A Sbiba, le prêcheur désapprouve les deux attentats retors et il reçoit une menace de mort. Or, le prêche du vendredi explique aux prieurs, ce jour-là réunis, les messages divins transmis au prophète à l’adresse de chacun. Donc, la condamnation vaut la damnation. Et celle-ci dépasse, en termes de gravité, la profane illégalité de l’attentat car, avec la parole divine, on ne badine pas. Nous y reviendrons.
Peu après les attaques perpétrées à l’avenue Bourguiba et au Gorjani, le ministre des Affaires religieuses reproche aux médias d’accuser les imams de caresser les jihadistes armés dans le sens du poil couché, sans pour autant vérifier la validité de ces présupposés avant d’ainsi les diffuser. Il met au défi les médiateurs, dénués de professionnalisme, de lui indiquer ces imams soi-disant hors contrôle et non conformes aux normes édictées par les dépositaires de l’autorité. Selon le ministre en charge du champ cultuel responsables politiques, sécuritaires et religieux œuvrent la main dans la main. Ce discours, énoncé de manière claire et dénuée d’ambiguïté, arrange les réformateurs, fidèles à Bourguiba, et dérange les conservateurs à esprit séduit par Ghannouchi.
L’un d’entre eux, Ali Ben Amor Bayouli, me dit : « Ce ministre n’est guère à sa place. Il ne connaît pas le Saint Coran ».
Dhaou Akermi et Omar Zaghdoud, parmi d’autres voués à l’éthique charaïque, expriment des variations autour de l’avis formulé par Ali Bayouli. Ce langage entretient une relation avec son métalangage et ce lien réclame un décodage. Selon mes informateurs, incriminer le kamikaze contrevient à l’optique inhérente aux prescriptions coraniques.
Dès lors, cette prise de position prolonge le mot du Cheikh Rached Ghannouchi adressé au fougueux Abou Iyadh : « La Police et l’Armée sont contre nous ».
Alors, comment damner les montés à l’assaut des sécuritaires insensés ? ! Le président d’Ennahdha recommandait au baroudeur déchaîné de patienter. Quel parti désigne ce « nous » ainsi dit par Ghannouchi ? Celui que l’administration américaine des affaires étrangères songerait à inscrire sur la liste afférente aux organisations dites terroristes. Elle mentionnerait « le mouvement de la tendance islamiste », nom réel de l’appelée Ennahdha. Menacé de mort et affublé d’une protection rapprochée, Hamma Hammami, la bête noire des amis de Ghannouchi, ne semble pas trop désapprouver la piste à suivre par les penseurs de cette liste.
L’ensemble de ces données guide l’investigation vers sa mise en relation avec la société bipolarisée.
Par leur prêche, contrôlé ou pas, les imams favorisent le vote au profit du groupe à distance sur lequel surfent les épris de Ghannouchi. La prise de position ministérielle , adoptée vis-à-vis du prêcheur de Sbiba, enchante les partisans de l’Etat civil, mais, plus avertis, les nahdhaouis comptent sur le Coran pour gagner les deux prochaines élections. Cependant, rien n’est moins assuré que de vendre la peau de l’ours avant de l’avoir dépecé. Pareil à l’épée Bourguibiste, le spectre de la liste à terroristes plane sur la tête islamiste. A ce propos, le national n’existe plus sans l’international et le grain de sel ajouté à la soupe servie à Morsi par Sissi taraude l’esprit de Ghannouchi. L’influence de l’Egypte opposée aux manœuvres de la Turquie souteneuse des frères musulmans n’est guère à négliger. La patrie des pharaons n’est-elle pas la mère du monde pillée par l’anglais?
En première et en dernière analyse, le fidèle à la doxa rigoriste suit sa piste lorsqu’il menace de mort le paradoxal imam bouguibiste. Pour sa part, le ministre ne pouvait contenter les deux tribus mises en présence quand l’une et l’autre ne serait pas trop peinée de voir sa rivale décamper.
Adulée par l’une, Bochra Belhaj Hmida suscite l’ire de l’autre. Poursuivre la voie dégagée par le grand timonier irrite les inventeurs de cette lubie « le parti de la France ». Plus franc, Abou Iyadh, le franc-tireur, tire à boulets rouges sur la démocratie, à l’instant même où Ghannouchi joue au fin politicien. Il réclame la désignation de sa formation par l’appellation « démocratie islamique ».Mais, hélas, la Tunisie d’aujourd’hui n’est pas l’Allemagne de l’après-guerre. Ici, les plus valeureux islamologues aident peu à élucider le jihadisme armé. Pour les tenants de celui-ci, le kamikaze est un chahid et pour modifier cet avis, une juste compréhension du Coran suffirait, selon Hichem Djaït, Mohamed Talbi et Youssef Seddik. Au cas où ils conformeraient leur conviction à la lettre et à l’esprit des versets coraniques, ni Baghdadi, ni Abou Iyadh ne seraient, à ce point, tyranniques. Autant persuader les hitlériens que la “race ” des Sémites serait « supérieure » à celle des Aryens à la barbe des nazis. Le matériel disponible sur le terrain de la recherche concrète n’est pas la façon dont les agents sociaux devraient croire mais la manière dont ils croient.
Le chahid des uns n’est pas celui des autres. De là provient l’aberration de cette Constitution à deux tranchants, l’un pour l’Etat civil et l’autre pour la rubrique théocratique. Une large part des conflits parlementaires grouillent et magouillent dans cette souricière. De même, surfer sur l’islam, religion du pays selon les fabricants de la Constitution, offre aux théocrates, le tremplin d’où ils sautent vers les scores du vote. N’en déplaire au ministre des Affaires religieuses, tel est le problème de tous les imams. n