Le terrorisme,  les matrices idéologiques et… le flou du diagnostic

Une attaque au couteau à l’intérieur de la basilique Notre-Dame de Nice a fait trois morts, jeudi 29 octobre. Le terroriste ? Un Tunisien de 21 ans. Pour moi, tunisien musulman, ce fut une nuit à ne pas fermer l’œil. Une nuit à ressasser les images et à décanter les angoisses. Je me suis construit, intellectuellement, à une époque où le nom de mon pays était synonyme de nombreux espoirs. Je me rappelle, encore, les enthousiasmes de mes professeurs au lycée ; ils n’hésitaient pas à transformer l’estrade en tribune pour prêcher les valeurs humaines enracinées dans nos contrées. Malheureusement, aujourd’hui, la situation n’est pas différente de celle où Pascal écrivait : «Les hommes ne sont ni anges ni bêtes. Mais celui qui veut faire l’ange fait la bête».
Cet attentat marque un tournant dans le terrorisme djihadiste alors que le petit jeu d’analyse sémantique auquel se prêtent les braillards et les marchands de balivernes avec la complicité paresseuse et moutonnière des médias,  paraît bien dérisoire au regard de la gravité des faits. Le terrorisme est plus que jamais le signe barbare des sociétés à la dérive, qui doivent refonder leurs procédures, recréer leurs légitimités, faire en sorte que les plafonds de verre soient détruits. Combattre ce fléau n’est donc pas seulement de l’intérêt des musulmans, victimes collatérales de cet imperium religieux intégriste, mais de l’intérêt de toutes les autres sociétés : pour que, en défendant les libertés et les droits de chacun, en se focalisant sur les vrais enjeux, chacun s’efforce de réussir sa vie, de devenir lui-même et fasse surgir une société démocratique, honnête et équitable. Car le terrorisme n’est pas la nouvelle querelle des croyants contre les laïcs ou des réacs contre les progressistes, comme la caricaturent certains. L’Histoire nous apprend qu’il a pris mille formes et qu’il fleurit dans les sociétés qui ne sont pas à l’aise avec elles-mêmes, où la réussite est ressentie comme illégitime, et où bien des gens ont intérêt à inventer des boucs émissaires pour faire oublier leur responsabilité dans leur propre échec, ou dans celui de leur société. Le grand danger serait de considérer que telle ou telle forme est plus préoccupante qu’une autre. Il faut être totalement déterminé dans la volonté de lutter, avec la conscience claire que ce combat est ancien, qu’il durera longtemps, et qu’il passe par la dénonciation, l’éducation, la formation et la sanction. La radicalité, ce n’est pas seulement vouloir passer à l’action. La radicalité, ce sont l’apologie du terrorisme, les discours victimaires et le dénigrement des valeurs humaines. Aujourd’hui toutes ces perversions existent encore. Plus ou moins cachées. Plus ou moins latentes. Plus ou moins mêlées. Regarder le terrorisme de face, c’est regarder les matrices idéologiques qu’il faut combattre. Depuis plusieurs décennies, les entrepreneurs religieux ont pris le pouvoir sur l’islam et tentent d’enrôler dans leur conception radicale les catégories les plus vulnérables de la société. Il faut reconnaître que ce ne sont pas des dérives individuelles, des trajectoires cabossées mais qu’il y a bien une dimension collective et sociologique.
Puisque les bouches s’ouvrent et que les langues se délient, n’est-il pas temps, dans l’intérêt de tous les musulmans, d’en finir avec les dérives djihadistes, de tenir ferme sur les valeurs universelles, d’appeler enfin un chat un chat ? C’est en nommant les problèmes qu’on se donnera une chance de les régler. Le flou du diagnostic, on le sait, ne permet jamais les bons remèdes. Le grand poète Hölderlin disait dans ce sens : «Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve». Reste que chaque époque jusqu’à la nôtre a trouvé son moyen pour couvrir d’opprobre ceux qui vivaient en équilibre entre fidélité et liberté, entre l’ici et l’ailleurs, cette image même de l’humanité souffrante depuis qu’elle a quitté le jardin d’Éden (le Paradis). À ces dérives souvent inexplicables, le complot offre ses séductions, et le bouc émissaire, son visage. Nous en sommes là.

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