Le pronostic vital du régime algérien est-il engagé ?

Depuis quelques jours, le microcosme politico-médiatique s’enflamme en Algérie. En effet, depuis le 27 avril dernier, jour de son  évacuation vers la France,  Abdelaziz Bouteflika n’a plus donné signe de vie. L’absence criante du président de la République fait le jeu  des rumeurs et des supputations les plus diverses. Mais une question se pose avec plus d’acuité : et si l’après Bouteflika avait déjà commencé ? 

 

La donne politique a changé en un clin d’œil en Algérie. Il y a quelques semaines, l’ambition présidentielle d’Abdelaziz Bouteflika était plus déterminée que jamais. Il se murmurait alors qu’il envisageait un quatrième mandat. Une révision constitutionnelle (qui lui aurait permis de le faire) était même en préparation. Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts… Le président algérien, qui souffre d’un cancer gastrique, a été évacué d’urgence le 27 avril dernier à la suite d’un «accident ischémique transitoire», selon les autorités. Ce n’est pas une première pour la population algérienne. En 2005, la santé d’Abdelaziz Bouteflika s’était fortement dégradée. Depuis, ses apparitions publiques étaient devenues très rares. Mais les erreurs actuelles en matière de communication font perdre jour après jour la crédibilité de la version officielle auprès de l’opinion publique algérienne. 

 

Une communication désastreuse

Récemment, deux quotidiens, Mon Journal et Djaridati, appartenant à Hichem Aboud, un ancien officier des services secrets algériens, ont été saisis à l’imprimerie et interdits de parution. Les journaux avaient consacré un dossier sur le «coma profond» du président Bouteflika. Le parquet d’Alger a par ailleurs ouvert une information judiciaire pour «atteinte à la sécurité de l’État». Les faits ont provoqué un tollé chez les médias algériens. C’est le premier cas de censure depuis les années 1990. Cet épisode, l’un des plus médiatisé, est l’un des résultats d’une communication qualifiée de  «maladroite» par les journalistes. Le secret est encore plus gardé qu’en 2005, ce qui  alimente la machine à rumeurs. De l’avis de tous les médias algériens, une fois de plus les autorités se sont distinguées par «une absence de transparence et une opacité» dans la gestion de ce dossier. Le 27 avril dernier, Abdelaziz Bouteflika était évacué vers la France. Depuis, très peu d’informations tangibles ont été relayées concernant son état de santé. Un communiqué a été publié le 7 mai dernier par la présidence pour rassurer la population. Puis, le silence a prévalu… Le salut ne viendra que du ministère français des Affaires étrangères qui calmera la polémique en déclarant que «le président algérien se trouve toujours en France.»

 

Qui sait quoi ? 

Au-delà du black-out médiatique et du culte du secret auxquels les Algériens sont habitués, un nouveau facteur inquiète aujourd’hui. Il semblerait que personne ne connaisse vraiment l’état de santé du président Bouteflika, ce qui a alimenté les rumeurs les plus folles. Les anciennes personnalités du cercle présidentiel, comme Abdelaziz Belkhadem l’ancien leader du Front de libération nationale (FLN) ou Ahmed Ouyahia (l’ancien Premier ministre) se débattent dans des querelles intestines partisanes. Ainsi, depuis l’hospitalisation du président, de nombreuses personnes tentent de rassurer l’opinion algérienne tout en paraissant ignorer son état réel. «Prétendre que le président de la République est dans le coma est une idée infondée et complètement tirée par les cheveux», a récemment déclaré Farouk Ksentini, le président de la Commission de la protection et de la promotion des Droits de l’Homme (CNPPDH) au Temps d’Algérie. «À ma connaissance, il va bien et Inch Allah, il reviendra très bientôt parmi nous et en bonne forme», avançait avant lui Kamel Rezzag Bara, le conseiller à la présidence de la République à la radio nationale. Abdelkader Bensalah et Ould Khelifa, respectivement présidents du Sénat et de l’Assemblée populaire nationale (APN) sont également montés au créneau. Chacun y est allé de sa déclaration sans jamais répondre à l’interrogation principale. Quand va revenir le président ? En réalité, estiment les médias algériens, cette prolixité de déclarations ne démontre qu’une chose : rare sont les personnes à connaitre réellement l’état de santé du président Bouteflika. Un homme seul gérerait cette affaire en coulisse. Il s’agit de Saïd Bouteflika, frère cadet et conseiller spécial du président.

