Le pays des montagnes bleues

Connaissez-vous le pays des « montagnes bleues » au crépuscule ? Certains affirment y avoir vu à la tombée de la nuit, le célèbre « rayon vert ». D’autres prétendent entendre encore, dans les plaines, « le piétinement sourd des légions en marche », de retour de la Table de Jugurtha conquise, vers Cirta / Le Kef, encore indécise entre Jugurtha et Marius !

Promenades au sraa ouertane

Déjà, le bourg de Dahmani laisse rêveur. N’est-ce pas le nom d’une fraction, des tribus arabes hilaliennes ? C’est un carrefour.

À l’est, la route mène au Jebel Nadhour, tapissé d’une centaine de tumulus berbères. Plus loin, vers Le Sers, dont le toponyme pourrait être l’héritier de Cérès, on irait vers le champ de bataille de Zama, au pied des collines du Massouge. Au sud, on longerait la limite est du Sraa Ouertane, en allant vers Le Ksour où jaillit l’eau, « Safia », depuis un captage romain, et vers Rouhia.

À l’ouest, on bifurquera vers M’deïna / Althiburos, qui a gardé, à l’époque romaine son nom berbère en souvenir de sa fondation antique datant, au minimum, de la protohistoire illustrée par les nombreux mégalithes qui parsèment le site urbain et les collines alentour.

De nombreuses fouilles ont permis de découvrir des « briques » contenant des scories de la métallurgie du fer qui dateraient de 800 ans avant notre ère ! Les Berbères de la région de Jérissa – la montagne du fer ! – maîtrisaient la métallurgie à l’époque de la fondation de Carthage ! Cette cité, très influencée par la civilisation carthaginoise a conservé à l’époque romaine son administration municipale sufetale, comme à Carthage ! Sans doute grâce au commerce des produits agricoles, la région est le Haut Tell : le pays du blé, des plantes médicinales et aromatiques, nombreuses dans la contrée, la ville, devenue très prospère, s’est dotée de bâtiments prestigieux : capitole, amphithéâtre, forum monumental, temples et demeures richement décorées de pavements mosaïqués : telles que la maison des « bases historiées », celle de « la pêche » et celle des « Asclépias ».

Une magnifique mosaïque représente curieusement toutes les embarcations connues à cette époque. Elle suggère que les commerçants locaux entretenaient des relations commerciales avec les villes côtières.

Quelques tours de roues plus loin, permettent de découvrir le long de la route, la grotte aménagée d’un peintre original, accueillant et prolixe.

À droite, les dolmens, encore érigés devant les demeures rurales, servent de sèche linge ! Au loin, les forêts de pins d’Alep des monts de Gouraya font une tâche verte sombre dans le paysage. Dans le ciel, un circaète Jean Le Blanc, chasseur de serpents, décrit de grands orbes. Il a raison : la chaleur revigore les reptiles et les faits sortir de leur trou.

On continue vers Aïn Kseïba, d’où l’on tire aussi de l’eau « Safia », moins bonne, à notre avis, que celle d’El Ksour. Mais, c’est parait-il une réaction de chauvinisme. Puis, on passe non loin du site mirifique du Sraa Ouertane. On doit en tirer des millions de tonnes de phosphate. On en parle depuis des années mais on n’a pas encore vu le début du commencement de la réalisation !

Puis, la piste – qui doit devenir route ! – bifurque vers l’ouest. On chemine au pied du Jebel Bou Lahnèch et on arrive à Kalaa Khasba. Ses installations industrielles de traitement de phosphate, l’ancien quartier minier et son énorme cheminée en brique, intéresseraient certainement, à l’instar de la ville « fossile » de Jérissa, de très nombreux visiteurs. D’abord, d’où vient ce phosphate ? À quelle époque géologique s’est-il formé ?

Le pays des mines

À partir de Kalaa Khasba, dont le jardin public, recèle des bornes milliaires de la grande route stratégique romaine, joignant Carthage à Haidra / Ammaedara et à Tébessa / Theveste, on remonte vers le nord. La voie romaine passe entre deux collines voisines. La route goudronnée moderne, toute droite, orientée pratiquement nord-sud, pourrait recouvrir l’ancienne route romaine qui passait par le Saltus Massipianus qui n’a jamais été mis en valeur et joignait Sarath.

