Que peut-on faire en l’espace de neuf mois pour restaurer une confiance perdue, remettre un pays, gravement malade, sur le chemin de la production et de la création de richesses et apaiser les tensions sociales qui risquent d’enfler au cours de la prochaine année? Si l’on prend en considération l’importance des défis à relever, l’absence de moyens, l’inexistence d’une véritable mobilisation et d’une volonté collective pour faire bouger les choses, l’on se rend compte du caractère ardu de l’entreprise, de ce qui se présente comme possible, probable et impossible à entreprendre dans cet intervalle. Une période très courte et, de surcroît, annonciatrice de tous les dangers pour une équipe gouvernementale dont la marque de fabrique reste sa logique partisane, non sa cohésion ou son programme d’action.
En dépit du facteur temps qui est difficile à gérer, au regard des problèmes que le gouvernement aura à confronter dès les premiers jours, des fortes pressions à régir, des demandes à satisfaire et des arbitrages à trouver, la mission dévolue à Youssef Chahed et à son équipe n’est pas certes impossible, elle exige néanmoins de satisfaire un certain nombre de préalables.
Incontestablement, le premier défi se réfère à la solidité de la coalition, à l’origine de la confiance accordée par l’ARP à la nouvelle équipe. Cette coalition à deux têtes, à savoir Ennahdha, plus que jamais déterminé à étendre ses tentacules partout et à imposer sa loi, et la Coalition nationale, formée d’élus qui ont, pour leur majorité, quitté Nidaa Tounes, parviendra-t-elle, au cours de cette nouvelle année électorale, à préserver sa fragile cohabitation et à épargner au gouvernement des tensions qui pourraient lui être fatales ? En effet, si Youssef Chahed se résout à se présenter comme candidat potentiel d’un front centriste moderniste aux prochaines élections, ne risque-t-il pas d’être lâché par Ennahdha avant terme ? Le pays ne sera-t-il pas, dès lors, contraint à gérer une énième crise gouvernementale qui risquerait, cette fois-ci, de brouiller toutes les cartes, voire même d’hypothéquer la tenue des élections dans les délais impartis ? Deux semaines après l’épilogue d’une longue crise politique, la question commence à titiller certains esprits et certaines parties commencent à prendre ce postulat en ligne de compte avec toutes les conséquences qui peuvent en découler.
Sur le plan économique et social, le nouveau gouvernement aurait-il le courage et la force de mener des réformes douloureuses, impopulaires, mais combien nécessaires, à leur terme pour arrêter la descente périlleuse du pays aux abysses de l’inconnu ?
Peut-on résoudre en quelques mois ce qu’on n’a pas pu faire en quatre ans ? Stopper, par exemple, la crise des finances publiques par une politique moins expansive au niveau des dépenses publiques ? Pour que les autres suivent, il faut que l’Etat donne l’exemple, en optant pour une véritable politique d’austérité qui lui permet de se contenter de l’essentiel et d’éviter tout ce qui est ostentatoire, superflu.
Ensuite, il importe d’oser dire la vérité aux Tunisiens et ne pas les laisser dans le flou. Il est tenu par ailleurs par l’exigence du résultat qui l’habilite à mener frontalement les réformes et ne pas céder aux pressions et aux marchandages de toutes sortes.
Peut-on espérer un quelconque accompagnement des institutions internationales quand on ne respecte pas les engagements qu’on prend, qu’on se plie facilement à des demandes que le contexte actuel que connaît le pays interdit, ou que les organisations nationales recourent abusivement au bras de fer tournant le dos obstinément à tout compromis ?
La multiplication des menaces de grève dans plusieurs secteurs publics notamment et des revendications qui ne prennent pas en compte l’état de santé des finances publiques, se nourrit du sentiment de la faiblesse extrême de l’Etat qui a pris le pli, à leurs yeux, de se plier à l’exigence à la moindre alerte et à céder à des choix qui ont montré au fil du temps leur caractère nocif et pour les Tunisiens et pour l’économie du pays.
Par où commencer dans le laps de temps imparti à ce gouvernement que son chef a qualifié de guerre ? N’ayant pas l’embarras du choix, ni une marge de manœuvre confortable, il est condamné avant tout à construire une confiance, à se montrer inflexible quand il s’agit d’épargner au pays les situations du pire, celles qui hypothéqueraient l’avenir du pays et celui des prochaines générations.
Il faut oser dire la vérité aux Tunisiens pour qu’ils prennent conscience des défis qui les attendent, assumer pleinement ses responsabilités et savoir convaincre, non pas par de vagues promesses, mais par une action rigoureuse et déterminée. Pour qu’un changement quelconque puisse s’opérer et que le Tunisien s’implique pleinement, il est grand temps que toutes les parties laissent de côté le discours démagogique et les calculs politiciens pour espérer sauver le pays d’un naufrage presque inévitable.
A un an des prochaines élections, il n’y a plus d’autres voies de sauvetage possible.
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