La Constitution est bel et bien en train de se faire, la publication du préambule en atteste. Alliant les «constantes de l’Islam» et les «valeurs des droits de l’homme», il semble être le parfait compromis. Mais le manque de précisions n’est-t-il pas une échappatoire ?
Des «slogans clefs» comme le déclare la députée Ettakatol, Lobna Jeribi. Le préambule de la Constitution est en effet le texte de tous où les mots«révolution», «identité», «état civil», «égalité», «ouverture», «participatif» laissent croire en effet à un texte du compromis qui se base sur «les constantes de l’Islam et ses objectifs, caractérisés par l’ouverture et la modération et les nobles valeurs humanistes», s’inspirant de l’action «réformatrice» et du «patrimoine civilisationnel». Si le texte répond bien à sa mission de ce qui doit précéder un texte juridique officiel, élaborant les grands objectifs er les principes, certains principes doivent être explicités :
«Les constantes de l’Islam»
Le terme est celui qui prête le plus à confusion. Qu’est-ce qu‘une constante (thawabet) ? Apparemment le terme employé est plus fort que celui de la Constitution de 1959 qui parlait de «fidélité à l’enseignement de l’Islam». il renvoie à un aspect assez statique et non interchangeable. Selon Lobna Jeribi Vice-rapporteur de la commission en charge du préambule, ce terme atténué par «l’ouverture et la modération» reflète bien la pensée réformiste spécifique à la Tunisie qui s’est fondée sur ces deux valeurs. «Il y a bien eu débat sur la question, car certains voulaient laisser le terme tel qu’il était. Nous avons insisté sur cette idée de modération afin qu’il reflète au mieux la Tunisie d’aujourd’hui. Cependant, le terme reste quelque peu fourre-tout et on ne sait pas si ce sont les valeurs du Texte saint, des déclarations des droits de l’homme ou de la Charia dont s’inspirent ces «constantes».
«Les acquis civilisationnels et nationaux»
Cette notion reflète avant tout la préservation de certains acquis comme le Code du Statut personnel promulgué le 13 aout 1956. Pour Mabrouka M’Barek députée CPR et membre de la commission, c’est aussi un moyen de préserver les «acquis de la Révolution». Mais c’est aussi toute l’histoire du peuple tunisien qui est prise en compte notamment celle des «berbères». Sur ce point, le préambule marque une avancée car il prend en compte les minorités et leur histoire.
«Etat civil»
«Derrière cette notion d’Etat civil, il faut préciser ce que l’on entend par civil, tout comme société civile, c’est un terme assez vague» témoigne le professeur de droit constitutionnel Kaïs Said. Pour un autre juriste «l'Etat civil c'est l'Etat où le droit est humain, un droit positif». ce qui renverrait à un Etat où l’humain a primauté sur le divin tout comme l’Etat de droit, déjà plusieurs fois réclamé par les défenseurs des droits de l’homme qui garantit la primauté du «droit» sur la «raison d’Etat» par exemple avec le respect de la hiérarchie des normes comme celle de la séparation des pouvoirs évoquée dans le préambule et l’égalité des citoyens devant le droit.
«Pluralisme, démocratie participative»
Ces deux notions garantissent la fin de l’Etat-parti et même de toute prévalence d’un parti unique. «Reste à savoir comment gérer ces notions dans la pratique. L’aspect participatif c’est la garantie d’une certaine souveraineté du peuple, il faut donc réellement lui garantir ce droit» commente Kais Said.
L’innovation du texte est l’attention nouvelle apportée à la protection de l’environnement qui peut être une nouvelle donne à prendre en compte dans la Tunisie de demain. Les points de dissension ont été sur la question de la libération de la Palestine, comment l’introduire dans le préambule. Cette question a été ralliée à celle de l’unité arabo-maghrébine, faisant le consensus chez la plupart des députés. «Même si elle n’a pas encore été réalisée, on y croit encore» déclare Lobna Jeribi. Par ailleurs, la différence majeure avec la première version du préambule selon un juriste travaillant à l’Assemblée est la suppression d'un considérant qui stipulait que les traités internationaux contraires à l'article 1er ne pouvaient pas intégrer l'ordre juridique tunisien, permettant aussi plus d’ouverture.
Après la proposition de ce préambule en séance plénière, les autres commissions se sont engagées à rendre d’ici le 15 juillet un premier projet de Constitution. «Pour l’instant, ce n’est pas une question de temps, c’est faisable d’ici juillet mais il faut être précis juridiquement» a conclu Kais Said. Quant la question de la place de l’Islam dans la loi, elle semble plus que jamais tenace comme le montre l’introduction de l’Islam dès les premiers principes.
Lilia Blaise