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En moins de trente ans, grâce à ses investissements dans le sport et plus particulièrement dans le foot, le Qatar s’est bâti une image planétaire. Un tour de force pour un micro-Etat.
Le 21 novembre 2022, le monde aura les yeux rivés sur le Qatar où s’ouvrira la 26ème Coupe du monde de football. Une édition qui restera gravée dans les annales quelle qu’en soit l’issue : pour la toute première fois depuis sa création en 1930, la compétition ne se tiendra pas au coeur de l’été. La raison ? Des températures intenables en cette saison dans le golfe Persique. Pas de quoi arrêter la Fifa qui, en 2010, a désigné le micro-Etat obligeant au passage tous les championnats de la planète à bouleverser leur calendrier. Un choix entaché de forts soupçons de corruption. La facture pour le pays organisateur ? 300 milliards de dollars dépensés en dix ans dans les diverses infrastructures pour accueillir le public. Le bilan humain est tout aussi insensé. 6 500 travailleurs étrangers auraient péri sur les chantiers, selon une enquête du Guardian. Pas de quoi gâcher le plaisir des dirigeants qatariens qui font le dos rond face aux polémiques, et rêvent d’un doublé d’anthologie avec la possible victoire en Ligue des champions du PSG – racheté en 2011 – porté par la nouvelle recrue, le sextuple ballon d’or Lionel Messi.
Mais comment un pays de 300 000 âmes (3 millions avec les travailleurs étrangers), fondé en 1971, est-il parvenu à se hisser sur le toit de la planète football ?
« A la fin des années 1990, l’émir Hamad bin Khalifa Al Thani a compris que le sport était le meilleur outil pour exister sur la scène mondiale et polir une image ternie par une interprétation rigoriste de l’islam, en particulier sur le droit des femmes », explique Jean-Baptiste Guégan, expert en géopolitique du sport. Son fils et successeur Tamim n’a fait qu’accélérer cette stratégie.
« La création en 2003 de l’Aspire Zone, un gigantesque complexe sportif de 250 hectares comprenant un centre d’entraînement pour les athlètes qatariens (Aspire Academy), une clinique devenue une référence mondiale (Aspetar) et un stade olympique (Khalifa Stadium), est un jalon important de cette stratégie », pointe Simon Chadwick, spécialiste du sport asiatique, professeur à l’EM Lyon. Puis il y a eu la création de la chaîne beIN Sports en 2011, l’organisation en 2015 du mondial de handball, de cyclisme sur route en 2016, d’athlétisme en 2019…
Un soft power au rayonnement de plus en plus puissant qui fait de l’ombre aux grandes puissances voisines, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis, aux poches pourtant bien plus profondes. Soucieux de rester dans la course, les dirigeants émiriens ont racheté en 2008 le club anglais de Manchester City, devenu le joyau du City Football Group, une galaxie de dix clubs répartis sur toute la planète. Les Saoudiens tâtonnent encore avec un seul club dans leur besace, le modeste Sheffield United, après avoir échoué à racheter Newcastle United. Moins fair-play, Riyad aurait mis en place – ou tout au moins abrité – un système de piratage planétaire baptisé beoutQ (être en dehors du Qatar), qui a permis, entre 2017 et 2019, de regarder gratuitement l’intégralité de l’offre de beIN Sports.
S’il irrite profondément ses voisins, « le soft power de Doha n’a pas servi qu’à ripoliner son image. Il l’a aussi grandement aidé dans les affaires », pointe Julian Jappert, directeur général du think tank Sport et Citoyenneté. « Il suffit, pour s’en assurer, de regarder notamment la convention fiscale accordée en 2008 au Qatar et à ses citoyens par le président français Sarkozy, qui exonère d’impôt les plus-values immobilières », abonde Jean-Baptiste Guégan. Une convention qui a aidé l’émirat à se construire un petit empire dans l’immobilier de luxe (Printemps Haussmann, Peninsula, Royal Monceau, InterContinental Carlton Paris…).
Mais le sport n’est pas qu’un simple marchepied, il doit aussi permettre au Qatar de diversifier son économie, alors que les ressources en gaz et en pétrole ne sont pas inépuisables et que la transition climatique se fera avec les énergies renouvelables.
« L’objectif, c’est de créer tout un écosystème autour de l’économie du sport pour faire du Qatar le plus grand centre d’élite au monde », explique Vincent Chaudel, fondateur de l’Observatoire du sport business. Un esprit d’excellence censé également inspirer une population à 70 % en surpoids. « Pas gagné, le goût de l’effort est très peu développé dans la société qatarienne et la jeunesse préfère de loin les centres commerciaux aux terrains de sport », pointe Raphaël Le Magoariec, chercheur au sein de l’équipe Monde arabe et Méditerranée de l’université de Tours. Pas de quoi freiner l’émirat, qui vise désormais l’organisation des JO en 2036 !
(L’Express)