Le débat sur le projet de la Cour constitutionnelle internationale (CCI) a bien commencé. Bien que le projet soit officiellement maintenu, nombreux sont les juristes à estimer sa réalisation «quasi-utopique». La question s’avère d’autant plus sensible dès lors qu’un paradoxe est pointé : comment porter et initier ce projet, qui se veut international, alors que se pose à ce jour le débat du rattachement de la Tunisie à la normativité internationale. Éclairage.
«Il y a eu plusieurs critiques, que ce soit à l’Assemblée nationale constituante ou en dehors sur la normativité internationale. Certains disent qu’il n’existe aucun respect des droits universels… Mais nous avons choisi le débat pour arriver à un consensus qui réponde aux attentes de tout le monde», nous a affirmé Mehrizia Laabidi. Et la vice-présidente de l’Assemblée de poursuivre : «Le principe de compromis est notre règle. Nous nous mettons d’accord sur chaque article avant de le rédiger dans la Constitution». Le 30 mai dernier, le projet officiel de la Constitution a été de nouveau remis aux commissions constitutionnelles non «pas pour changer de texte, mais pour faire des commentaires qui vont être inclus dans le rapport final», nous a affirmé la députée du mouvement Ennahdha. En Tunisie, un débat inattendu a eu lieu, celui de la place des conventions internationales dans le dispositif tunisien. De fait, les multiples drafts de la Constitution ont été contestés lors d’une série de conférences. Selon le professeur Ghazi Ghrairi, le projet de la Cour constitutionnelle internationale ne relève pas de l’Assemblée nationale constituante. Il n’y a donc «aucun paradoxe», car il s’agit de deux questions différentes qui ne sont pas abordées de la même manière. La mise en place d’une Cour constitutionnelle internationale n’est donc pas à écarter… même si pour de nombreux Tunisiens, le projet est loin de constituer une «priorité» pour la «Tunisie en transition.»
Un projet possible malgré tout
Le 25 mai dernier, l’Association de la recherche sur la transition démocratique (ARTD) a organisé en collaboration avec la fondation allemande Hanns Seidel, une table ronde afin de réfléchir à la faisabilité du projet. «La Révolution tunisienne est venue apporter une occasion historique et un moment géographique. Nous avons la possibilité d’avoir un droit international contraignant, de portée universelle. La création de la Cour constitutionnelle internationale (CCI) suppose l’existence d’une certaine normativité constitutionnelle internationale. Et je ne vais pas jusqu’à dire l’internationalisation du droit constitutionnel», avait pourtant affirmé le Professeur Ghazi Ghrairi dans son rapport introductif, lors de ladite conférence. Cette Cour «pourrait jouer un rôle universalisant» à partir de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme et des deux pactes, celui des droits civils et politiques et celui des droits économiques et sociaux. À l’échelle internationale, le projet a déjà ses promoteurs parmi lesquels la Suisse et la France qui organiseront le 24 juin une conférence sur l’internationalisation du droit constitutionnel.
«Aujourd’hui, la création de la CCI n’est pas un projet purement tunisien, car il a été adopté par un certain nombre de personnalités internationales. Maintenant, si nous parlions de l’idée. Le premier à ma connaissance à avoir proposé sa création est un Tunisien qui, au moment de son appel n’était pas présent sur le territoire tunisien. Il s’agit de Moncef Marzouki. En Tunisie, ce projet a été en 2006 valorisé par le constitutionnaliste Yadh Ben Achour», nous a affirmé Ahmed Ouerfelli, conseiller auprès de la Présidence. En Tunisie, une commission ad hoc a été constituée pour étudier la faisabilité de ce projet. Le comité d’experts présidé par Yadh Ben Achour regroupe plus de vingt nationalités. Il a commencé à établir les textes de référence dès janvier 2012. «Cela faisait longtemps que l’on en parlait en Tunisie avec Yadh Ben Achour. Toutefois, le projet a été officiellement proposé début 2012 par le président Marzouki. Des efforts ont été déployés sur les fronts académique et diplomatique. Un projet sera soumis à l’Assemblée générale des Nations unies en septembre prochain», a-t-il ajouté.
Un droit constitutionnel international
«L’idée de lier le constitutionnel à l’international rapproche deux notions différentes : le droit international et le droit constitutionnel», a estimé Ghazi Ghrairi. Comment les concilier ? La résolution de cette équation est au cœur du projet de la Cour constitutionnelle internationale. Maisa faisabilité est l’objet de critiques ce qui une réaction normale à d’éventuelles propositions et une Cour internationale n’aboutira pas à la mise en place de nouveaux droits. Alors, comment procéder ? Nous avons proposé une juridiction à rôle consultatif qui pourrait être saisie par la société civile. C’est actuellement en état de proposition et ce n’est pas encore tranché», a insisté le professeur Ghrairi. L’optimisme n’est pas partagé par l’ensemble des spécialistes en droit. Selon la maître-assistante en droit Noura Kridis, le projet de la Cour constitutionnelle internationale reste difficile à réaliser. Tout d’abord, au niveau interne, le débat sur la primauté de la normativité internationale est encore d’actualité. La suprématie de l’universalité des Droits de l’Homme est à ce jour objet de débat. Ensuite, le projet ne remporte pas l’adhésion de tous. De nombreux pays sont déjà hostiles à la Cour pénale internationale. «Qu’en sera-t-il de la CCI ?», s’est-elle demandé. «La création de la CCI relève principalement de la volonté politique. Les autres problèmes et notamment les éléments techniques, se résolvent aisément», a affirmé Haykel ben Mahfoud. Enfin, la création de la CCI demande une réflexion sur un arsenal juridique capable de défier toute crise. «C’est un projet qui n’existe pas encore. Il s’agit de penser un système de valeurs et de lois capables de garantir les droits fondamentaux dans toutes les conjonctures politique, économique et sociale», a conclu Kamal Gahha, le directeur général de la bibliothèque nationale de Tunis, où s’est tenue la conférence.
Chaïmae Bouazzaoui