Le putsch du Capitol

Les scènes du Capitole pris d’assaut par les suprématistes, néo-nazis, « proud boys », activistes de QAnon et autres partisans fanatiques du président Trump ont choqué une partie de l’Amérique et fait le tour du monde. Coup d’état pour certains ou violence électorale pour d’autres, c’est probablement les symptômes d’un Trumpisme qui se déploie au-delà des Etats-Unis et qui traduit notamment l’incapacité des démocraties à protéger et satisfaire l’ensemble des citoyens.
Le 6 janvier restera gravé dans l’Histoire comme un jour sombre pour l’histoire des États Unis. Le Capitole pris d’assaut pendant plusieurs heures après les incitations de Donald Trump à ses partisans. Le scenario était écrit, connu, fomenté par Trump et ses acolytes, avec probablement des connivences (une enquête est en cours) au sein de la sécurité du Capitole et de la garde nationale, afin d’empêcher la certification de la victoire de Joe Biden. Les assaillants étaient violents et semblaient prêts à aller beaucoup plus loin. En effet, au moins deux véhicules ont été trouvé avec des explosifs et des armes.
Même s’il était difficilement concevable que le coup d’état aboutisse, Trump voulait plonger la capitale dans le chaos, instiguer une révolte de masse qui démarre à Washington et se répande dans tout le pays et décréter l’état d’urgence. Mais contre toute attente, (couac de dernière minute, services secrets…on le saura peut-être un jour), le (docile) Vice-Président Mike Pence n’a pas marché et a désobéi à son chef. C’est lui qui, dans un sursaut patriotique de dernière minute (ou sous pression) a appelé la garde nationale pour arrêter l’insurrection. Finalement, et au terme d’une journée chaotique, les membres du Congrès ont pu officiellement certifié, tard dans la nuit, la victoire de Joe Biden à l’élection présidentielle.
Cette tentative ratée de Putsch n’est pas sans rappeler (toute proportion gardée) celle du putsch de la Brasserie à Munich en 1923, où Hitler, alors dirigeant du Parti national-socialiste des travailleurs allemands, a tenté de prendre le pouvoir par la force en Bavière. Cette tentative se soldera par un échec des putschistes et Hitler sera condamné à cinq ans de détention, dont il ne purgera que treize mois. Il mettra son incarcération à profit pour rédiger Mein Kampf.
Si l’épisode est en lui-même mineur, il deviendra pourtant l’un des mythes fondateurs du régime nazi et marquera un tournant dans l’histoire et la stratégie du mouvement nazi. Hitler tirera toutes les leçons de ce fiasco, renforcera son pouvoir sur le parti et tentera de bénéficier du soutien des milieux conservateurs et de l’armée, volonté qui aboutira notamment à l’organisation de la nuit des Longs Couteaux. La leçon de cette triste histoire est que lorsqu’il a été traité avec indulgence, Hitler est devenu dictateur et le pire désastre de l’histoire moderne.

La crise capitaliste qui a produit Trump est là pour durer
La présidence Trump n’est certainement pas l’émergence du Troisième Reich.Pourtant, les événements continuent de donner une résonance aux avertissements concernant son accession au pouvoir. La différence frappante entre le traitement des insurgés blancs qui ont envahi le Capitole et des manifestants pacifiques de « Black Lives Matter » cet été a une fois de plus montré l’ampleur de l’injustice raciale de l’Amérique.
Ce qui conduit le prix Nobel Joseph Stiglitz à s’interroger si Trump est une aberration ou un symptôme d’une maladie nationale plus profonde. Et il développe:« Trump est le produit de plusieurs forces. Pendant au moins un quart de siècle, le Parti républicain a compris qu’il ne pouvait représenter les intérêts des élites d’affaires qu’en adoptant des mesures antidémocratiques (y compris la suppression des électeurs et le gerrymandering) et des alliés, y compris les fondamentalistes religieux, les suprémacistes blancs et les populistes nationalistes[1]. »
La manière dont l’Amérique réagira à l’attaque du Capitole en dira long sur la direction que prendra le pays. Les événements du 6 janvier deviendront probablement l’un des mythes fondateurs d’un mouvement, post-Trumpiste, des insurgés américains. Ils organiseront sa commémoration annuelle et érigeront le drapeau des Etats confédérés ou autre[2] au rang de symbole.
Si la nation américaine veut survivre, la tâche immédiate est d’éliminer la menace que Trump pose toujours[3], et le Trumpisme, doctrine suprémaciste et violente, doit être combattu. Le Sénat devrait juger Trump quelque temps plus tard, pour l’empêcher d’occuper à nouveau une charge fédérale. Cela devrait être dans l’intérêt des républicains, autant que des démocrates, de montrer que personne, pas même le président, n’est au-dessus des lois.
De plus, le nouveau Président Biden, fort de la majorité dans les deux chambres du Congrès, devra engager de profondes réformes économiques, politiques, institutionnelles et lutter contre la propagation de la désinformation en coopération avec les réseaux sociaux qui ont un énorme pouvoir. En effet, les progrès de la technologie ont fourni un outil de diffusion rapide de la désinformation, et le système politique américain, où l’argent règne en maître, a permis aux géants émergents de la technologie de se libérer de toute responsabilité.
Sur environ 155 millions d’électeurs, soit environ les trois quarts de la population adulte américaine, plus de 70 millions, ont cru aux mensonges de Trump diffusé abondamment par les médias et ont voté en faveur de sa réélection. Il s’agit d’une augmentation substantielle par rapport aux 63 millions qui l’ont porté au pouvoir en 2016.
Ils ont encore cru en lui lorsque qu’il a martelé que les élections étaient truquées et une partie de ses supporters se sont radicalisés. Et, les nombreux groupes paramilitaires qui ont participé à l’assaut du Capitole formeront certainement le terreau de la prochaine révolte, avec ou sans Trump.
Pour toutes ces raisons, la démocratie est altérable et sans cesse à revisiter et donc aussi à critiquer. Et comme le souligne Albert Camus : « La démocratie n’est pas la loi de la majorité mais la protection de la minorité. » Et d’autant plus, dans une atmosphère délétère rendue plus critique encore par les risques d’explosion sociale liés aux conséquences économiques de la Covid-19.

