Le podcast n’est pas un phénomène de mode (Partie 1)

Par Dr Souhir Lahiani

Par Dr Souhir Lahiani

Depuis la création de l’imprimerie, le paysage médiatique n’a cessé de se diversifier. Le passage de la presse écrite à la radio et à la télévision, puis aux sites internet jusqu’aux plateformes, applications et podcasts, a donné lieu à une concurrence féroce tant sur le plan informationnel que sur le plan économique.

 Le journalisme traditionnel s’est peu à peu tourné vers les plateformes numériques. Comme le dit William Dutton, « Internet n’est pas stable, mais est constamment réinventé. Chaque nouveau développement a apporté de nouveaux défis pour les individus qui doivent les incorporer dans leur routine. La poursuite des vagues d’innovations défie également la recherche » (Nic Newman, William Dutton et Grant Blank, 2014).
Nic Newman, William Dutton et Grant Blank décrivent les changements du système d’information comme une nouvelle complémentarité entre nouveaux médias et médias traditionnels.
Prenons l’exemple de l’industrie du podcast, elle évolue d’année en année à travers le monde. De plus en plus de personnes affirment écouter des podcasts régulièrement.
Aujourd’hui, les podcasts proposent toutes les thématiques (actualité, santé, business, sport, écologie, etc.). Bien que ce format audio existe depuis longtemps, cela fait seulement quelques années que le podcast devient vraiment populaire.
Créer un podcast ne se résume pas à suivre une tendance à la mode. Au contraire, cela découle de la reconnaissance de l’importance de certains sujets qui méritent d’être discutés et portés à l’attention du public. Produire un podcast revêt une dimension plus profonde et significative. C’est une opportunité pour les créateurs de contenu ou journalistes, de partager un contenu authentique et pertinent, des idées, des histoires, des problèmes souvent négligés ou marginalisés dans les médias traditionnels, contribuant ainsi à enrichir le débat public et à promouvoir une meilleure compréhension des enjeux contemporains (conseiller, guider, sensibiliser le public…).L’essor des podcasts n’est pas simplement le fruit d’une popularité passagère, mais plutôt le reflet d’une évolution dans la manière dont les gens consomment l’information et interagissent avec les médias. Les podcasts offrent une plateforme unique où des sujets variés, qu’ils soient culturels, politiques, scientifiques ou personnels, peuvent être abordés de manière approfondie et réfléchie. Ces podcasts sont accessibles sur diverses plateformes telles que Google Podcasts, YouTube, Spotify, etc.

 Qu’est-ce qu’un podcast et comment fonctionne-t-il ?
Un podcast est un contenu audio numérique que l’on peut écouter n’importe où, n’importe quand, grâce à la technologie du flux RSS, parce qu’il est possible de télécharger ce contenu.
Le mot podcast s’est développé en 2004. Ben Hammersley, journaliste au Guardian, opte pour le mot-valise « podcast » (à partir d’iPod et de broadcast). La même année, Adam Curry et Dave Winer élaborent un processus pour télécharger des contenus audios directement sur le nouveau terminal Apple : Winer a mis au point un logiciel de RSS et Curry codé un programme (iPodder) permettant d’extraire des contenus audios à partir d’une source RSS et de les transférer sur un iPod, tirant parti des éléments de synchronisation de l’appareil et du logiciel iTunes. Ils diffuseront ainsi leurs émissions « Daily Source Code » et « Morning Coffee Notes ».
Fin 2004 est créé le premier fournisseur de services de podcasts, Libsyn.com (Liberated Syndication). La société offre des services de stockage, de la bande passante et des outils de création RSS (Source larevuedesmedias.ina.fr).
Bien qu’étant une invention plutôt récente, les podcasts ont eu un impact considérable sur les audiences à travers le monde.
À l’instar des livres, des films et d’autres formes de divertissement, les podcasts abordent de nombreux thèmes. Si le contenu humoristique est le genre le plus populaire, d’autres genres, tels que les documentaires criminels, l’actualité et le monde de l’entreprise, rencontrent également de larges audiences.

