Quand la guerre des présidents s’enlise, le ridicule ne tue plus et l’incroyable devient réel. Exemples : entre 2011 et 2020, dix mille milliards de millimes ont fuité vers l’étranger et 80 mille milliards détournés des crédits étrangers accordés à la Tunisie, des membres du gouvernement et de hauts fonctionnaires vaccinés contre la Covid-19 en catimini, 65 mille doses de vaccin disparues dans la nature et une députée nahdhaouie vaccinée à la place d’un citoyen dans une circonscription qui n’est pas la sienne. Ce n’est pas tout. Il y a plus grave et plus insolite. Des écoutes enregistrées et fuitées et pas de n’importe qui, du président de la République lui-même l’accusant de trahir le peuple tunisien, une milice mise en place à l’ARP sur décision de son président pour veiller au maintien de l’ordre à l’intérieur du Parlement, le président de la République dans la peau d’un soldat, un guerrier, menaçant de mener le combat jusqu’à la mort contre ceux qui cherchent par tous les moyens à prendre l’Etat en otage et mettre la main sur ses rouages. Ce ne sont là que quelques exemples de faits réels triés sur le volet, car la liste est autrement plus longue et effarante. Le comble est que rien de tout cela ne suscite la moindre réaction de l’instruction publique qui doit enquêter pour séparer le bon grain de l’ivraie, ni des partis politiques dont la plupart se planquent en file indienne à l’ombre du parti de Rached Ghannouchi, ni de la société civile sclérosée dans ses idéaux droit-de-l’hommistes et libertaires ni encore des médias qui ont beaucoup perdu de leur crédibilité et de leur impact sur la société à cause de l’ingérence des politiques.
Tous ces pouvoirs, qui auraient dû être les piliers de l’Etat et ses garde-fous, donnent l’impression d’être paralysés, hypnotisés, hypothéqués. Seules les voix qui défendent contre vents et marées l’indéfendable sont audibles sur toutes les ondes et les fréquences. Et une fois la première vague polémiste passée, au bout de quelques jours, parfois quelques heures, la page est vite tournée et un autre scandale éclate.
Les Tunisiens ont le sentiment que leur pays est à l’abandon, comme eux d’ailleurs. Les inégalités continuent de se creuser, le clientélisme, les passe-droits et le piston sont légion, l’envie de départ hante les esprits de la plupart des jeunes et la Tunisie s’enlise dans la pauvreté. Entre-temps, les chefs sont empêtrés dans une guerre d’hégémonie et d’ego depuis plusieurs mois, comme dans une guerre de gangs où chaque clan cherche à marquer des points contre son adversaire pour venger son honneur. De chaque côté, les troupes sont mobilisées et tous les coups sont permis. Voilà où on en est arrivés après dix ans de batailles pour le pouvoir menées par des amateurs de la politique, qui ignorent les ABC du fonctionnement d’un Etat et de sa gestion.
Toutefois, il faut reconnaître que la guerre des chefs a eu un mérite, celui de mettre à nu les desseins de chaque camp, de dévoiler les vrais visages de leurs protagonistes et de donner aux Tunisiens l’occasion de bien connaître les dirigeants qu’ils ont élus et à qui ils ont confié leur avenir, celui de leurs enfants et celui du pays. Rached Khiari, par exemple, le député d’Al Karama, s’est avéré être un véritable James Bond 007, qui prétend avoir des contacts avec des services de renseignements étrangers, lesquels lui fourniraient des informations et des documents incriminant le président Kaïs Saïed, son entourage professionnel, dont sa directrice de cabinet, et familial, son épouse et son fils. En d’autres termes, ce président que les 2,7 millions d’électeurs croient être intègre et de confiance ne serait en fait qu’un imposteur et ne mériterait pas d’être président de la République. Oui, c’est déjà la campagne électorale pour 2024. Le même sort est réservé à Abir Moussi et à son parti le PDL. Après l’avoir contrainte à se tenir à distance de l’ARP et à ne plus entrer à l’institution, en la privant de sa garde rapprochée qui, selon Moussi, la protégerait d’une menace d’assassinat sous l’hémicycle, un projet de loi est proposé par la majorité pour exclure des prochaines élections toute personne ne reconnaissant pas la Révolution, comme Abir Moussi, son parti et ses sympathisants.
La majorité parlementaire qui est également la ceinture politique du Chef du gouvernement serait donc occupée à préparer le lit des prochaines échéances électorales de 2024. C’est pour cela que les Tunisiens n’ont pas de vaccins contre la Covid-19 et que la pandémie continue de faire des ravages dans un contexte général de paupérisation de l’Etat et d’humiliation de la population réduite à se préoccuper de son pain quotidien. D’ailleurs, qui parle encore de développement ? Même les revendications des Tunisiens ont reculé dans l’échelle de la qualité de vie. Désormais, le versement des salaires à la fin du mois est en passe de devenir un luxe. Incroyable mais vrai.