Le projet de Loi des finances complémentaire (LFC) 2014 est fin prêt et prévoit un arsenal de réformes, de mesures, de taxes et d’impôts qui se conjuguent sur le moyen et long termes. Une loi basée, selon le gouvernement, sur une politique de rationalisation des dépenses et non d’austérité. C’est la loi des finances de la Troïka, mais en mieux.
Le gouvernement justifiera ses décisions et mesures sur la base d’une analyse de la situation actuelle de l’économie nationale. Dans son projet de LFC, le gouvernement a planté le décor. Il s’agit d’un déficit commercial de 4,5 milliards de dinars. Durant les quatre premiers mois de 2014, les grèves ont augmenté de 4% générant la perte de 36% de jours de travail. Le dinar quant à lui a vécu le plus bas niveau jamais réalisé (1 euro vaut 2,300 dinars).
Les investissements directs étrangers ont baissé de 14,9% par rapport à la même période de 2013, et ce à cause d’un climat des affaires incertain, de la complication de l’administration tunisienne, des problèmes fonciers et du commerce informel. Sur ces indicateurs négatifs s’ajoute une mauvaise gestion de l’exercice 2013. L’héritage de 2013 représente un déficit budgétaire de 2.565 millions de dinars. Le gouvernement devra également valider les négociations d’augmentation de salaires de 2011, 2012 et de 2013, signés avec l’UGTT, dont la valeur est de 238 millions de dinars.
Actuellement les salaires représentent 37% du budget de l’État. L’économie tunisienne souffre également de manque terrible de liquidité à cause de l’absence d’une vision politique, économique et sécuritaire stable. Les dépenses de la caisse de compensation ont augmenté quant à elles de plus de 200% soit de 1.5 milliard de dinars à 4,3 milliards de dinars dont 68% vont à l’énergie.
Le gouvernement Jomâa est tenu par ailleurs de financer des entreprises publiques en difficulté notamment la CNAM et TUNISAIR pour un montant de 623 millions de dinars. Sans oublier que le gouvernement consacrera dans cet exercice 2014 la somme de 250 millions de dinars pour un programme titré « de subvention institutionnel et de réforme financière » sans plus de détails. Instaurer un nouveau modèle économique basé sur la valeur ajoutée et la création d’emploi, telle est une des perspectives de cette LFC. Pour un modèle économique prospère le gouvernement a pris des mesures réformatrices notamment pour des secteurs stratégiques pour le pays notamment le secteur bancaire et la fiscalité.
Les réformes bancaires
Le projet de LFC propose la création de cinq pôles bancaires réorganisant l’intervention de l’État dans le financement de l’économie. Il s’agit, en premier lieu, d’un pôle regroupant les banques à participation publique et à caractère universel après leur restructuration dans le cadre de partenariats avec le secteur privé. Le deuxième pôle se chargera du recouvrement des dettes et de la restructuration des entreprises en difficultés. Le troisième sera un pôle de financement public composé entre autres de la Caisse de dépôts et consignation dont les interventions seront plus étendues. Le quatrième pôle se chargera du financement des PME à travers la fusion et l’amélioration de la cohérence entre les divers mécanismes mobilisés à cette fin. Le cinquième pôle cible la micro-finance à travers le développement de l’action de la Banque tunisienne de solidarité (BTS).
Les mesures ciblant le secteur bancaire évoquent également la possibilité de créer une société de gestion des actifs qui aidera à consolider les assises financières des banques à travers l’acquisition des créances douteuses et la restructuration des entreprises endettées dans la perspective de leur cession.
Quant à la mesure de capitalisation des banques publiques, décidée par le gouvernement de la Troïka et longuement contestée par les députés de l’ANC, elle réapparait dans ce projet de LFC 2014. Dans la loi des fiances 2014, l’article 17 préconise la consolidation de l’assise financière des trois banques publiques (BH, STB, BNA) dans une première étape de 500 millions de dinars.
Le total de consolidation atteindra les 1700 millions de dinars. Bien que les députés aient demandé de voir le rapport d’audit sur les banques publiques avant de décider d’injecter de l’argent, l’article a été adopté. Quelle sera la réaction de l’ANC en revoyant cet article dans la LFC 2014.
