Moncef Kammoun*
La Tunisie, depuis la révolution, est en perte de repères, de visibilité, de stabilité, de volonté, d’imagination et de projets. Elle vit au jour le jour et il lui est difficile de se projeter dans l’avenir et encore moins d’anticiper sur les événements.
On croyait tous que la révolution allait assainir le pays et ouvrir des perspectives mais très vite on s’est trouvé dans un système inchangé en raison d’une bureaucratie lente et corrompue et en plus, face à une crise économique, une dévaluation du dinar et des conditions salariales qui tuent tout enthousiasme.
De ce fait la fuite des cerveaux, particulièrement vers des pays offrant de meilleures perspectives d’avenir, s’accentue et c’est ainsi que la Tunisie s’est classée deuxième pays arabe, après la Syrie, en matière de fuite des cerveaux ce qui crée dans la pays un manque de compétences..
L’avenir est plus problématique que jamais et personnellement, j’ai vraiment peur pour mon pays, qui va de mal en pis et semble parfois paralysé face à l’irresponsabilité généralisée et à l’anarchie menaçant de s’installer partout.
Je dis cela, pour demander à mes compatriotes de se préparer au pire.
Face à l’angoisse des lendemains incertains, au manque de confiance, à la persistance du chômage et de la pauvreté et à l’érosion du pouvoir d’achat, le Tunisien semble déprimé et sans espoir.
Ce qui inquiète le plus, ce n’est pas le blocage lui-même, mais le fait qu’il ne semble déranger personne.
On a réussi à tout détruire. Dans les secteurs de l’éducation et de la santé, secteurs clés de tout développement, les grèves se poursuivent et il n’y a pas de solution à l’horizon.
Nos élèves dans la rue
Cent mille élèves quittent l’école chaque année. C’est énorme et alarmant. « Imaginons une seconde ses répercussions économique, sociale, sécuritaire et éducative ». Où vont finir tous ces enfants, ces Tunisiens de demain ? Dans l’oisiveté qui n’est que la mère de tous les vices : chômage, délinquance, émigration clandestine, violence et surtout de devenir une proie facilement manipulable.
Quel désespoir !
Ceux qui restent quittent de plus en plus l’école publique pour l’école privée (on parle pour cette année d’une augmentation de 25% d’élèves dans le privé), cela prouve que l’établissement public n’attire plus et donc qu’il a de graves problèmes à résoudre.
La cause incontestable de la déscolarisation est la pauvreté, surtout dans les zones rurales. L’enseignement selon notre constitution est obligatoire et gratuit, mais cela demande quand même des fournitures scolaires, des habits neufs et du transport.
Hélas, beaucoup de familles n’ont pas les moyens financiers pour faire face à ces minimums de dépenses.
Les enfants savent aujourd’hui que l’éducation ne mène pas à une vie confortable à laquelle ils aspirent. Ils savent que l’école ne joue plus son rôle d’ascenseur social, cela est évident, surtout quand ils voient le nombre de chômeurs diplômés universitaires, il y a de quoi les faire désespérer et leur faire détester l’école !
Les filles des zones rurales sont les plus touchées par ce phénomène de déscolarisation.
Dans un monde où la connaissance prime, l’éducation et la formation des femmes et des hommes est la première de toutes les ressources d’un pays, non seulement pour élever la performance économique nationale dans la compétition généralisée, mais aussi pour assurer la cohésion sociale, sans laquelle rien n’est possible.
Aujourd’hui on a de plus en plus l’impression que l’élève n’est plus au centre de l’éducation, le professeur, doit autant se remettre lui-même en question et retrouver sa place centrale dans le système éducatif.
Chaque année, sur 800 000 élèves d’une classe d’âge, 20 % quittent l’école primaire sans aucune formation scolaire et parfois avant même l’âge de 16 ans donc sans véritable perspective d’avenir. Ces 150 000 représentent 3 millions d’individus en 20 ans !
