Quelques heures seulement nous séparent de la grande messe des signataires du pacte de Carthage 2, le climat politique général du pays est inqualifiable. Cela rappelle dans les moindres détails, l’ambiance qui avait précédé le limogeage d’Habib Essid. Une ambiance indescriptible, des blocages et des problèmes de toutes sortes auxquels le président de la République était venu rajouter une tranche en mettant son petit grain de sel et en sortant de sa poche l’idée d’un gouvernement d’union nationale qui sera soutenu par un pacte qui unirait les forces politiques au pouvoir en plus des organisations nationales influentes. On parle ici du fameux Document de Carthage qui, aujourd’hui a montré ses limites et n’a pas donné la preuve de son efficacité.
En se basant ou plutôt en se cachant derrière ce qui est communément appelé le consensus, Béji Caïd Essebsi s’était inscrit dans l’inconstitutionnalité s’accordant des prérogatives qui n’étaient pas les siennes et de constituer autour de son projet une « assemblée » pour décider en lieu et place de la structure élue et qui seule a le pouvoir de mettre ou de démettre un chef de gouvernement.
La pilule fut toutefois avalée par le vote de retrait de confiance d’Essid et de son équipe par une ARP marquée par un consensus complice des partis de la majorité et la démission d’une opposition qui ne sait que donner de la voix et s’éclipser au moment d’accomplir son devoir.
Qu’avons-nous gagné depuis ? Certes rien. Par contre c’est la Tunisie qui a perdu encore plus surtout qu’elle est entrée dans la démocratie du mauvais côté. Rien qu’à voir le régime et le système électoral adoptés et on est avisé sur la suite.
Alors qu’il n’a pas cessé de défendre à cor et à cri ce qu’il aime appeler la stabilité politique du pays, le chef de l’Etat se trouve être à l’origine de l’instabilité que connaît le paysage politique du pays. Plus encore, le prestige de l’Etat cher à BCE se trouve aujourd’hui piétiné de par l’acceptation de se soumettre aux caprices des uns et des autres.
BCE en a-t-il pris la mesure réelle ? Avec sa carrière et son expérience politiques, on ne peut le nier surtout que jusqu’à présent il montre qu’il mène la danse à son aise. Ses dernières déclarations devant les signataires du document de Carthage laissaient entrevoir cela. Mais qu’en est-il des institutions constitutionnelles ? La présidence du gouvernement et particulièrement l’Assemblée des représentants du peuple.
La démarche adoptée depuis quelques temps semble aller dans le sens de la marginalisation de ces deux institutions.
Alors que conformément à l’esprit de la Constitution de 2014 c’est au parlement seul et en son sein que doivent être débattues les grandes questions politiques en rapport avec l’intérêt général du pays, il se trouve que les manœuvres se font en dehors de cette assemblée en réunissant, comme précédemment souligné, les acteurs politiques, les organisations nationales, même les novices parmi elles, et des représentants de la société civile autour du président de la république. Ceci ne fait que marginaliser le rôle de l’ARP.
Par ailleurs, s’agissant du gouvernement et notamment son chef, ils sont réduits à de simples fusibles qu’on peut faire sauter selon les humeurs de la grande UGTT et pour l’heure selon les caprices d’Essebsi junior.
Il est évident que tout se joue à découvert depuis que Hafedh Caïd Essebsi s’est lâché, même si très en retard par rapport à Noureddine Tabboubi, dans une campagne anti-Chahed allant jusqu’à faire oublier que c’est l’UGTT qui était l’initiatrice du projet d’éviction de Youssef Chahed.
En rejoignant la fronde anti-Chahed, HCE ne fait que mettre à mal son père, puisque celui-ci fait tout pour sauver la tête de Chahed. Il est évident que le président de la république, s’il est ainsi en difficulté, c’est bien à cause des caprices de son fils et de ses règlements de comptes et surtout de sa soif de pouvoir.
Et c’est dans ce sens que l’on peut se hasarder à avancer sans crainte que HCE est devenu non seulement un poids pour son père mais aussi un vrai problème pour le parti fondé par ce même père, et qui part en vrille. Les résultats des municipales n’en sont que la preuve.
A cela vient s’ajouter l’éveil tardif de députés de l’ARP qui viennent de s’élever contre « la mainmise de la présidence de la république sur les prérogatives du parlement et son dépassement de ses propres prérogatives »
A travers les deux versions du document de Carthage, le second n’est toujours pas signé, Beji Caïd Essebsi s’est mis dans un bourbier qui risque de déboucher sur une crise aux conséquences néfastes pour le pays.
Dans quelques heures, il va être face à lui-même, entouré des potentiels signataires du pacte de Carthage 2. Il aura à prendre, il est vrai, l’une des décisions les plus lourdes dans cette fin de mandat.
Quelque part, il s’agira d’un choix lourd de conséquences tant sur le plan personnel que sur le sacro-saint Etat et sa prévalence.
Aujourd’hui, et plus que jamais, Beji Caïd Essebsi est appelé à faire prévaloir l’intérêt général du pays. Il ne s’agit pas là de personnes.
Seul, tel un électeur dans son isoloir, il aura à oublier le père et le fils pour sauver le Saint Etat dans le strict respect de la constitution dont il est le garant.