Le réseau national des pépinières d’entreprises, les actions qu’il mène et les missions qui lui sont confiées en termes de sensibilisation, de formation ou encore d’accompagnement ont fait les grandes lignes d’une interview accordée à Réalités par Maher Agrebi, Directeur du centre de soutien à la création d’entreprises. Ce dernier n’a pas toutefois manqué de parler du financement comme un des obstacles majeurs à la création d’entreprises, appelant ainsi à améliorer la coordination entre tous les organismes qui travaillent sur l’entreprenariat et instaurer une communication optimale et plus efficace. Interview.
Pouvez-vous nous dire plus sur le réseau national des pépinières d’entreprises ?
Le RNPE est une structure créée en 1991 au sein de l’APII, en vertu d’une convention conclue entre les ministères de l’Industrie, des Mines et de l’Energie et de l’Enseignement supérieur et de la Recherche Scientifique. L’objectif est de créer de nouveaux postes d’emplois puisqu’on a commencé, au début des années 90, à sentir que le système ne peut pas absorber le grand nombre de demandeurs d’emplois. Mais, à cette époque l’idée de créer une entreprise n’a pas été assez développée même chez les étudiants d’où l’idée de lancer au sein de l’université des pépinières d’entreprises qui auront comme première mission la diffusion de la culture entrepreneuriale dans le milieu universitaire. La première pépinière a été créée en 2001 à l’ISET de Nabeul puis le réseau s’est développé à raison d’une pépinière dans chaque gouvernorat. Le plus grand nombre de pépinières (80%) est installé dans les instituts supérieurs des études technologiques (ISET), dans les écoles d’ingénieurs à Sfax et dans technopoles de Sousse et Borj Cédria. Au total, nous avons un réseau de 28 pépinières dont 3 à Sfax, 2 à Nabeul et 2 à Sousse alors que le reste est réparti à raison d’une pépinière dans chaque gouvernorat.
En 2021, 154 actions de sensibilisation ont été organisées par le RNPE et ont concerné tous les gouvernorats de Tunis. Ainsi, 650 jeunes ont été formés et 271 ont été accompagnés dont 120 études ont été finalisées. Au final, 59 projets ont abouti. Pour ce qui est hébergement, 160 jeunes sont actuellement hébergés dans le réseau dont 102 sont dans le secteur des TICs et 21 ont le label de startups. 51 projets hébergés au titre de l’année 2021.
Ces 160 projets ont généré un volume d’investissement de prés de 7 MDT et 547 nouveaux emplois.
Quelles sont les missions qui sont confiées à ce réseau ?
Notre mission s’articule autour de trois grands enjeux stratégiques. Le premier se focalise essentiellement sur la diffusion de la culture entrepreneuriale, la sensibilisation à la création d’entreprise et l’encouragement de l’initiative privée. Au démarrage du réseau, il n’y a ni d’entrepreneurs ni d’incubateurs, l’APII a été pionnière en matière de création du RNPE et du développement de l’entrepreneuriat. A cette période, la majorité des étudiants ne connaissaient que des organismes de soutien et d’accompagnement à la création d’entreprise existent.
Le deuxième enjeu est la formation. En effet, chaque pépinière offre de 2 à 3 cycles de formation entrepreneuriale par an. C’est un processus de 8 à 10 jours qui cible essentiellement les étudiants. Aujourd’hui, plusieurs associations et organismes travaillent sur l’entrepreneuriat mais ils font appel à l’expertise de l’APII pour la formation. C’est une formation gratuite assurée par l’APII et concerne toutes les composantes portant sur la création d’un projet. Nous travaillons sur plusieurs thématiques dont principalement les techniques de communication et le profil de l’entrepreneur, le plan d’affaires, l’étude de marché, l’étude financière, le statut juridique de la société, les obligations sociales et fiscales, la loi de l’investissement et les procédures de constitution. Jusqu’à ce jour, plus de 15 mille jeunes sont formés avec une moyenne de 700 jeunes par an. La formation est assurée par des professeurs universitaires, des experts comptables, des responsables de pépinières ou des directions générales de l’APII.
La troisième phase c’est l’accompagnement. C’est une phase individuelle qui consiste à valider l’idée avec l’entrepreneur en fournissant des conseils sur plusieurs aspects comme le secteur, le marché et la concurrence. Puis on passe au plan d’affaires et à l’étude du projet. Durant cette phase, nous orientons aussi l’entrepreneur en lui fournissant les renseignements sur les différents types de financement et nous préparons avec lui le dossier juridique de constitution. C’est une phase gratuite, l’entrepreneur ne paie rien. Nous avons accompagné, depuis le démarrage du réseau, prés de 8 mille projets, soit 8 mille plans d’affaires et études relatives à des projets.
Mis à part la formation et l’accompagnement, le financement demeure l’un des obstacles majeurs à la création d’entreprises, qu’est-ce que vous-en- pensez ?
