Le roi Mohamed VI en Tunisie : La coopération, une diplomatie des actes

Vingt-trois accords de coopération bilatérale ont été signés en une journée au terme de cette visite, du souverain marocain en Tunisie. La priorité donnée à l’économique revêt une dimension stratégique multidimensionnelle. Mise au point.

L'union du Maghreb arabe (UMA) n’est plus un choix facultatif ou un luxe politique, c’est une revendication populaire pressante et une exigence régionale stratégique incontournable», a affirmé, le 31 mai, le souverain marocain, au deuxième jour de sa visite dans son «deuxième pays», comme il l’a qualifié dans un discours devant l’Assemblée nationale constituante (ANC.)

Dimension stratégique

Depuis le 17 février 1989, date à laquelle le Traité constitutif de l’UMA a été signé par les cinq chefs d’États du Maghreb à Marrakech, les actions politiques entreprises n’ont eu aucun effet sur l’activation de l’organisation économique et politique. Et le Conseil des chefs d’États ne s’est plus réuni, depuis 1994. L’UMA est alors restée un projet inerte oscillant entre le rêve et la réalité.

Le blocage regrettable de l’UMA, a conduit à la persistance de la fermeture des frontières et le ralentissement de la coopération intermaghrébine. Aujourd’hui, l’enjeu sécuritaire dans la région, notamment en Libye, a mis de l’huile sur le feu. De surcroit, le projet avorté de l’UMA a fait obstacle à l’exploitation optimale des richesses et des potentialités que recèlent les pays maghrébins. Économies isolées, immobilisime et actions unilatérales sont à déplorer.

Le processus d’édification d’une UMA politique s’avère être un  chemin semé d’embûches. Dans ce sens, le Royaume du Maroc a proposé, lors de la première visite de son roi en Tunisie, une stratégie qui repose principalement sur la coopération économique.

Samedi dernier, le monarque marocain a prononcé un discours devant l’Assemblée nationale constituante (ANC) où le terme Maghreb a été évoqué à vingt-six reprises. «L’ambition qui nous habite d’édifier un Maghreb fort (…) doit, pour se concrétiser, reposer sur de solides relations bilatérales unissant entre eux les cinq états du Maghreb et s’appuyer, par ailleurs, sur des projets inclusifs qui renforcent la position et l’évolution de l’Union maghrébine», a affirmé le souverain, lors de sa première visite en Tunisie depuis le 14 janvier.

Optant pour des projets inclusifs et non exclusifs, le roi a appelé les autres pays du Maghreb à oeuvrer pour le rapprochement à travers la coopération bilatérale, notant que «le Royaume du Maroc n’épargnera aucun effort pour raffermir ses relations avec les autres pays maghrébins frères qui sont mus par la même volonté, d’autant plus qu’il est admis que la coopération bilatérale est le véritable socle de l’action maghrébine commune.»

Arrivé en Tunisie le 30 mai pour une visite de trois jours, le roi a été accueilli, à l’aéroport Tunis-Carthage, par le Président tunisien, son gouvernement et les délégations diplomatiques, ainsi que par par une délégation de onze jeunes marocains résidant à Tunis et portant des tenues traditionnelles représentant les différentes régions du Maroc. Chacun de ces étudiants a parlé de son expérience au souverain, en présence de Réalités.

Lors de cette visite, les deux pays ont battu un record en matière d’accords, sachant que plus de cinquante accords et conventions avaient été signés entre les deux pays. «Les vingt-trois accords revêtent un caractère stratégique et une volonté de renforcer les relations bilatérales entre les pays maghrébins, en particuluer entre les deux pays», nous a affirmé un diplomate marocain exerçant en Tunisie, ajoutant que cette volonté a été renforcée par la visite d’une forte délégation de ministres marocains voulant conclure des accords avec leurs homologues tunisiens.

Les accords, à portée stratégique, signés lors de la cérémonie présidée vendredi 30 mai par le souverain marocain et le président tunisien, Moncef Marzouki, viennent confirmer la volonté des deux pays de poser les jalons d’un travail intermagrébin. Ces accords couvrent plusieurs secteurs dont le tourisme, les finances, la santé, la sécurité et l’énergie.

«La volonté défie tout obstacle. Ces accords devraient booster la coopération intermaghrébine et permettre au peuple maghrébin (estimé à plus de 90 millions d’habitants) un grand épanouissement et une forte intégration régionale», a affirmé, samedi, Salaheddine Mezouar, ministre marocain des Affaires étrangères et de la coopération.

«Compétition»

En préparation à la visite royale, le forum économique Tunisie-Maroc a été organisé, jeudi 29 mai, au siège de l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (UTICA), sous le thème : «Maroc -Tunisie : Des synergies à bâtir au service de la croissance et de l’emploi.»

«Nous sommes inscrits aujourd’hui dans un contexte stratégique. Nous devons penser à un nouvel ordre économique mettant en valeur le co-développement, la co-émergence en Afrique et la coresponsabilité économique et sociale. Nous devons, conformément à l’accord d’Agadir, encourager nos diasporas dans les deux pays», nous a affirmé Moulay Hafid Alamy, ministre marocain de l’Industrie, du Commerce, de l’investissement et de l’économie numérique.

L’objectif consiste à passer d’une logique de concurrence à un nouvel ordre de complémentarité, entre les deux pays, représentés lors du forum par l’UTICA et la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM.)

«La mise en place d’un partenariat stratégique win-win (gagnant-gagnant), loin de toute «concurrence et désunion» est désormais une nécessité et les deux pays en sont conscients aujourd’hui», a souligné, à Maghreb arabe presse (MAP), l’ambassadeur du Royaume à Tunis, Mohamed Frej Doukkali, ajoutant que la «preuve de cette orientation partagée» est la multiplication des visites mutuelles des responsables «depuis la Révolution» ainsi que la constance du  niveau d’échanges commerciaux entre les deux pays après le 14 janvier.

