Une réplique «augmentée» du modèle néolibéral

Au plus fort de la dépression économique et du collapsus financier, le parti Ennahdha aura à présenter à son congrès, une sorte d’une alternative à la libéralisation économique et financière où les fruits de la croissance sont accaparés par les intérêts privés, ce que les économistes appellent dans leur jargon «la face cachée du néo-libéralisme». Un néolibéralisme qui occulte la demande sociale qui s’est exprimée le 14 janvier.

L’examen des différents documents publiés par Ennahdha nous amène à relever un certain nombre de points :

En premier lieu, au niveau des orientations, le programme “basé sur le développement et la promotion de l’initiative individuelle” s’appuiera sur une politique de libéralisation et encouragera les introductions en Bourse. Par ailleurs, Ennahdha entend rendre le dinar tunisien convertible pour favoriser les investissements étrangers.

Il est certain qu’une libéralisation économique accroitrait le potentiel de croissance de l’appareil productif tunisien. Plus de libéralisation se traduirait par plus de profits, plus d’investissements et plus d’emploi… ce qui implique que les fruits de la croissance soient socialement répartis et que les entreprises soient socialement responsables ; en tout cas plus «responsables» qu’elles ne l’étaient avant le 14 janvier, en matière de négociations salariales, de fiscalité, de fixation des prix, …

Certes, Les orientations socio-économiques d’Ennahdha ont été bien accueillies par les partenaires et les investisseurs étrangers. Mais l’on ne peut que se demander si ces orientations ne seraient-elles pas qu’une pâle imitation des orientations néolibérales des deux décennies passées ?

En deuxième lieu, au niveau de l’objectif final : un taux de croissance très soutenu et une relative stabilité des prix : un taux de croissance annuel de l’ordre de 7% pour atteindre les 8% en 2016,  la création de quelque 590.000 postes d’emplois à pourvoir entre 2012 et 2016, et réduire le chômage à l’horizon 2016 à 8,5% (contre 14.1% en 2011), l’accroissement du revenu individuel moyen qui atteindrait les 10.000 D en 2016 et la réduction de l’inflation à 3% en 2016.

Cet objectif final est irréaliste, dans la mesure où il ne répond plus à la conjoncture du moment. La crise des déficits publics et de la dette des pays de la zone euro, amènent les gouvernants de ces pays à privilégier l’austérité sous tendue par une compression des dépenses publiques et/ou un accroissement de la pression fiscale. L’impact en sera relativement fort en termes de récession, d’où une régression des exportations tunisiennes à destination des pays de la zone euro (75% des échanges extérieurs de la Tunisie).

Autre conséquence, un affaiblissement de l’Euro par rapport au Dollar et le Yen avec un renchérissement des prix des matières premières et de l’énergie facturés dans un dollar devenu relativement plus cher. D’où, au niveau national, l’inflation importée via le renchérissement des prix des matières premières et de l’énergie, et des goulots d’étranglements au niveau de la production et de l’offre, générés par l’instabilité sociale et le repli de la productivité globale des facteurs. Il s’ensuit que l’objectif d’un taux d’inflation de 3.5%, est pour le moins irréaliste.

En troisième lieu, au niveau des objectifs intermédiaires : un taux d’investissement de 31% du PIB, des besoins en financements évalués à 163.300, une épargne nationale qui y participe à hauteur de 67% et des financements extérieurs avec des taux d’intérêt ne dépassant pas les 6%.

Au niveau de l’effort d’investissement, il convient de relativiser les objectifs de 31% du PIB. La structure de la demande finale réelle ne l’a jamais permis. A tout le moins, ce taux d’investissement (global : public et privé) n’est pas réaliste dans un pays émergent où la société est plus incline à consommer qu’à accumuler. A moins que l’investissement public ne se substitue à l’investissement privé, auquel cas, ce serait en contradiction avec les orientations de libéralisation économique et de soutien à l’entreprise privée.

Au niveau du financement des investissements, les besoins de financement semblent démesurés compte tenu des habitudes d’épargne et de la propension à épargner des agents. A tout le moins, si l’effort d’investissement est supporté par les administrations, il s’en suivrait un déficit public, source d’effets d’éviction de l’investissement privé. En d’autres termes, les entreprises privées ne pourront pas investir au-delà de leur capacité d’investissement, et dans ce cas, l’investissement public surabondant découragerait l’investissement privé créateur d’emplois réels et de richesses réelles.   

En quatrième lieu, au niveau des instruments: l’essentiel des instruments de politique économique porte sur la fiscalité (réduction des impôts) et le volet financier dont une restructuration des banques ordinaires et islamiques et une restructuration des compagnies d’assurances.

Les points faibles concernent le flou qui entoure d’une part, les instruments budgétaires dont les grands projets orientés vers le développement régional, et d’autre part, en ce qui concerne le rôle de l’Etat et du secteur public, le cadre de libéralisation économique et financière dans lequel ils s’insèreraient, compte tenu  des orientations affichées par Ennahda.

Enfin, il convient de retenir que ce programme économique évince l’aspect social, comme si l’économique et le social procèdent de deux paradigmes différents.

En cela, ce programme ressemble à une réplique «augmentée» du modèle néolibéral des deux décennies passées.

Tahar El Almi, Dr. en Economie.

 

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