La réforme fiscale
Le grand chantier sur lequel se base cette réforme fiscale est la justice fiscale. La LFC apporte davantage de mesures d’impôts que des mesures de réformes. Il existe six domaines de réforme fiscale dans la LFC complémentaire. Cela concerne notamment les impôts directs, indirects et le régime forfaitaire sans oublier des mesures contre le commerce parallèle.
Il faut rappeler que le système fiscal tunisien pénalise les bons payeurs dont l’imposition est payée à tant et laisse échapper les non payeurs. En chiffres 80% des recettes proviennent de moins de 1% des entreprises, dites transparentes. En revanche, près de 400.000 entreprises fournissent moins de 3% des recettes fiscales. L’injustice fiscale vient principalement du régime forfaitaire et de l’économie informelle. Les statistiques indiquent que sur les 500.000 contribuables assujettis à l’impôt, près de 20%, uniquement, sont soumis au régime réel alors que le reste est soumis au régime forfaitaire.
Les bénéficiaires de ce régime forfaitaire paient leurs impôts sur la base du chiffre d’affaires annuel avec exonération d’impôts. La LFC accepte l’échelonnement à deux fois à condition que ceux qui ne sont pas en règle viennent régler leur situation et sans aucune amende de retard.
L’économie informelle ne cesse de se propager et représente plus de 40% du tissu économique tunisien. Un volume important de l’activité économique échappe donc complètement à la fiscalité. Le risque actuel consiste à ce que l’économie formelle bascule vers l’économie informelle.
La LFC a mis en place des mesures fiscales pour attirer les informels vers le formel. Concernant ceux qui exercent dans l’informel, le gouvernement les incite à venir se déclarer et bénéficier des exonérations fiscales mises à la disposition des investisseurs, mais à condition de payer 2.000 dinars, de prime pour chaque année exercée en informel. La LFC confisquera les biens et comptes des contrebandiers à la suite d’une décision du tribunal.
Ainsi dans le même cadre du commerce parallèle le gouvernement et dans le cadre de la LFC, imposera une amende de 20% de la valeur d’une marchandise sans facture. Pour le secteur immobilier, le projet de Loi de finances complémentaire prévoit la suppression des dispositions relatives à l’imposition d’une taxe sur les biens immobiliers et leur remplacement, dans le cadre de la Loi des finances 2015, par une taxe sur la richesse qui assurera davantage d’équité fiscale.
La réaction des partis politiques et des syndicats
Jusque-là aucun commentaire n’a été fait sur la LFC 2014 de la part des partis politiques et syndicats ou patronats. Est-ce une approbation ou cela ne tardera-t-il pas à venir ? De toute façon ils n’auront pas besoin de commenter sachant que Hakim Ben Hamouda, ministre de l’Économie et des Finances, a annoncé lors d’une conférence de presse tenue au siège de la Banque centrale de Tunisie (BCT), qu’il s’est entretenu avec plusieurs parties concernées par la question.
Plusieurs experts économiques, outre des structures professionnelles et l’UTICA ont été inclus dans les négociations sur la question de la Loi des finances complémentaire 2014, a-t-il ajouté. Le ministre a déjà reçu plusieurs parties, lesquelles ont exprimé des réserves sur le projet initial de la Loi des finances complémentaire. Ben Hamouda a précisé que ces dernières se sont contentées de critiquer sans présenter de solutions ou de dispositions concrètes.
Le ministère des Finances a pris près de quatre mois pour mettre en place ce projet de Loi des finances complémentaire, mais l’Assemblée nationale constituante (ANC) est tenue de le valider en quelques jours.
Comme l’année dernière, les députés n’ont pas eu le temps de comprendre certaines mesures, mais finalement, ils ont été obligés de valider le projet, bien que des réserves aient été émises par certains députés. « La loi nous a été présentée très tard et elle a été étudiée à la va vite » disait un député. La Loi des finances complémentaire 2014 aura-elle le même sort et sortira-elle indemne de l’ANC ? Mais la question que devront poser les députés lors de l’analyse de cette loi est quel apport la LFC aura-t-elle en termes de création de richesse réelle ? Les dépenses vont-elles apporter quelque chose à la Tunisie l’an prochain ?
Najeh Jaouadi