 Types de podcast
Le podcast existe sous des formes aussi multiples que variées. Ils diffèrent dans leur durée, leur ton et leur format. Parmi les styles les plus populaires, citons notamment :
Conversationnel : un podcast conversationnel est simplement une discussion. Le présentateur d’un podcast peut discuter d’un sujet de façon décontractée ou interviewer des invités. Ce format ressemble à une émission de radio classique.
Monologue : les podcasts conversationnels impliquent généralement des co-présentateurs ou un tour de table, les podcasts de type monologue ne comprennent qu’une seule personne. Ce format ne présente pas de script et les sujets peuvent être variés. Du fait que vous n’avez pas à vous coordonner avec d’autres personnes, ce style de podcast peut être un moyen simple d’accroître votre audience.
Récit non fictif : les podcasts de récits non fictifs traitent d’événements réels de façon intéressante. Parmi les exemples de podcasts utilisant ce format, citons «This American Life», une célèbre émission de radio et podcast qui raconte des récits journalistiques dits «d’intérêt humain».
Théâtral : de nombreux podcasts sont réels, mais des récits fictifs peuvent également être diffusés. Certains podcasts écrits à l’avance se déroulent sur plusieurs épisodes, tandis que d’autres proposent des récits indépendants.
Réadapté : les créateurs de contenus optent de plus en plus pour la réadaptation de contenus existants en épisodes de podcast. Par exemple, les présentateurs peuvent lire des billets de blog et des articles au cours du podcast. Cela permet aux audiences de s’engager avec du contenu dans leur format préféré.
Hybride : les podcasts ont l’avantage de pouvoir mêler les formats, il n’est donc pas rare que leur style varie au fil des épisodes et du temps. Par exemple, un podcast de type monologue peut, de temps à autre, accueillir des invités et organiser un épisode conversationnel.
Audio vs vidéo : si, à ses débuts, le podcast était uniquement un médium audio, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les podcasts comprennent généralement un élément vidéo, comme des vidéos des invités ou encore des images et infographies. Les fichiers audio et vidéo présentent tous deux des avantages et offrent différentes possibilités.
Les podcasts audios sont plus accessibles. Le contenu audio numérique peut être écouté où que vous soyez, tandis que le visionnage de vidéos nécessite un contexte propice. Un podcast audio requiert également moins d’équipements et peut être hébergé sur plusieurs plateformes.
D’un autre côté, les podcasts vidéo peuvent aider les podcasteurs à toucher de nouvelles audiences. Les personnes qui n’écoutent généralement pas de podcasts peuvent regarder des vidéos sur des plateformes, telles que YouTube ou Twitch. L’utilisation d’un enregistrement vidéo vous permet aussi de partager des informations qui sont parfois plus complexes à transmettre via du contenu audio (Source la plateforme Mailchimp).

 Qu’est-ce qui rend le format si populaire ?
Nul doute que les podcasts touchent une large audience, mais qu’est-ce qui rend le format si populaire ? L’un des aspects les plus attirants réside dans leur facilité d’accès. De nombreux podcasts à écouter sont disponibles gratuitement.
Il existe un nombre incalculable de sujets de podcasts, et n’importe qui peut trouver un sujet qui l’intéresse. Chaque audience potentielle dispose de son podcast, qu’il s’agisse d’éducation, d’humour ou de n’importe quel autre sujet.
La polyvalence inhérente à son format fait du podcast un matériau idéal. Les podcasts audios sont peu contraignants, les auditeurs peuvent les écouter pendant qu’ils travaillent, qu’ils conduisent, ou même lors d’un entraînement.
Lorsqu’ils écoutent un podcast, les auditeurs peuvent se connecter à une communauté plus importante. Les podcasts peuvent les aider à trouver des personnes qui partagent les mêmes passions et centres d’intérêt. De nombreux podcasts disposent de canaux Discord où les auditeurs peuvent interagir entre eux.

 L’industrie des podcasts aux États-Unis
En 2023, l’industrie du podcast est estimée à 23 milliards de dollars. Il y a plus de 500.000 podcasts et 70 millions d’épisodes.
Les États-Unis sont le pays où il y a le plus d’auditeurs de podcasts. Environ un tiers des Américains ont écouté au moins un épisode au cours du dernier mois. On constate une hausse de 5% au cours des dernières années, bien que cette croissance commence à se ralentir un peu, car la progression des cinq dernières années a été assez incroyable.
Ce média est clairement un phénomène de consommation audio. Il se substitue à la radio linéaire, c’est-à-dire la radio qu’on écoute en direct sur notre poste, même si on n’a plus beaucoup de postes radio de nos jours.
Aux USA, environ la moitié des personnes qui écoutent la radio linéaire écoutent également des podcasts. C’est un média qui est définitivement installé dans le paysage audiovisuel.

