Le “retour” de Jugurtha

Par Alix Martin

 


Comme Vercingétorix, qui s’est battu pour l’indépendance de la Gaule, pour avoir lutté contre l’impérialisme romain, Jugurtha meurt aussi en prison vers Janvier 104 avant J.C.. En 2014, plus de 21 siècles après, nous invitons nos lecteurs à se promener sur les pas de Jugurtha.

L’enfance d’un chef

L’écrivain romain Salluste écrit que Jugurtha, bien que fils de Mastanabal, frère du roi Micipsa, héritier de Massinissa, a vécu loin des honneurs durant son enfance parce qu’il était né, vers 160 avant J.C., d’une concubine.

Salluste nous dit que Jugurtha adolescent, « joint à la vigueur physique et à la beauté du visage une intelligence supérieure. Il pratiquait l’équitation, la course, le lancer du javelot et, malgré les succès qu’il remportait sur tous, même à la chasse au lion, il était aimé de tous car il était le dernier à s’en vanter ! ».

Ayant eu deux jeunes fils, le roi Micipsa, son oncle, voyant l’ardente affection que les Numides portaient à Jugurtha, devenu jeune homme, craignant leur colère, s’il le faisait assassiner, « résolut de l’exposer au péril de la guerre ». Il l’envoya guerroyer en Espagne avec les Romains. Scipion Emilien, le prit en amitié. Puis, après la guerre, il le récompensa et le loua sur le front des troupes.

De retour à la cour, le roi Micipsa l’adopta puis se sentant mourir, il le « conjura d’avoir en affection ses enfants » : Adherbal et Hiempsal le plus jeune, en 118 avant J.C..

Après la mort du roi, lors d’une réunion des trois princes, Hiempsal, manifesta son mépris pour Jugurtha. Indigné, ce dernier résolut de se débarrasser de ses deux cousins, parce que, par ailleurs, la pusillanimité d’Adherbal et sa soumission évidente aux désirs de Rome, s’opposaient à son ambition de rendre à la Numidie son indépendance et son intégrité.

 

La guerre des princes

Jugurtha fait mettre à mort Hiempsal en 116 avant J.C., puis attaque Adherbal qui implore l’aide de Rome. Les sénateurs romains partagent la Numidie entre Adherbal et Jugurtha. Celui-ci insatisfait attaque, accule et met à mort Adherbal dans sa capitale : Cirta mais commet l’erreur de faire tuer de nombreux « italiques » installés là. Rome choisit ce prétexte pour lui déclarer la guerre.

On est au cœur de la Numidie : Cirta étant Le Kef, une ville musée. En accord avec S. Lancel qui s’était rangé à l’avis de M. Gssell, on pourrait aller chercher Thirmida, où Hiempsal a péri, sur les flancs du Jebel Gora, proche de Thibar et de Dougga.

 

La guerre contre Rome

Le sénat romain envoie d’abord, en Numidie le Consul Calpurinus Bestia accompagné de lieutenants vénaux. Habilement, Jugurtha les corrompt et signe un traité de paix qui est jugé scandaleux à Rome.

Jugurtha est convoqué à Rome. Il y distribue de l’or à de nombreux sénateurs mais il en est chassé pour y voir fait assassiner son cousin Massiva, venu y réclamer le trône de la Numidie.

Ensuite, le Consul Albinus et son frère Aulus mènent, en Numidie, une campagne militaire qui se termine par un désastre : l’armée romaine vaincue, passe sous le joug et le traité de paix exige que les légionnaires quittent la Numidie dans les 10 jours, durant l’hiver 110-109 avant J.C..

Rome désormais ne veut plus seulement la soumission de Jugurtha mais sa capture et sa mise à mort. Un nouveau consul énergique et honnête : Metellus réorganise l’armée et reprend les hostilités. En suivant Metellus, on va aller à Béja, « le plus riche marché du Royaume », déjà, puis vers Le Kef, livrer une dure bataille sur les berges de l’Oued Tessa / Muthul, revenir dans les plus riches régions agricoles, puis aller à Zama, une ville fortifiée en plaine, qu’on cherche encore vainement, où l’armée romaine est mise en échec durant l’année 109 avant J.C..

