Le phosphate et la Révolution : le secteur minier dans l’œil du cyclone

La baisse de la production phosphatière contribue à la crise multisectorielle que traverse le pays depuis la Révolution. Cependant une certaine spécificité caractérise les différents domaines abordés par l’investigation. Ainsi, pour l’enjeu phosphatier, les antagonismes claniques interfèrent avec la revendication liée à l’emploi.

Dans les centres miniers de Gafsa, des situations conflictuelles très variées apparaissent au long de la période dite transitoire et qui date du 14 janvier 2011. C’est ainsi qu’un modèle de bipolarisation a vu le jour et s’est répandu dans les centres miniers d’une façon manifeste. Les salariés de la Compagnie, qui sont normalement intégrés dans la société, sont enviés par une foule de mécontents, de chômeurs, de diplômés en chômage et toutes sortes de contestataires qui bloquent les issues et les empêchent de regagner leurs postes de travail. De fait, la Compagnie, seul employeur viable dans ces centres miniers, a fait beaucoup d’efforts pour le recrutement de 2493 nouveaux employés. Le secteur a beaucoup souffert : chute de la production de 59% et du chiffre d’affaires de 45%, perte de marché historique au profit de la concurrence… (Source : conseil ministériel du 17 février 2014.)

La question de l’emploi occupe une position centrale dans les sit-in, les débrayages et les manifestations de protestation. Outre leur impact sur la situation sécuritaire, ces mouvements sociaux perturbent la gestion économique des entreprises incitées à débaucher plutôt qu’à recruter. Ce processus exacerbe les tensions entre les inclus dans l’activité productive et les exclus qui revendiquent leur intégration. Les secteurs miniers de Gafsa présentent au niveau local un modèle réduit d’une bipolarisation observée à l’échelle nationale sur les plans économique, politique et culturel.

C’est la perception de ce clivage conflictuel par les employeurs, les aspirants à l’emploi et les autorités locales qui a fait l’objet de cette investigation.

 

Le point de vue de l’exclu 

Pour les postulants à l’intégration dans le secteur minier, «il n’y a pas de droit à la vie sans le droit à l’emploi». Or dans la région peu d’autres possibilités existent à part les activités minières. Les interviewés mettent l’accent sur l’absence de dignité sans la satisfaction des besoins sociaux fondamentaux relatifs à la nutrition, la santé ou l’éducation des enfants. Ils appuient cette argumentation par la référence aux objectifs de la Révolution.

 

Logique patronale 

À cette position les dirigeants de l’entreprise minière opposent une vision liée aux exigences de la rationalité économique.

Ainsi, un responsable des ressources humaines déclare : «nous avons recruté plus de personnel que nécessaire. Les grèves contrecarrent la croissance et donc les possibilités de recrutement. Ce n’est pas seulement à nous, mais aussi aux autorités politiques et administratives de résoudre le problème de l’emploi.»

Position des autorités locales

Les retombés de cette bipolarisation ont poussé les autorités locales, faute de pouvoir empêcher ces arrêts répétés et sauvages , à essayer d’alléger la pression subite par la CPG en créant des alternatives dans le domaine de l’agriculture.

Afin de diminuer la pression exercée par les demandeurs d’emploi dans le secteur minier, le Commissariat régional au développement agricole (CRDA) a commandité une étude pour l’implantation d’un périmètre irrigué dirigé par un ingénieur agronome qui explique que la pression exercée par les demandeurs d’emploi proviendrait de «la mentalité minière.»

Cependant, cette expression pose problème. Si les demandeurs d’emploi s’adressent au secteur phosphatier, c’est plutôt parce qu’il n’y a pas d’autres domaines d’activité. L’évocation de «la mentalité minière» reporte la responsabilité sur les marginalisés, alors que la difficulté se trouve ailleurs, c’est-à-dire au niveau de la croissance économique régionale et nationale.

Takoua Touhami

 

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