Les podcasts en France
Les podcasts connaissent une progression remarquable en France, devenant un média incontournable dans le paysage audiovisuel.
En 2023, 82% des Français écoutent chaque jour de l’audio d’informations. Et le podcast natif et le replay radio sont devenus une habitude quotidienne pour 1/3 d’entre eux.
Un chiffre en forte croissance car, chaque année, le nombre de personnes écoutant des podcasts natifs et/ou de replay radio connaît une croissance impressionnante de plus de 50% (Source : Harris Media). Chaque mois, près de 200 millions d’épisodes de podcasts sont écoutés dans le pays, et un auditeur moyen consomme en moyenne 17 podcasts différents.
Ces statistiques démontrent l’ampleur du phénomène du podcasting en France et la forte implication des auditeurs dans ce mode d’écoute. Quant aux radios FM, elles ont perdu 3,1 millions d’auditeurs depuis 2018 selon les chiffres, illustrant clairement la transition du public vers les podcasts.
Selon l’étude CSA-Havas Paris sur les podcasts pour l’année 2023, le podcast est un format qui évolue avec son temps. En effet, 71% des auditeurs en écoutent sur leur téléphone, contre 61% en 2022. 32% des 18-64 ans écoutent des podcasts tous les mois.

Qu’en est-il en Tunisie de l’absence d’études sur le phénomène podcasting ?
Au début de l’année 2024, selon Médianet, agence spécialisée dans l’étude des flux sur internet, nous enregistrons en Tunisie, un ratio de 79% soit ~ 10 millions d’utilisateurs d’internet. Ce ratio nous classe en 3e position par rapport aux pays de l’Afrique et en 10e position par rapport aux pays de la région MENA.
75% des Tunisiens utilisent internet, selon une enquête menée par Sigma pour le compte de l’Instance nationale des télécommunications (INT), 51% affirment qu’ils passent plus de trois heures par jour sur internet, 33% y passent entre une et trois heures et 16% moins d’une heure.
En Tunisie, l’augmentation des statistiques sur Internet alimente la croissance de nouveaux formats journalistiques sur le digital, dont les podcasts. En effet, les formats podcast constituent une plateforme alternative aux médias traditionnels, ils commencent à avoir un public de plus en plus élargi. Malheureusement, on note une absence de chiffres sur ce phénomène du podcasting qui ne cesse de s’imposer et attirer de plus en plus d’utilisateurs.
Nous avons lancé un festival de podcasts (Tunisia Podcasts Festival 2023) mais nous ne disposons pas d’études ou de recueil de données sur l’industrie du podcast en Tunisie.
Nous disposons en Tunisie, de personnes passionnées, de créateurs de contenus et de journalistes qui proposent une variété de contenus : des podcasts éducatifs, culturels, écologiques, etc.
Arbi Battini, journaliste et producteur des émissions à radio jeunes (la Radio tunisienne), évoque la nécessité de définir des critères pour encadrer cette pratique en Tunisie, afin d’éviter une production anarchique, puisque chaque personne équipée d’un matériel adéquat peut créer un podcast. N’importe qui peut produire un podcast, même si cela ne correspond pas nécessairement aux standards attendus. « À mon avis, un podcast devrait répondre aux critères d’une émission radio ou télévisée », a-t-il soutenu
Arbi Battini conclut : « Le podcasting est une plateforme en constante évolution, mais les critères de base demeurent la qualité du son et de l’image, un scénario bien fait, ainsi qu’un sujet attractif. Cependant, il est difficile, voire impossible d’imposer ou de censurer le contenu diffusé ».
L’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme du 10 décembre 1948 dispose que «tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit. »
En résumé, créer un podcast ne se limite pas à suivre une tendance à la mode. C’est un acte d’engagement envers le partage d’informations significatives et pertinentes, dans le but d’éduquer, de divertir et d’inspirer le public.

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