Par Mustapha Attia
Des déclarations officielles ponctuées par l’anaphore «loups solitaires» ont semé le doute dans l’opinion publique ces derniers jours. Elles nous rappellent en ces temps troubles que le retour à un minimum de transparence s’impose urgemment. Nous savons pertinemment que les mots des officiels de la sécurité ne font pas le moine. Ils offrent une définition générale, mais ils en couvent souvent une autre, cabalistique, secrète. Un métaphorique écran de fumée, un redoutable camouflage à motivations fumeuses ! À un moment où tous les responsables sont contestés, discrédités, attaqués, vilipendés, il est facile de dresser un réquisitoire contre la «communication sécuritaire» telle qu’elle est pratiquée dans notre pays depuis le 14 janvier 2011. Comment mener le combat pour la précision contre ceux qui ont intérêt à la noyer dans la généralité ? Le dilemme est vertigineux : faut-il renoncer à la précision pour endiguer l’information, ou attendre que le flou ait raison de la vérité ? Quand on refuse au peuple son droit de distinguer le réel du fantasme. C’est dans cet entre – deux que se manifeste son désarroi. Les vessies deviennent des lanternes. Cette maladresse est d’autant plus regrettable qu’elle introduit du trouble dans une époque où le rôle d’un haut responsable sécuritaire est, plus que jamais, d’apporter de la clarté, de la précision et de l’exactitude. Il faut livrer une bataille sans merci à ce flou qui nous colle à l’âme et nous installe à demeure du côté des caricatures, des raccourcis, de l’errance. C’est en nommant précisément les dangers qu’on se donnera une chance de les éviter. Quels que soient les arguments officiels et officieux, qui voudront justifier le contraire, il convient de rappeler que les «loups isolés» ne sont pas des dérives individuelles, des trajectoires cabossées, mais qu’il y a bien une dimension collective. Les actes terroristes qui ne sont pas déclenchés sur commande «d’en haut» mais réalisés «d’en bas» par des individus qui se radicalisent par le biais du Web et agissent de façon plus ou moins spontanée, ne peuvent jamais être des «loups solitaires». Même s’ils n’appartiennent pas à un mouvement structuré, ils obéissent à une même idéologie globale en plein essor, nourrie par un marketing religieux et alimentée par un climat de peur et de ressentiment. On ne naît pas terroriste, on le devient. À force de chercher une cause simple aux malheurs des musulmans. On le devient en cultivant la haine de soi et des autres. Par envie, par jalousie, par complexe d’infériorité, par soumission à la plus avilissante entreprise de haine conçue par l’humanité : le radicalisme. Ibn Khaldoun, en son temps, avait décrit de manière sidérante les dangers du radicalisme qui renvoie surtout au vide spirituel et moral. Ce vide produit des formes pathologiques de la religion et son instrumentalisation par des formes non moins pathologiques de la politique populiste. Le terrorisme n’est pas seulement vouloir passer à l’action même individuelle. Le terrorisme, ce sont l’apologie de la haine, les discours victimaires et culpabilisateurs, qui ne connaissent des rapports humains que l’opposition dominant/dominé et le dénigrement de la société humaine et de ses valeurs universelles. Le souvenir cauchemardesque du meurtre de Chokri Belaïd, précédé d’une campagne haineuse orchestrée dans quelques mosquées, est toujours vivace. Regarder le terrorisme de face, c’est regarder les matrices idéologiques. Inutile de disputailler. Cet état de fait s’impose à tous les pays qui peuvent certes gérer sa fatalité au gré de leurs convictions. Mais cette réalité impose, chez nous du moins, un considérable changement de discours sécuritaire. Les peuples jugeront les responsables de leur sécurité sur la manière d’affronter le danger. Et d’abord de le nommer avec précision.