Une nouvelle constitution ! La cinquième après celle de Carthage pendant la seconde moitié du quatrième siècle av. J. C, la constitution de 1861, la constitution de 1959 et la constitution de 2014. C’est vrai que le président devra à tout prix s’attacher la confiance de son peuple et fonder son pouvoir sur la loi. Mais cette nouvelle constitution est-elle capable de désamorcer le scepticisme du peuple tout entier et de lui apporter des réponses à la hauteur de ses attentes ? Voilà une question qui a fait couler beaucoup d’encre et alimente des discussions depuis des mois. Et qui n’a pas fini de nourrir maintes querelles, surtout que l’heure n’est plus aux rafistolages, aux petits ravalements de façade. Le peuple est invité à rien de moins qu’une stabilité constitutionnelle indispensable préalable à toute démocratie. Que l’on sache, en effet, et quels que soient les arguments spécieux qui voudraient justifier le contraire, que la Tunisie est bien une démocratie. Chacun y est libre de s’exprimer, de débattre, de défendre ses idées. Or cela ne doit pas conduire à occulter ou à minimiser les importantes lacunes de cette démocratie naissante, son incapacité à se reformer en profondeur et le rôle toujours prépondérant qu’y jouent les extrémistes de tout bord. La crise générale qui bouscule le pays sur tous les plans et ébranle le pouvoir est inédite. C’est une évidence qui s’est imposée depuis plus de onze ans.
Cette situation dramatique, qui condense toute la précarité, toute l’angoisse d’un peuple si profondément déstabilisé, a déclenché une controverse nationale sans précédent. Car elle touche à l’essentiel: comment restaurer l’égalité et la légalité dans un pays dont les fractures sociales, économiques, culturelles, régionales et politiques, n’ont cessé de se creuser, attisant frustrations, haines et colères ? Et comment y parvenir quand les gouvernants sont l’objet d’une défiance abyssale ? Il ne suffira pas au président de promulguer une nouvelle constitution. Les citoyens attendent des décisions, des actes, des réformes et des solutions. Mais aussi la mise en œuvre d’un projet cohérent qui donne du sens et un horizon à partager pour l’avenir.
Le président Kaïs Saïed pourrait se faire le guide de ce peuple en désarroi, qui entend, souhaite décamper, fuir pour de bon hors des mythologies personnelles, des fadaises religieuses, des idéologies mortifères, du brouillard des illusions. Surtout qu’il n’est pas de punition plus terrible pour un président élu démocratiquement que le comportement inutile et sans espoir. L’histoire, et surtout celle de notre pays, ne manque pas de combats difficiles qui ont abouti, mais celui-ci promet d’être plus difficile à gagner dans la situation actuelle. Et pourtant, notre peuple pense qu’il mérite d’être mené. Même quand il est au fond de l’abîme, il se trouve toujours une grande partie de ce peuple qui, à l’instar d’Hannibal, Massinissa, Dihya (El Kahena), Kheireddine, Hached et Bourguiba, prétendra sans hésitation, qu’il suffirait d’un brin de volonté pour régler tous les problèmes du pays. Le sujet, il est vrai, n’est pas nouveau. Il est même au cœur de débats dans toutes les démocraties. Mais nous devons lui restituer une part de son actualité en le situant au sein des processus politiques, éthiques, sociologiques, économiques, culturels et juridiques globalisés que l’on fait passer du monde des idées et des lois à celui, plus inquiétant, de la triste réalité de notre pays.
Entre les extrêmes, entre l’outrecuidance de l’ambition politique légitime et l’inhibition des angoisses de la population, il appartient au président de la République d’ouvrir des voies nouvelles, d›installer raison et réflexion dans le pandémonium des foucades d’opinion, chauffées à blanc par les plateaux télévisés et les réseaux sociaux où le plaisir de tirer l’emporte grandement sur l›utilité de viser juste. «Armé» de cette nouvelle constitution – sa constitution – Kaïs Saïed est-il capable de relever le défi ? Le paradoxe est que son pire ennemi ne se trouve pas chez ses rivaux dont les résultats au pouvoir ne sont, après tout, guère acceptables. Non, le pire ennemi de Kaïs Saïed, c’est lui-même, lorsqu’il s’exprime dans l’irrationnel confort de la «victoire».