La longue hospitalisation en France d’Abdelaziz Bouteflika a enfin touché à sa fin en début de semaine dernière. Au total, le président algérien, âgé de 76 ans, aura passé presque trois mois dans les différents services du Val-de-Grâce, où il avait initialement été admis pour un accident ischémique transitoire (attaque cérébrale) et ceux de l’Hôtel des Invalides. Rentré discrètement par avion médicalisé en Algérie mardi dernier et accueilli par les dignitaires du régime, son retour ne suscite cependant que peu d’intérêt chez ses concitoyens et la classe politique algérienne dans son ensemble. À croire qu’il n’occupe déjà plus son poste.
Souffrant toujours des séquelles de son attaque cérébrale, notamment d’une aphasie (un trouble du langage affectant l'expression ou la compréhension du langage parlé ou écrit) c’est un président affaibli et diminué, en fauteuil roulant et toujours officiellement en convalescence qui est rentré à Alger le 16 juillet dernier.
Pour les officiels, tout va bien
Pour l’occasion, les médias algériens proches du pouvoir ont renoué avec les pratiques d’antan en diffusant des images d’archives où l’on pouvait le voir en bonne santé… Et l’on se souvient aussi de sa désolante apparition, quasi fantomatique et filmée sans le son, lors d’un entretien mis en scène avec son Premier ministre et le chef d’état-major de l’armée nationale populaire, dans une chambre médicalisée des Invalides…
Ce coup médiatique, organisé début juin par des conseillers en mal d’inspiration afin de rassurer l’opinion publique algérienne, a eu l’effet strictement inverse, offrant ainsi prise aux rumeurs les plus folles sur l’état de santé du président.
Ainsi, tenant absolument à «rassurer le peuple», les autorités algériennes se sont montrées volontaristes en organisant dès l’arrivée de Bouteflika à Alger une rencontre avec les principaux représentants politiques, président du Sénat, président du Conseil constitutionnel et chef d’état-major de l’armée… Mais cette démonstration a-t-elle eu l’effet escompté ? Il est permis d’en douter. Ce qui n’a pas empêché Kassa Aïssi, membre du bureau politique du Front de libération nationale (FLN, le parti au pouvoir) et chargé de la communication, de déclarer que «ce qui est attendu du chef de l’État, ce ne sont pas des performances d’un athlète de haut niveau, mais la direction d’un pays ; les arbitrages nécessaires pour assurer le bon fonctionnement des institutions. Cela a été fait et cela se fera certainement pour poursuivre son programme et en préparant les importantes échéances politiques qui attendent le pays au cours de l’année 2014.»
Mais visiblement incapable — pour le moment du moins — d’assumer ses fonctions depuis son retour, fonctions déjà considérablement allégées depuis son opération à Paris en 2005 pour cause d’ulcère hémorragique à l’estomac, le président Bouteflika, au pouvoir depuis maintenant 15 ans, semble n’être rentré en Algérie que pour tenter de «planifier» sa succession.
Alors qu’un communiqué officiel publié par la présidence précise que le chef de l’État devra poursuivre «une période de repos et de rééducation», certains éditorialistes et observateurs redoutent désormais le risque d’une période de flottement institutionnel qui nuirait au bon déroulement des affaires du pays.
Crise de confiance ?…
Le retour du président algérien, qui en d’autres temps aurait suscité la liesse populaire et les démonstrations des grands jours, divise maintenant l’opinion nationale entre ceux qui lui manifestent une reconnaissance polie et lui souhaitent un prompt rétablissement — en ajoutant toutefois «qu’il est temps de partir» — et ceux, généralement les plus jeunes et les plus nombreux, à qui ce retour ne fait ni chaud ni froid.
Car depuis de nombreuses années la société algérienne endure une profonde et réelle crise de confiance envers sa classe dirigeante, due en grande partie à l’effacement de la scène politique de Bouteflika, conséquence de ses nombreuses maladies et hospitalisations et dont le rôle, au fil des ans, s’est réduit à un aspect quasi symbolique.
