Le stratagème de Netanyahu pour torpiller la paix

Par Dr. Ali Menjour

En juillet 2013, le Secrétaire d’État américain, John Kerry,  a fait savoir à ses interlocuteurs israéliens et palestiniens qu’ils ont devant eux neuf mois pour mettre en commun un accord-cadre ouvrant la voie à de nouvelles négociations sur le statut de Jérusalem, la question des colonies et des frontières ainsi que celle de la sécurité. Ce délai a déjà expiré depuis le 29 avril de cette année.

Comme si ces épineuses questions ne suffisaient pas au Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, il leur ajoute un nouveau et énième obstacle, à savoir la reconnaissance par les Palestiniens du caractère juif de l’État d’Israël pour commencer à travailler à l’élaboration de cet   accord-cadre. La stratégie de Netanyahu est claire et consiste à provoquer le refus des Palestiniens afin de leur imputer l’échec des négociations. En fait, quoi de mieux pour pérenniser le statu quo afin de mettre tout le monde devant le fait accompli en construisant le maximum de colonies en Cisjordanie et essentiellement à Jérusalem-Est ?

Ainsi, en se permettant d’étouffer dans l’œuf toute initiative de négociations, il sait parfaitement qu’il a les coudées franches du moment qu’il jouit du soutien inconditionnel du plus puissant lobby pro sioniste aux États-Unis, l’AIPAC (American Israël Affairs Commitee) qui a la haute main sur toutes les décisions du Congrès se rapportant au monde musulman du Maroc à la Malaisie. Par ailleurs, il est connu que ce lobby soutient les thèses des sionistes de droite.

 

Les visées de Netanyahu

Dans son engagement dans cette voie, Netanyahu ne vise pas uniquement les Palestiniens. La  reconnaissance du caractère juif de l’État d’Israël est aussi un défi  qu’il lance au Président Obama dont on sait qu’il n’a jamais eu de bons rapports avec le Premier ministre israélien. Sur ce point, notons que beaucoup de hauts responsables occidentaux partagent les mêmes sentiments d’antipathie à l’égard de Netanyahu. Par contre, afin d’éviter  d’être la cible des patrons de la finance internationale et des magnats de la Presse, acquis dans leur quasi-majorité aux thèses sionistes de droite qui préfèrent s’abstenir de critiquer ouvertement les décisions des dirigeants d’Israël, aussi extrémistes soient-elles. Cette faiblesse politique a toujours été conçue de la part des dirigeants sionistes comme un triomphe de leur démarche politique et un feu vert les incitant à aller en avant en bafouant les valeurs humaines et en transgressant  davantage le droit international.

Quand on étudie les événements politiques qui ont eu lieu au Moyen-Orient de la fin de la Deuxième Guerre mondiale jusqu’à nos jours, on ne peut être que perplexe et déçu du fait de la nature de l’Homme. Une partie non négligeable de juifs convertie au sionisme s’obstine à minorer et à ignorer l’exigence universelle d’égalité en droit. Les mêmes sentiments concernent les États-Unis qui, malgré le rôle de premier plan qu’ils ont joués quelques décennies auparavant pour libérer l’humanité du fléau du nazisme, du fascisme et de l’impérialisme nippon, constituent, de nos jours, un indéfectible soutien  aux sionistes.

L’apport considérable de la première puissance mondiale à Israël afin qu’elle consolide davantage son hégémonie  dans la région n’est un secret pour personne. La politique élaborée par les stratèges américains et programmée depuis des années tient compte aussi bien des intérêts américains que de ceux d’Israël. Éric Laurent, dans son livre Le monde secret de Bush, édité depuis 2003, écrit : «David Wurmser fut l’auteur avec Richard Perle et Douglas Feith d’un rapport ultra-confidentiel intitulé «Clean break» remis au Premier ministre israélien Netanyahu en 1996 qui s’articulait autours de deux objectifs principaux, pensés  dans l’intérêt d’Israël : démembrer l’Iraq et neutraliser la Syrie» (page 121.)

 

Retour à l’Histoire

Malgré l’alliance stratégique entre les États-Unis et Israël, ce pays n’a pas hésité, par la bouche de son Premier ministre, à s’adresser indirectement aux autorités américaines pour inverser une décision prise par le président Harry Truman.  

En quoi consiste cette décision, lorsque l’on sait que Netanyahu a exigé de l’autorité palestinienne la reconnaissance du caractère juif de l’État d’Israël  comme condition sine qua non pour la préparation de n’importe quel  accord-cadre?

Le retour aux événements historiques s’impose pour comprendre les dessous de cette affaire.

