Pour beaucoup de gens, la forêt du Rimel, située aux portes de Bizerte, est inquiétante, voire dangereuse. Ils ne la « fréquente » pas. Elle est pourtant bien attrayante et très facilement accessible grâce à l’autoroute qui la longe.
Présentation de la « Belle »
Pratiquement triangulaire, elle mesure à peu près vingt kilomètres de long sur une largeur moyenne de deux kilomètres. Elle a donc une superficie de deux mille hectares environ d’un seul tenant. Orientée sud-est / nord-ouest, elle s’étend sur des apports de sable qui ont constitué des dunes vives ou fossiles le long du rivage du Golfe de Bizerte et qui ont gravi les pentes des collines de l’intérieur, vers Metline et El Alia. C’est là d’ailleurs, qu’elle est la plus large et que se trouve son point culminant : Le Jebel Aïn Saada (230 mètres). Puis son attitude décroît régulièrement du sud-est où elle varie de 180 à 150 mètres, aux alentours d’El Alia, vers le nord-ouest où elle borde la plage du Rimel, entre Menzel Jemil et Zarzouna, faubourg sud de Bizerte.
C’est une forêt artificielle. Le reboisement des dunes a été réalisé durant la première moitié du XXe siècle. Elle est essentiellement composée de pins, d’eucalyptus et de mimosas. Dans les sous-bois, poussent principalement des lentisques.
Des sanctuaires ruraux, dont la construction est antérieure au reboisement, consacrés à Sidi Asker et à Lella El Khouldem sont situés en pleine forêt dans les collines du sud-est. La forêt est rationnellement exploitée, encore que les « coupes à blanc » : la coupe de tous les arbres sur une certaine superficie, qui y est encore pratiquée, soit actuellement critiquée par de nombreux spécialistes. Ils estiment que le sol, privé de tous les arbres, est très mal protégé contre l’érosion et que les buissons des sous-bois, en se développant sans concurrence, freinent, voire empêchent, la repousse naturelle des très jeunes arbres. Le sous-bois sert essentiellement de terrain de pacage aux bovins des agriculteurs voisins. Et nous, citadins, que pourrions-nous y faire ?
Les baignades
La très belle plage du Rimel rassemble tous les amateurs de baignades des alentours sud de Bizerte et ils sont nombreux. Certes, le littoral a été aménagé de façon à pouvoir accueillir cet énorme apport saisonnier de population, mais le fait qu’il soit déserté dès les premiers jours de septembre, n’est certainement pas seulement dû au fait que les jeunes gens retournent dans les établissements scolaires, à notre avis. Ils désertent la plage à l’orée de la forêt car il n’y ont rien à faire.
Nous pensons que, sans gêner l’exploitation de la forêt, certains aménagements tels que la percée, le balisage et l’entretien de sentiers de randonnée, l’aménagement d’aires de repos, où les promeneurs pourraient trouver sous une forme ou sous une autre, des informations à propos de la nature des plantes et des noms des animaux fréquemment rencontrés, seraient une initiation intéressante non seulement au tourisme écologique local mais aussi au respect d’une environnement mieux connu.
D’autre part, tous ceux que les fortes chaleurs estivales indisposent et qui n’apprécient guère les plages pourraient emprunter les nombreuses grandes pistes d’accès et aller pique-niquer, faire une sieste ou jouer à l’ombre fraîche des grands arbres, bercés par le murmure de la brise tiède dans les frondaisons.
Les chasses
Certains y séjournent toute l’année, d’autres ne font qu’y passer, quelques uns y restent tout l’hiver : ce sont les hôtes de la forêt. Malgré un braconnage important, on « lève » encore quelques perdrix et quelques lièvres sur les lisières. Les sangliers y abondent. Genettes et mangoustes se voient fréquemment. Les tourterelles des bois s’y reposent à l’aller comme au retour et nichent en lisière. Régulièrement, après que le soleil d’automne a peint le ciel et les nuages de pourpre et d’or, après que les très nombreuses grives, gavées d’olives, sont revenues et que les chauve-souris ont commencé leur ballet aérien silencieux, alors le lourd insecte noir, appelé « bousier », vrombit dans la pénombre, les merles se querellent en piaillant une dernière fois et un craquement discret dénonce la « promenade » du hérisson. Puis, dans les taillis, éclatent les glapissements aigus des chacals partant en chasse. Alors, un oiseau passe silencieusement, d’un vol « chaloupé », très rapide, la « dame des bois » ; la bécasse. Enfin, dans l’humidité froide de la nuit venue, « la dame blanche » : la chouette effraie commence sa chasse nocturne.
L’automne et l’hiver sont attendus avec impatience par les chasseurs mais aussi par les amateurs de champignons. Certes, on n’y cueille souvent que des « pieds bleus » et des « cèpes de pin » qui ne sont pas aussi savoureux que les bolets, les girolles ou les oronges mais cueillis tous petits, ils agrémentent un plat aussi bien que « les champignons de Paris » commerciaux et, mis à macérer dans un vinaigre parfumé, ils « relèvent » une salade aussi bien que des olives ou des câpres.
Enfin, dès les premiers jours de janvier, on découvre à l’orée du bois, les magnifiques « fusées » mauve de grandes orchidées : les Barlia robertiana qui ont changé de nom récemment !
Les promenades
Les orchidées sauvages vont nous servir de transition parce qu’elles fleurissent très tôt sans attendre l’arrivée officielle du printemps.
Dès la mi-février, on rencontre les premiers ophrys tenthredinifera, la belle « meit ou hai ». Vous savez : la consommation du bulbe de la racine rend impuissants les hommes volages ! Méfiez-vous, ça se vend, « sous le manteau », au Souk El Blat. Puis en Mars-Avril, la « belle bleue », l’ophrys vernixia : le « miroir de Venus », l’ophrys Scolopax : l’ophrys bécasse – évidemment ! – les fusca violet foncé, les lutea jaune d’or et les papillonacea rose indien s’épanouissent.
Le sable, couvert de mousse, de feuilles sèches ou d’aiguilles de pin permet de se promener avec des chaussures légères et souples. J’ai souvenir d’un camarade qui a chassé toute une journée d’hiver, chaussé de « tongs » d’été, parce qu’il avait oublié ses souliers ! Même après une grosse pluie hivernale, le sol n’est pas boueux : le sable « boit » vite !
Les pentes douces sont propices aux longues errances à l’ombre parfumé des grands arbres. On ne risque pas de se perdre : la forêt est « quadrillée » par de larges coupe-feu et de grandes pistes. Il est rare qu’on n’entende pas, près de soi, le froissement des branches produit par des bovins au pâturage. Le berger vous renseigne toujours aimablement. Il existe d’ailleurs une promenade « officielle » qui permet d’atteindre, à partir des dernières maisons de Menzel Jemil, un fortin : le fort du R’mel construit au siècle dernier.
On peut regretter que, de temps en temps, un entrepreneur obtienne la permission de prélever du sable. Comme il n’existe aucune obligation légale de réhabiliter ensuite le site, la carrière abandonnée demeure une plaie béante qui met très longtemps à se cicatriser.
Toute l’année, par les grandes pistes d’accès d’El Azib et d’Aïn Bou Ras, à l’ouest, celle du nord-est à proximité du marabout de Sidi Abdelaziz proche de Metline ou celles qui partent de Menzel Jemil et de la plage du Rimel, on peut rejoindre la forêt laisser sa voiture en lisière et aller … chasser, se promener, pique-niquer ou s’asseoir à l’ombre, en rêvant qu’elle devienne un parc protégé tant elle est belle, proche de grandes villes et facilement accessible.
Par Alix Martin