Du fait que l’enfant de six ans ne peut pas être responsable de ses difficultés ou de son échec à l’école, en plus, il ne voit pas le lien entre ce qu’il apprend à l’école, et sa contribution à améliorer leur qualité de vie. Le rôle des enseignants est donc évidemment crucial dans ce processus.
Nous avons aujourd’hui l’impression que tout le système de l’éducation nationale ignore les principes de base de gestion, de motivation des élèves, et de ce fait le métier perd son prestige il n’est plus valorisé alors qu’il était considéré comme un modèle de réussite et d’ascension sociale.
En 2014 -2015, le nombre des élèves ayant décroché du système éducatif a atteint 110 mille pour passer l’année suivante à 96 mille.
En plus et selon une étude faite par l’ONU 63% de ces élèves décrocheurs n’avaient exprimé aucun remords et que que 35% estiment que les méthodes de traitement ne sont pas adaptées aux attentes des élèves.
Par ailleurs, une étude menée par le Forum Tunisien pour les Droits Économiques et Sociaux, a montré que 30% de ses élèves quittent l’école à cause de problèmes familiaux sans jamais redoubler !
Le gouvernorat de Kasserine est en tête du classement en matière d’abandon scolaire au niveau du primaire avec un taux de 36,4%, quant au niveau secondaire, c’est Kebili et Sidi Bouzid qui sont en haut du classement, avec respectivement 66,7% et 55,2%.
Nos diplômés disparus
La fuite des jeunes cerveaux fait beaucoup parler d’elle ces derniers temps. Les chiffres effrayants du nombre de départs, récemment dévoilés, ne font que témoigner de l’ampleur de ce phénomène: la Tunisie est en train de perdre ses compétences.
Selon un rapport de l’OCDE, depuis la révolution plus de 100 000 Tunisiens ont choisi de faire leur vie ailleurs, la majorité en Europe (84 %) tentés par des perspectives d’avenir plus prometteuses et de ce fait, la fuite des cerveaux particulièrement vers des pays offrant de meilleures perspectives est une réalité amère.
Cette fuite des cerveaux s’accentue, nous sommes classés deuxième pays arabe, après la Syrie, en la matière ce qui crée bien entendu un manque de compétences.
D’abord les ingénieurs qui représentent avec les médecins 72% des migrants dont particulièrement les spécialistes en informatique qui sont appréciés au point qu’en France on ne dit pas un bon informaticien, mais “un Tunisien”. Mais ce départ massif a forcément un impact négatif immédiat sur la qualité de l’enseignement supérieur et l’avenir des étudiants.
Les conseils de l’Ordre nationaux des médecins et des ingénieurs, ont tiré la sonnette d’alarme sur cet exode de nos cerveaux.
“C’est une sorte d’explosion”, pense Mabrouk Korchid, l’ex-ministre des Domaines de l’État et des Affaires foncières en indiquant que la fuite des cerveaux représentent près de 10% des immigrés tunisiens à l’étranger.
Slim Khalbous, ministre de l’enseignement supérieur, pense que « La Tunisie souffre d’une grave hémorragie d’universitaires »
Cette exode concerne aussi les enseignants-chercheurs, qui, après leur formation et une expérience en Tunisie, profitent des offres des universités dans les pays arabes pour accéder à de meilleures conditions de travail en matière de recherche et bien entendu en raison de la situation générale dans le pays, qui n’est pas propice à la stabilité.
Les crises économique et politique qui s’abattent sur le pays depuis la révolution dissuadent un grand nombre de Tunisiens de rester surtout qu’ils sont très bien appréciés en France d’ailleurs les Tunisiens admis au concours annuel d’équivalence qui permet aux praticiens étrangers de s’établir sur le territoire français et qui s’adresse à toutes les nationalités, excepté les ressortissants de l’Union européenne représentent le tiers des lauréats de ces postes.
*M.K Architecte