 

La guerre de succession est-elle ouverte ? 

Moins d’un an avant les élections présidentielles, le silence des autorités algériennes sur l’état de santé de Bouteflika a relancé la guerre de tranchées. Déjà, plusieurs partis d’opposition demandent l’application de l’article 88 de la Constitution sur l’empêchement du président au terme duquel le président du Sénat assure l’intérim (dans ce cas). L’option relayée ici et là est aussitôt écartée par la majorité des médias et des observateurs de la scène politique algérienne. En effet, la mise en œuvre de l’article 88 suppose que «le Conseil constitutionnel saisisse le Parlement, lequel doit déclarer l’état d’empêchement à une majorité des deux tiers (2/3) de ses membres». L’hypothèse semble quasi impossible. Alors qu’une crise politique s’annonce, un autre élément suscite des interrogations : l’absence du Front de libération nationale (FLN) et du Rassemblement national démocratique (RND). Les deux formations, piliers de  l’Alliance présidentielle et importants soutiens au président Bouteflika depuis 1999, sont aujourd’hui embourbées dans leurs querelles intestines après le départ forcé de leurs dirigeants respectifs (Belkhadem et Ouyahia). L’affaire Bouteflika vient donc mettre en exergue une réalité : il est difficile aujourd’hui de distinguer un candidat «présidentiable».  Le plus sérieux, l’ancien Premier ministre Ali Benflis, ne s’est pas encore déclaré même si  son local de campagne est ouvert. D’autres noms commencent déjà à circuler tels que ceux d’Abdelkader Bensalah, le président du Sénat, d’Abdelmalek Sellal, l’actuel Premier ministre ou encore d’Ahmed Ouyahia, l’ex-Premier ministre.

 

Quid de l’Armée ?

«Ma génération est finie. Le pays est désormais entre vos mains les jeunes, prenez-en soin», déclarait le 8 mai 2012 à Sétif, Abdelaziz Bouteflika. Certes, les quatorze années de règne du président algérien ont écorné la domination de l’armée, mais  selon les médias et les observateurs, tourner la page ne serait pas une hypothèse réaliste. La donne n’a pas évolué : héritière de l’Armée de libération nationale (ALN), l’armée est toujours le pilier du parti unique au pouvoir, le FLN. Son rôle dans la prise de décision politique et dans la désignation des présidents est indiscutable. Rien ne se fait sans son accord. D’autre part, et malgré les tentatives de Bouteflika de l’affaiblir, le service des renseignements aussi pèse de tout son poids. Ainsi, selon la presse algérienne, les fuites orchestrées concernant les affaires Sonatrach et Khalifa,  de gros scandales de corruption, ne sont que l’expression d’un bras de fer entre les deux camps ; un bras de fer au terme duquel le camp du président s’est retrouvé affaibli, si ce n’est laminé. Une nouvelle fois, l’armée et les services de renseignements décideront-ils de l’avenir proche de l’Algérie ? C’est la piste privilégiée par  le site de renseignements Maghreb Intelligence selon qui une réunion a eu lieu récemment à l’initiative du Général Médiene, le patron des services secrets. Le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, le président du Sénat algérien, Abdelkader Bensalah, ainsi que plusieurs personnalités politiques algériennes de premier plan y auraient participé. Le Général aurait déclaré que «conformément à la Constitution, Abdelkader Bensalah serait nommé président par intérim, le temps que de nouvelles élections soient convoquées». La révélation a été qualifiée d’ «histoire à dormir debout» par le quotidien d’Oran selon qui elle illustre le cinéma bruyant que permet le spectacle de film muet qu’offre l’État algérien depuis des semaines.»

A.T

 

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