Commençons, tout d’abord, par rappeler qu’au cours des jours qui ont précédé le plan de partage de la Palestine (le 29 novembre 1947) aucun haut dirigeant politique au monde n’a montré autant d’enthousiasme pour ce plan et n’a fourni tant d’effort en sa faveur que le Président américain Harry Truman. Tous les historiens et les observateurs de la scène politique de l’époque reconnaissent qu’il en avait même fait sa cause personnelle.

Selon l’appellation onusienne, le partage a donné naissance à un État arabe et un État juif. Mais  lorsque, six mois après, on a présenté au Président américain le document reconnaissant ce nouvel État — après son auto-proclamation (le 14 mai 1948) — pour le parapher, il a barré de sa main la mention «Jewish state» (État juif) pour la remplacer par «state of Israël» (État d’Israël.)

Ben Gourion aurait pu exprimer son mécontentement ou au moins son désaccord à l’encontre du geste, ô combien significatif, de Truman. Mais non seulement on n’a enregistré aucune contestation de la part de n’importe quel dirigeant sioniste, bien au contraire, mais l’appellation d’«État d’Israël» a vite été approuvée et a remplacé celle d’«État juif».  Elle  a ainsi concerné toutes les instances internationales depuis le siège de l’O.N.U jusqu’à toutes les représentations diplomatiques et autres de par le monde. Il en va de même dans toutes les négociations et tous les accords conclus avec l’Égypte, la Jordanie et même les Palestiniens.

Pourquoi, malgré tout cela, Netanyahu exige-il des Palestiniens la reconnaissance du caractère juif  pour qualifier l’État d’Israël ?  Ou encore pourquoi Truman a-t-il été conseillé le changement d’appellation d’ «État juif» par  celle d’«État d’Israël» ?

 Avant de découvrir la signification «de caractère juif» selon Netanyahu et d’une manière générale pour tous les sionistes, il est nécessaire de rappeler  qu’un certain nombre de concepts couramment utilisés dans la littérature sioniste ne peuvent être compris que lorsque l’on découvre les arrière-pensées de ces derniers ainsi que  la réaction  des intellectuels juifs qui dénoncent les intentions cachées de leurs coreligionnaires.

 

Qu’est-ce que le caractère juif dans l’esprit sioniste ?

Dans  son livre Histoire juive-Religion juive (préfacé par Edward Saïd), voilà ce qu’écrit Israël Shahak à propos de la définition de l’État juif. «Il faut parler des attitudes adoptées couramment par les Juifs vis-à-vis des non-Juifs : sans cela, il n’est même pas possible de comprendre l’idée d’Israël comme «État juif», selon la définition qu’Israël s’est donnée officiellement’’. Et de poursuivre, «Une autre raison impérieuse exige de définir officiellement qui est «juif» et qui ne l’est pas. L’État d’Israël, en effet, privilégie officiellement les Juifs par rapport aux non-Juifs dans de nombreux aspects de l’existence. Je citerai les trois qui me semblent les plus importants : le droit de résidence, le droit au travail et le droit à l’égalité devant la loi. Les mesures discriminatoires concernant la résidence se fondent sur le fait qu’environ 92% du territoire d’Israël est propriété de l’État, administrée par le domaine israélien, selon les règlements fixés par le Fond national juif (FNJ), filiale de l’Organisation sioniste mondiale. Ces règlements dénient le droit de résider, d’ouvrir un commerce et souvent aussi de travailler à quiconque n’est pas juif, et pour ce seul motif’’ (p.12.)

À la lumière de l’analyse de l’adjectif «juif» dans sa version sioniste présentée par Israël Shahak, on découvre son caractère foncièrement discriminatoire à l’encontre de tous les non-juifs. Ceci  nous permet de comprendre pourquoi  Harry Truman  a barré la mention d’«État juif» pour la remplacer par l’«État d’Israël.» 

Le geste du Président américain ne vise pas seulement la sauvegarde et le respect des droits fondamentaux des Palestiniens, mais aussi  ceux des chrétiens. Et essentiellement des chrétiens sionistes, véritables co-fondateurs de l’édifice sioniste. En exigeant le retour à la reconnaissance du caractère juif de l’État d’Israël, Netanyahu  n’est-t-il pas en train de commettre  une erreur stratégique  qui s’ajoute à un entêtement que traduisent les multiples durcissements de ses positions dans le processus de paix ?

A.M.

 

Related posts

Affaire du complot contre la sûreté de l’État : Unimed réagit au jugement contre Ridha Charfeddine

Rencontre avec le metteur en scène Moez Gdiri :  « L’adaptation du théâtre européen nous a éloignés de notre réalité tunisienne »

Charles-Nicolle : première kératoplastie endothéliale ultra-mince en Tunisie