Le tissu économique tunisien a su résister après cette date. À la fin de 2011, l’économie tunisienne enregistrait une  croissance de -2% redevenue +2.6% en 2013, prévue à 3.8% en 2014 et qui serait de 6% en 2017, selon les estimations du Fonds monétaire international (FMI.)

«Les échanges entre les deux pays ont certes évolué, mais ils restent, jusqu’à présent, en deçà des aspirations. Ce Forum devra agir sur la complémentarité  dans la région», a affirmé Ouided Bouchamaoui, présidente de l’UTICA.

Ce forum vise à développer les relations d’affaires entre les opérateurs économiques des deux pays. Or, des obstacles administratifs, bureaucratiques et législatifs s’opposent à cette volonté de «changement économique». Dans ce sens, Kamel Ben Naceur, ministre tunisien de l’Industrie, de l’énergie et des mines, a réclamé l’instauration du principe de l’Union européenne basé sur la coompétition (coopération basée sur la compétition) la création d’universités communes pour étudier les solutions et les marchés des deux pays ainsi que les moyens d’accélérer le processus d’échange B to B.

Les pays du Maghreb ont un dénominateur commun : la crise d’employabilité des jeunes conduisant au chomage puis à la pauvreté. «Nous sommes devenus des sociétés de consommation où la dette finance les achats de produits finis de consommation au détriment de l’investissement productif», a insisté Meriem Ben Salah Chakroun, présidente de la CGEM. Et de poursuivre «nous ne profitons pas assez des synergies possibles entre nos deux pays. Le Maroc est le 36e fournisseur de la Tunisie et son 12e client. La Tunisie est le 35e client du Maroc et son 31e fournisseur.»

Trois solutions à cette crise ont été proposées par Ben Salah Chakroun. Tout d’abord il est temps de faire preuve de solidarité et de travailler ensemble sur l’interdépendance économique entre les deux pays. Ainsi, les licences d’importation, les quotas ou les barrières non tarifaires doivent disparaitre. «La complémentarité existe dans les structures de nos économies, notamment en agroalimentaire et en industrie, mais elle doit désormais s’inscrire dans nos mentalités», a-t-elle souligné.

Ensuite la concurrence devrait se transformer en un atout commercial commun à travers le co-investissement, les offres conjointes, etc. La Tunisie pourrait servir, dans ce sens, les plates-formes libyenne et égyptienne et le Maroc pourrait faire de même pour l’Afrique de l’Ouest. La troisième réponse est enfin la réindustrialisation comme étant un «socle de la solidité économique.»

Le Royaume occupe une place importante sur le plan des échanges avec la Tunisie. Les échanges économiques entre les deux pays ont triplé par rapport à 2005, indique l’Office des changes du Maroc, ce qui a fait du Maroc le troisième partenaire commercial de la Tunisie.

Sur le plan import, la Tunisie est fortement présente dans les esprits marocains, notamment lors du mois du Ramadan. Les dattes tunisiennes constituent le produit numéro 1 du consommateur marocain. Le Maroc importe également les produits chimiques et végétaux bruts ainsi que les ouvrages en papier.

Pour sa part, la Tunisie importe du Maroc de l’équipement, les produits pharmaceutiques et alimentaires et les produits-semi confectionnés. Le caftan marocain est très demandé en Tunisie.

Construire ou détruire

Plus de cinquante accords et conventions ont été signés entre les deux parties. D’autres accords ont réuni plusieurs États arabes dont les deux pays, notamment l’accord sur la création d’une zone de libre échange (1991) et la Convention d’Agadir (2004.)

Les nouveaux vingt-trois accords revêtent un caractère stratégique pour l’avenir du Maghreb, notamment dans le secteur touristique. Aujourd’hui, les deux pays s’orientent vers la complémentarité touristique. «Nous sommes fiers des deux accords que nous avons signés avec le Maroc», a déclaré à la MAP, Amel Karboul, en marge de la cérémonie de signature de plusieurs accords de coopération entre les deux pays.

Il s’agit, en effet, du 14e accord portant sur un programme exécutif de coopération dans le domaine touristique (2014-2017), signé par le ministre du Tourisme, Lahcen Haddad et son homologue tunisienne, Amel Karboul et du 15e accord, portant sur un protocole de coopération entre l’Institut supérieur international du tourisme de Tanger (ISITT) et l’Institut supérieur tunisien des études touristiques de Sidi Drif.

Il est temps de mettre fin aux rumeurs conduisant à la désunion. «Le Maroc constitue une destination touristique importante pour les Maghrébins et les Européens, depuis des années. Dire alors que le pays a profité des événements de 2011 est trompeur.

Aujourd’hui, la coopération entre les deux pays devra aider à construire un Maghreb solidaire et évolutif», a expliqué Sanae Metloub, spécialiste en économie touristique et d’affaires, lauréate de l’ISITT.

Au lieu de prêcher la concurrence agressive, les différentes parties, dont principalement les médias, devraient accompagner ce processus de coopération intermaghrébine en étant sensibles aux transformations de la région. La question, aujourd’hui, n’est de procéder, ni à la comparaison inutile, ni encore à la diabolisation et à la victimisation. L’UMA ou l’UM comprend cinq pays qui devraient tous partager une responsabilité engagée et réaliste.

Tout commence par un pas modeste. Et «être réaliste, c’est préférer une réforme modeste, qui en permet une autre, à un miracle impossible», comme le disait le leader Habib Bourguiba.

Chaïmae Bouazzaoui

 

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