Moins d’un an nous sépare de la prochaine élection présidentielle que beaucoup attendent avec impatience dans l’espoir d’un changement. Les acteurs de l’opposition rêvent encore d’un retour à l’avant-25 juillet 2021, à une vie politique « normale » rythmée par un foisonnement de partis politiques, pour la plupart n’existant que sur le papier, et par une dynamique débordante d’une société civile, majoritairement aux financements douteux.
Chez les autres, pro-Kaïs Saïed et indépendants, c’est le doute qui prévaut : Kaïs Saïed n’a pas réussi à concrétiser ses promesses économiques, mais s’il faut le réélire pour barrer la route au retour des corrompus, des opportunistes, des vassaux des puissances étrangères, ce sera fait. Ils correspondent, peut-être, aux 21% d’intentions de vote des sondés par le cabinet américain Zogby Research Services en novembre 2023 qui pourraient reconduire Kaïs Saïed au Palais de Carthage pour un second mandat.
A titre indicatif, selon le même sondage, Abir Moussi vient en deuxième position, loin derrière Saïed avec 10 points d’écart.
Dans le cas échéant, le changement n’aura pas lieu, la Tunisie s’enfoncera dans le système super-présidentialiste et le modèle de démocratie directe, dont le processus verra au printemps prochain l’installation de la deuxième chambre du parlement, le Conseil national des régions et des districts. Il faudra également s’attendre à ce que le désintérêt général pour les scrutins s’enlise, que la reddition des comptes ratisse large, que les investissements ne reviennent pas et que les espoirs de décollage économique s’amenuisent davantage. La réélection de Kaïs Saïed, sans les voix des islamistes, des progressistes et des syndicalistes, consolidera sa position au sommet de l’Etat et sa confiance en ses choix. Le président réélu aura, dès lors, tout le temps et la latitude de mettre la dernière pierre à l’édifice du processus du 25 juillet, à savoir la Cour constitutionnelle.
Ce premier scénario est le plus évident, mais il n’est pas le seul. Un deuxième candidat à la prochaine Présidentielle qui présenterait des atouts sérieux d’homme de confiance, intègre et compétent, pourra rafler la mise. Déçus par les partis politiques, les Tunisiens veulent un maître à bord efficace, qui dirige le pays avec bonne foi et patriotisme, dans la transparence et sans intermédiaires « intéressés ». Mais, dans ce cas, un relâchement ou desserrement de la vis rendra tous les changements probables, y compris le retour des guéguerres partisanes, des tensions et des divisions. Il faudra alors espérer que la leçon de la décennie noire, qui a suivi les événements de 2010-2011, a bien été retenue et qu’elle préservera la Tunisie de tous les écarts.
Cartonner comme en 2019 en raflant plus de 72% des voix est une mission impossible pour Kaïs Saïed en 2024. Parmi les Tunisiens, il y a beaucoup de mécontents. La lutte contre la corruption, le monopole, la contrebande, le décret 54, les complots contre la sûreté de l’Etat, la conciliation pénale… font mal aux familles, proches, amis et entourages des accusés ou présumés coupables. Ce sont autant de voix qui manqueront aux urnes et qui pourraient aller à un candidat rival.
Kaïs Saïed n’a pas annoncé sa candidature, il se peut qu’il ne le fasse jamais. Sauf si au moment opportun, il jugera nécessaire et utile de « ne pas céder le pays entre les mains de corrompus », comme il l’a précédemment déclaré. En attendant, il gagnerait des voix et de l’assurance si pour le temps qui reste, d’ici à l’automne prochain, il investissait dans la communication apaisée avec les élites et dans l’échange profond et fructueux avec les forces vives du pays. Il reste peu de temps à Kaïs Saïed pour se réconcilier avec beaucoup de Tunisiens et pour les réconcilier avec leur pays, qui ne leur garantit plus d’avenir prospère ou des raisons de l’espérer.
La Tunisie est dans l’urgence, confrontée à de nombreux et multiples défis économiques et financiers, tandis que ces forces productives et créatives la fuient vers d’autres cieux ou se terrent sous le poids d’un système hyper-contrôlé et fermé. Celui qui préside à la destinée de ce pays, par la force de la Constitution et de sa légitimité électorale, doit tout faire pour inverser la vapeur et pour que le pays commence à bouger dans le bon sens. Nul ne peut renier les efforts importants qui sont consentis pour maintenir la tête des Tunisiens hors de l’eau et préserver le pays de l’effondrement, mais il en faudrait plus pour qu’ils ne s’épuisent pas à ramer à contre-courant et pour que la Tunisie reste souveraine. Il faut plus de réformes, plus de libertés, plus de droits et plus de justice. Les Tunisiens ont besoin de liberté, de libéralisation, d’ouverture et de confiance pour donner le meilleur d’eux-mêmes, leur loyauté et le fruit de leur labeur. Sinon, ils se désintéressent, partent et la Tunisie les perd.
Le monde est en train de changer, en mal. La guerre contre Gaza a dévoilé les risques qu’encourent les pays vulnérables dans un monde qui n’a plus de morale et qui méprise l’étranger. La Tunisie a besoin des Tunisiens pour la renforcer et la prémunir contre tous les risques.
Il est temps que tout soit fait pour les retenir et les faire revenir.