Au printemps suivant, Metellus dans un raid audacieux, prend Thala où Jugurtha logeait ses enfants dans un palais contenant la plupart de ses trésors. Puis, il revient vers Cirta qui s’est rendue. Mais un nouveau consul : Marius doit le remplacer pendant que Jugurtha descend chez les Gétules pour reconstituer son armée et s’allier avec Bocchus, le roi des Maures voisins.

Marius entre en campagne et décide d’aller conquérir Gafsa / Capsa. Depuis Larès / Lorbeus proche du Kef, où le consul laisse ses trésors à la garde de son infanterie légère, on descendra, sur les pas des romains, jusqu’à Kasserine puis on ira à Gafsa où Marius fait massacrer la population et brûler la ville, contrairement aux lois de la guerre.

A la fin de l’été 107 avant J.C., il remonte vers Cirta, en passant par Ammaedara / Haïdra. « Chemin faisant », il assiège et conquiert un fortin contenant les trésors de Jugurtha. Il était construit, « non loin du fleuve Muluccha / Le Mellèg, sur une montagne rocheuse d’une hauteur immense tranchant sur la plaine » dans laquelle tout le monde reconnaît « La Table de Jugurtha ».

Ensuite, Jugurtha et son allié Bocchus tentent d’attaquer l’armée romaine, chargée de butin, sans doute, vers Aïn Kseïba, au moment où elle remonte vers Larès / Lorbeus en souhaitant passer par Althiburos / M’deïna

Les légionnaires arrivent à se dégager après s’être réfugiés sur deux collines proches l’une de l’autre. Le lendemain, lentement, en ordre de bataille, ils se rapprochent d’El Kef / Cirta

Quatre jours après, les rois alliés les attaquent de nouveau la lutte est acharnée, les Numides sont près de l’emporter mais le sort bascule et la déroute des Numides offre un « horrible spectacle », écrit Salluste

Marius, installé à Cirta, reçoit les ambassadeurs du roi Bocchus et leur demande de lui livrer Jugurtha. Le roi maure hésite longtemps, car il craint la colère de ses sujets qui chérissent Jugurtha, d’après Salluste

Finalement, Jugurtha, trahi, est capturé par les Romains, emmené à Rome, exhibé au triomphe de Marius, puis jeté en prison où il est dénudé, dépouillé, même de ses pendants d’oreilles avec une telle brutalité qu’on lui arracha les lobes des oreilles et jeté dans un cachot souterrain il résistera à la faim et à la soif durant 6 jours, disent les auteurs romains. Il aurait peut-être été étranglé pour l’achever !

Vous voyez : se promener sur les pas de Jugurtha, revient à parcourir principalement une région magnifique : le Haut Tell pour en admirer les sites les plus prestigieux.

 

Des regrets

Alors que Vercingétorix est célébré en France, Jugurtha n’a droit qu’à quelques noms de rue dans tout le pays. Pourtant, il est bien l’un des premiers maghrébins, tunisiens devrait-on dire, à avoir lutté, contre l’impérialisme d’étrangers : les Romains.

Sans doute, son ambition le menait à vouloir reconstituer une grande Numidie indépendante. Avait-il tort ? La Numidie ne couvrait-elle pas une grande partie de l’Ouest tunisien et de l’Est algérien ? N’est-il donc pas un des premiers « résistants » à l’impérialisme européen ? N’est-ce pas un titre de gloire suffisant pour être célébré dans son pays ?

Même si l’idée est complètement folle, nous rêvons, depuis des décennies, qu’un jour, quelqu’un aille chercher, à Rome, une poignée de la terre qui couvre les vestiges de la prison où Jugurtha a été mis à mort ignominieusement. Ils existent encore. Il la ramènera en Tunisie et donnera à cette poignée de terre symbolique une sépulture digne de ce grand homme que fut Jugurtha. On l’inhumera où l’on voudra. Pourquoi pas à Cirta / Le Kef ou à Kalaat Esnam, au pied de la « Table de Jugurtha » ?

 

A. M. 

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