectant le droit,  sont en train de ramer à contre-courant, donnant le mauvais exemple et reflétant une image écornée de l’Etat et du rôle dévolu aux pouvoirs publics dans une jeune démocratie qui ne cesse de confronter des vents contraires.
L’image d’un pays uni dans l’adversité est devenue une chimère chez nous, puisque notre quotidien nous fournit chaque jour des contre-exemples,  des preuves de ce qui, normalement, ne devrait pas être fait par des acteurs politiques, quand ils constatent que le bateau est en train de chavirer sous l’effet de vagues rebelles.
Voir les deux têtes du pouvoir exécutif se livrer à un échange aigre-doux  en pleine réunion du conseil de sécurité nationale, a certes surpris et déçu, mais point choqué. Au fil du temps, ce genre de scènes  est entré dans la normalité des choses, puisque ces deux figures qui symbolisent l’Etat tunisien, refusent de cohabiter en bonne intelligence, ne s’abstiennent plus de nous montrer leurs désaccords, leurs divergences et leurs mésententes  peu cordiales sur tous les sujets.
Dans un tel contexte, le pays devient non seulement non réformable mais difficilement gouvernable.
Non réformable,  parce que la volonté manque cruellement et l’engagement fait rudement défaut. Toute l’architecture qu’on a essayé, en vain,  de monter est restée un leurre,  manquant de consistance et de substance. Manifestement, l’absence de vision et de détermination à aller de l’avant sont les facteurs qui sont à l’origine du mal incurable qui a gagné la Tunisie depuis maintenant plus  de 8 ans et qui est en  train de se métastaser. Au lieu de guérir le mal et de l’extirper à la racine, on a pris le pli de ne lui administrer que des calmants et des expédients.
Le grand  paradoxe dans lequel s’est englué  actuellement le pays est le révélateur d’une panne générale qui,  si elle se poursuit, risque de produire des effets irréparables et hypothéquer un processus qui a nourri pourtant bien des espoirs  et faisant face actuellement à des pesanteurs de plus en plus insupportables.
A cet effet, la gouvernance des services publics et des entreprises publiques par exemple, est  un cas d’école du mauvais virage pris par le pays. C’est l’absence  de courage, de vision et de consensus qui a mené le pays à une voie sans issue, à des situations ubuesques  et  parfois à des drames invraisemblables.
L’amplification des tensions sociales est l’autre facette de la panne dont ne cesse de souffrir un pays qui vit au rythme des bras de fer incessants et  de mouvements de grève perpétuels qui ont mis l’économie tunisienne et ses finances publiques à genoux. D’une grève à l’autre et d’une menace à l’autre d’une année blanche dans l’enseignement secondaire et aujourd’hui à l’université, les pouvoirs publics, extrêmement affaiblis, finissent  souvent par se résigner à l’évidence et se plier à un marchandage dont les résultats sont aujourd’hui catastrophiques, l’empêchant de trouver des solutions durables ou d’affronter la réalité avec courage et détermination.
La force de l’argument, la propension à dire la vérité,  à rétablir la primauté de la loi et du droit et à mobiliser les Tunisiens, pour les impliquer dans une opération de  sauvetage combien douloureuse  mais nécessaire, sont des termes qui ne figurent pas  dans le lexique  de nos politiques, plutôt  préoccupés par les calculs politiciens qu’armés de courage et de bon sens.
Alors que tout le monde sait  que le pays ne pourrait se relever que via un processus difficile dont le prix sera partagé par tous, le paradoxe, c’est que personne ne semble prêt à consentir le moindre  sacrifice. La montée d’un corporatisme primaire  dans tous les secteurs d’activité, a trouvé dans l’affaiblissement de  l’autorité de l’Etat son terreau le plus favorable, jetant aux orties les valeurs qui sont consubstantielles aux droits et devoirs.

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