À gauche, se dresse les Jebels Mzita et Bou Rbaïa qui bordent la Kalaat Esnam. On s’arrêtera, bien sûr, au mausolée consacré à Sidi Ahmed Zoughlami. Il paraît que c’est dans cette région que sont nées deux énormes révoltes : celle des Hnencha et celle menée par Ali Ben Gh’dhahom.

Au passage, on aura une pensée pour Mahjouba / Tituli et l’énorme citadelle antique qui la domine. À gauche, le Jebel Slata, à la crête dentelée, recèle les mines de Sidi Amor. La boucle se referme à Jérissa, un récif calcaire du secondaire infiltré de fer et une cité minière construite en 1907, par une compagnie belge sur le modèle des corons du nord.

Les enfants encore

Naguère, nous publiions un article intitulé : « les enfants d’abord » puisqu’il s’agissait de défendre des écoles rurales isolées, détruites et incendiées par … des « barbares », ennemis de l’enseignement républicain, sans doute.

Aujourd’hui, c’était la rentrée. Les écoles étaient fraîchement repeintes. Un petit homme, de sept ans à peine, pour sa première entrée, nous a demandé, inquiet : « on va me faire les piqûres de la vaccination ? » Pauvret !

Mais non, grâce à de généreux donateurs : un club kiwanis, en particulier, les membres de l’Association « Terre verte » sont venus distribuer aux enfants nécessiteux des dizaines de cartables garnis de fournitures scolaires, des tabliers, des ballons et la promesse de revenir pour répondre aux besoins méconnus qui se sont manifestés récemment.

Il faut avoir la foi pour aller enseigner dans ces petites écoles, souvent érigées au milieu de … rien, en pleine campagne, au bout d’une piste, disons carrossable. Presque toujours, ce sont les mêmes demandes, presque humbles, qui sont formulées. Il n’y a pas d’eau courante, même pas pour que les enfants puissent se laver les mains, au sortir des toilettes, avant de grignoter un bout de pain. Les « cantines » ont été pillées et détruites par les « barbares ». « Terre verte » a acheté et fait livrer des citernes métalliques qu’il faut encore aller remplir !

On est gêné de constater que les « toilettes », ouvertes sur la campagne, ne préservent aucune pudeur, aucune intimité, avec leur murs bas et leurs portes sans fermetures. Même les déchets normaux de l’école sont honteusement cachés derrière un bâtiment, dissimulés à la vue ! Fej Tameur, El Haïdra, Aïn Garça où deux classes n’ont plus de toits, Gouraya où le train ne s’arrête plus, Aïn Zarga : ce sont les mêmes manquements dans une région où cette année, la pluie est si rare que les puits et les sources sont taris depuis des mois. Le m3 d’eau, dite potable, parce que pourprée au lac collinaire voisin, coûte plus de 20 dinars.

Les raquettes de cactus, assoiffées, sont plates et fripées : desséchées. Les oliviers resserrent leurs feuilles le long des rameaux offrant à l’air sec les pores obstrués de leurs revers argentés, tout en essayant de boire quelques gouttes de la rosée nocturne. Les feuilles d’amandier souvent brunes, celles des figuiers et des vignes molles et rabougries pendent. Même les plants de romarin et les petits grenadiers, résistant pourtant à la sécheresse, sont bruns, près de mourir de soif. La moindre goutte d’eau répandue attire un peuple de moineaux assoiffés et batailleurs pour … la survie ! Un enseignant a plaisanté : « souhaitons que le nom de votre association « Terre verte » soit un bon présage ! ». Les sourires des enfants faisant le décompte des « trouvailles » découvertes dans le cartable offert sont réconfortants même si, sur plus d’une demi douzaine d’écoles contactées, un seul directeur ne nous a pas communiqué la liste des élèves nécessiteux ! Le plaisir – nous pensons – des enseignants et même du délégué, venu à notre rencontre, nous a amenés à formuler ainsi notre ultime salutation : « Non, ne nous dites pas merci, mais, à bientôt, à la prochaine fois ! ».

Alix Martin

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