L’âge de la colère et de la contestation
Ce qui s’est produit à Washington peut se reproduire ailleurs et n’est pas seulement la traduction d’un malaise américain.
En 2019, nous écrivions dans un article paru dans Réalités[4], que « l’année 2016, celle du Brexit et de l’arrivée de Trump au pouvoir, marque le moment où la désillusion déferlante a atteint le noyau dur des pays de l’OCDE. Les exclus de la mondialisation, aux Etats-Unis ou en Europe, boutent hors du pouvoir les élites qui n’ont pas su les écouter, et font des émules en France, notamment, avec les gilets jaunes. Et ce n’est que le début d’un mouvement contestataire qui va s’amplifier et se radicaliser dans les années à venir. »
Ces mouvements sont attirés par l’autoritarisme[5], « qui semble plus efficace pour protéger des menaces venant de l’extérieur, et qui dit ‘’la démocratie ne vous protège plus contre les inégalités de ce capitalisme devenu fou. Nous, on va vous protéger, on va fermer les frontières, faire des murs, sortir du multilatéralisme. »
Depuis la crise de 2008, les critiques du capitalisme se multiplient. Parmi celles-ci, celle de Wolfgang Streeck, pilier de la social-démocratie allemande, prédit l’implosion du capitalisme. Il est convaincu que le capitalisme est un système qui touche à sa fin et que celle-ci arrive à grands pas. Il a sans doute raison de dire que le capitalisme n’a pas d’avenir à long terme, mais a-t-il raison de penser qu’il n’y a rien pour le remplacer et faire avancer la société ? Le crédo « Tina » (« thereis no alternative») des années Thatcher pourra-t-il être enfin dépassé ?
Bruno Amable, de l’Université de Genève, pense que ces questions récurrentes du débat public sont souvent mal posées, parce qu’elles supposent implicitement que le capitalisme se réduit à une seule forme, alors qu’historiquement l’existence de capitalismes différents est plutôt la règle. « La convergence annoncée de tous les pays vers un même capitalisme néolibéral anglo-saxon n’est pas inéluctable. La greffe forcée de ce modèle inadapté aux spécificités de l’Europe continentale se heurtera à une opposition politique croissante. Une autre Europe que l’espace de libre-échange néolibéral est donc, non seulement possible, mais aussi probable. »

[1]https://www.project-syndicate.org/commentary/trump-capitol-insurrection-revealed-america-s-challenges-by-joseph-e-stiglitz-2021-01?utm_source=Project+Syndicate+Newsletter&utm_campaign=e08144e17c-covid_newsletter_01_14_2021&utm_medium=email&utm_term=0_73bad5b7d8-e08144e17c-107282341&mc_cid=e08144e17c&mc_eid=029dcebf14
[2]https://www.rtbf.be/info/monde/detail_invasion-du-capitole-a-washington-ce-que-signifient-les-differents-drapeaux-des-manifestants?id=10667734
[3]Une majorité d’élus de la Chambre des représentants a voté mercredi 13 janvier la mise en accusation formelle de Donald Trump pour avoir incité aux violences du Capitole, ouvrant la voie à un deuxième procès historique du président des États-Unis.
[4]https://www.realites.com.tn/2019/02/resonner-avec-le-monde/
[5] Speech du Président Macron. https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2019/06/11/centenaire-de-lorganisation-internationale-du-travail

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