Cette inquiétude est perceptible dès lors que l’on demande aux Algériens de se prononcer sur les vrais tenants du pouvoir en Algérie. Et à la question de savoir «qui dirige actuellement le pays ?», personne n’est en mesure de répondre avec certitude. En outre tous les Algériens ont pu constater que la dernière hospitalisation du président, comme les précédentes, n’a pas empêché le pays de tourner, bon an mal an.
Bien entendu une certaine frange des politiques s’est congratulée et officiellement félicitée du retour du chef de l’État. Mais tout en demeurant attachée à la figure du président, dont les mérites sont reconnus et appréciés, la population algérienne, à l’instar de nombreux responsables, regarde désormais vers l’avenir et plus précisément vers les élections prévues pour avril 2014. Pour cette population, majoritairement jeune et souvent désœuvrée, Bouteflika est devenu un symbole du passé.
… Ou crise tout court ?
Mais pour une majorité d’Algériens, le présent, lui, oscille entre indifférence et inquiétude, car la population subit chaque jour de plein fouet et depuis plusieurs années l’absence de leadership politique.
Les grands chantiers économiques et sociaux qui devaient redynamiser le pays, sont actuellement mis entre parenthèses, accusant de plus en plus de retard, avec pour corollaires un pouvoir d’achat en berne, une création d’emplois au point mort et un investissement en crise. Par ailleurs le développement des nouvelles technologies annoncé autrefois comme fer de lance de la relance économique et de la démocratisation connaît le même sort et stagne lui aussi.
Quant à la classe politique, engoncée entre attentisme et calculs en vue des élections de l’année prochaine, elle se contente de gérer les affaires courantes au coup par coup pour cause d’opacité du centre de décisions, creusant davantage le fossé entre les Algériens et leurs dirigeants.
Et ainsi, depuis le retour du président Bouteflika, force est de constater que malgré les discours rassurants des officiels quant à la bonne continuité des affaires de l’État, il n’en demeure pas moins qu’à l’heure actuelle la politique algérienne souffre cruellement du manque d’une feuille de route clairement établie et est victime du flou qui règne à la tête de l’exécutif. Et les différents observateurs ne se cachent désormais plus pour affirmer que le pays se trouve dans une impasse politique. À tel point que certains d’entre eux réclament d’ailleurs l’application de l’article 88 de la Constitution algérienne qui permettrait de mettre en place des présidentielles anticipées, mais cette alternative ne suscite évidemment que peu d’engouement du côté de l’entourage présidentiel.
L’heure du bilan
En attendant les prochaines élections prévues pour avril 2014 et même s’il est désormais acquis que le président ne briguera pas de 4e mandat, les médias s’interrogent sur sa volonté de se maintenir au pouvoir. Certains doutent d’ailleurs que «sa» volonté soit seule en cause et supputent l’emprise d’un entourage qui voudrait s’assurer un passage de flambeau en douceur, un avenir politique à moindre frais en quelque sorte.
Cependant les intrigues de palais, les bruits de couloir, la place de l’armée, toujours aux manettes, ainsi que le rôle ambigu joué ces dernières semaines par le propre frère cadet du président, Saïd, laissent augurer d’une fin de règne mouvementée qui exaspère déjà la population algérienne.
Mais d’ici les prochaines élections, l’attentisme des uns se fait clairement au détriment des autres. Quid du programme politique ? Des attentes populaires ? D’une politique internationale mise à mal par un contexte difficile et mouvementé ?… Nul n’en sait rien.
Pour l’heure le président Abdelaziz Bouteflika peut se targuer d’un bilan globalement mitigé où les réussites avérées côtoient cependant un nombre non négligeable de points négatifs.
Certes il a su assurer la transition politique après la décennie noire et son élection de 1999 — et quoi qu’il arrive, cela restera à son actif. Mais ses différentes mandatures ont aussi été entachées par bon nombre de dérives dont, la plus importante peut-être, le retrait, en 2008, de la limite de deux mandats qu’un président peut exercer, mais, aussi, par une frilosité politique qui a contrarié diverses aspirations du peuple algérien.
Gilles Dohès