L’APII reste un mécanisme d’accompagnement et pas de financement. Mais, nous avons initié, l’année dernière, un projet avec la CDC et d’autres organismes français et nous avons élaboré un guide de financement pour faciliter la tâche à l’entrepreneur. Nous avons rassemblé dans ce guide tous les mécanismes y compris les projets internationaux, les incubateurs nationaux et les programmes gouvernementaux et non gouvernementaux existants. L’objectif est de donner aux entrepreneurs une vision globale sur le financement et lui faciliter le chemin.
C’est vrai que le souci majeur de l’entrepreneur est le financement surtout qu’ils n’ont ni de l’expérience ni de garanties pour se financer en raison de la non disponibilité d’un fonds d’amorçage.
L’APII, face à ces préoccupations, n’a pas épargné ses efforts pour trouver des solutions et faciliter aux jeunes entrepreneurs l’accès au financement. Elle s’est lancée depuis 2016 dans le projet de la mise en œuvre d’un nouveau mécanisme de financement à savoir le « Crowdfunding ». C’est une innovation numérique et financière permettant à des porteurs de projets (individuels, entreprises, associations, fondations, collectivités territoriales, etc.) de lever des fonds (funding) directement auprès de particuliers, auprès de la foule (crowd) via des plateformes sur internet. Afin de travailler dans un cadre réglementaire bien établi, la loi n° 2020-37 du financement participatif a été promulguée le 06 Août 2020 et les trois autorités de régulations impliquées dans le projet (Conseil du Marché Financier ; Banque Centrale Tunisienne ; Autorité de Contrôle de la Microfinance) ont travaillé sur la rédaction des décrets et des textes d’application. En effet, le Crowdfunding permet le financement de nombreux types de projets, souvent délaissés et non couverts pas les outils de la finance traditionnelle. Ce projet devrait, indéniablement, avoir un impact important sur l’écosystème entrepreneurial.
L’APII pourra toutefois fournir l’hébergement aux entrepreneurs (les projets de services et la petite industrie), pendant deux ans, moyennant un prix très réduit. Héberger un projet c’est donner des bureaux ou des ateliers dans les locaux des pépinières relevant de l’APII. Ainsi, afin de les aider à démarrer convenablement, nous prenons à notre charge les frais de l’électricité, de l’eau et de l’Internet. Depuis le démarrage, en 2001, nous avons hébergé en moyenne 1100 entreprises à raison de 60 à 70 projets par an. Aujourd’hui, on se tourne vers les projets innovants dont les entreprises de service qui peuvent se développer facilement et créer de la valeur ajoutée. Nous avons commencé à donner la priorité d’hébergement aux projets les plus innovants et à forte valeur ajoutée. D’ailleurs, c’est la politique de l’Etat de s’orienter vers les projets innovants et qui ont le label startup.
Est-ce que vous avez atteint les objectifs ?
Nos objectifs annuels sont fixés en fonction de notre historique, de la situation dans le pays et des orientations nationales, mais globalement, nous avons atteint les objectifs escomptés. Pour l’année 2022, nous avons fixé un objectif de 700 jeunes à former, accompagner 300, finaliser 150 études et héberger 70 nouvelles entreprises.
Mais loin des chiffres, nous sommes en train de chercher des objectifs de qualité. Aujourd’hui, il faut s’ouvrir davantage sur l’écosystème. La bataille de la création d’entreprise exige à ce que tous les efforts de l’écosystème s’unissent pour atteindre les objectifs. Nous devons pousser le maximum de jeunes à se lancer dans l’initiative privée afin de créer de la croissance et de l’emploi et contribuer au développement. Nous tablons sur des objectifs qualitatifs, c’est pousser le maximum des jeunes formés à créer leurs propres entreprises. Tout est en train de changer. Il y a de nouvelles formes d’entreprises qui se créent comme les startups et nous devons s’adapter à cela.
Quels sont les différents types d’handicaps que vous rencontrez et comment peut-on changer la donne ?
La multiplication du nombre des associations et des organismes qui travaillent sur l’entrepreneuriat pose un vrai problème et engendre parfois des risques de confusion entre les différentes structures. Dans certaines régions, on trouve parfois trois ou quatre organismes publics qui font pratiquement la même chose. Il faut améliorer la coordination entre tous les organismes et instaurer une communication optimale et plus efficace. L’objectif ultime est de passer d’une idée à un projet.
Il y a aussi une petite restriction des moyens humains et financiers alors que nous avons besoin de rénover les bâtiments qui datent depuis une vingtaine d’année. Il faut renouveler les infrastructures et leur donner une nouvelle image. De plus, nous ne pouvons plus recruter ou au moins remplacer les départs à la retraite. Certaines pépinières sont gérées par une seule personne alors que cela nécessite au moins deux personnes.
Propos recueillis par
Khadija Taboubi