A quoi joue Rached Ghannouchi quand il tient des propos menaçants qui relèvent de la jurisprudence religieuse en prononçant l’oraison funèbre lors de l’enterrement d’un des membres du Conseil de la Choura d’Ennahdha ? Il se sert du lexique de guerre des terroristes djihadistes pour désigner l’adversaire de «Taghout» et, insidieusement, sème la graine de la «Fitna» en accolant l’étiquette «chiite» à Kaïs Saïed. Un jargon et des concepts étrangers aux Tunisiens qui, jusqu’en 2011, tout en revendiquant leur identité arabo-musulmane, n’ont jamais accordé à la religion une place de premier rang dans leur vie quotidienne et encore moins à la discrimination entre sunnites et chiites dans leurs rapports avec leurs compatriotes ou avec d’autres peuples arabes et/ou musulmans. En réalité, Rached Ghannouchi ne joue pas, il a peur. Tous ses plans, à l’intérieur et à l’étranger, et toutes ses sollicitations envers les capitales occidentales pour faire rouvrir l’ARP et lui permettre de reprendre le perchoir ont échoué. Détesté par plus de 80% des Tunisiens, selon les sondages, accusé dans les assassinats politiques par le comité de défense des deux martyrs, soupçonné de blanchiment d’argent -il serait sur le point d’être convoqué par les enquêteurs pour être entendu en tant qu’accusé- le Cheikh a perdu de son aura et de son pouvoir, surtout après la dissolution du CSM dont on soupçonne certains de ses membres de connivence avec le parti Ennahdha. Se sentant ciblé et menacé, le Cheikh passe donc à l’attaque : il sème la discorde, remonte les citoyens contre les forces armées et sécuritaires (taghout) et menace les Tunisiens d’une guerre civile, fratricide, appelant indirectement à combattre les musulmans chiites. Mais les Tunisiens ne sont plus dupes, ils se méfient des islamistes et Ghannouchi n’aura jamais le plaisir de leur imposer «sa» guerre. Sauf s’il sera soutenu par quelque partie étrangère. Ce pourquoi Kaïs Saïed, qui détient tous les pouvoirs, a le devoir de protéger la sécurité de la Tunisie et des Tunisiens et de stopper la fuite en avant de Rached Ghannouchi qui vit dans le déni depuis le 25 juillet 2021 et qui est prêt à tout, voire au pire, pour que la machine à remonter le temps le ramène à ses jours de gloire.
Il est temps que ces agitations s’arrêtent, que les partis d’opposition cessent de regarder dans le rétroviseur et jouent leur rôle de force de pression pour la construction, non pour la destruction, et que l’on s’occupe de ce qui est plus important pour les Tunisiens qui viennent à manquer de pain, de semoule, d’huile, d’eau, de soins, d’écoles, d’hôpitaux, d’emploi, de pouvoir d’achat. C’est la vraie bataille à mener, ensemble, au plus vite, pour sauver ce qui peut l’être encore et tracer un nouvel avenir à la Tunisie. Le Secrétaire général de l’Ugtt et le président de l’Utica ont annoncé, dans une initiative inédite, être prêts à œuvrer ensemble pour cela, après avoir procédé à des révisions de leur vision de la situation économique et sociale. Noureddine Taboubi se disant prêt à examiner avec le gouvernement Bouden son programme de réformes sans a priori mais à condition que les familles pauvres ou appauvries ne supportent pas plus de charges ni plus de misère.
Il y a de fortes raisons de croire que cela est encore possible et même que « les prochains mois sont porteurs de bonnes nouvelles et d’espoirs » dans le domaine économique, selon l’ambassadeur de l’Union européenne en Tunisie, Marcus Cornaro, qui ajoute que «ces relations ne font l’objet d’aucun questionnement et qu’elles relèvent de l’acquis», tout en annonçant à l’occasion la visite prochaine en Tunisie du Commissaire européen au voisinage, Olivér Várhely. Un ton à l’optimisme qu’on retrouvera également chez le vice-président de la Banque mondiale pour la région Moyen-Orient et Afrique du Nord, « Monsieur bonnes nouvelles » qui se revendique réalisme, positivité et optimisme, «la devise de la Banque Mondiale», dit-il. A la question de savoir si la Tunisie a les capacités de sortir de la crise économique, Ferid Belhaj n’en doute pas. «La Banque mondiale accompagnera la Tunisie dans l’engagement des réformes, c’est notre travail». «La Tunisie n’est pas isolée», insiste-t-il en soulignant au passage que «le pessimisme ne sert à rien, il faut cesser de s’autoflageller et plutôt chercher une issue de sortie». Les Tunisiens aussi s’accrochent et s’empêchent de désespérer. Bien que 90% d’entre eux qualifient de catastrophique la situation socio-économique (dernier sondage Sigma Conseil), 50% des sondés demeurent optimistes et attendent que le gouvernement Bouden passe à l’action et commence à trouver des réponses aux attentes économiques et sociales.
Après sa visite à Bruxelles, le président Kaïs Saïed, qui a eu l’occasion de rencontrer de hauts responsables européens et de lever le voile sur sept mois d’incompréhension sur ses décisions qui ont marqué la période d’exception qu’il a décrétée depuis le 25 juillet 2021, devra penser à détendre l’atmosphère en s’ouvrant davantage sur les forces nationales qui soutiennent sa feuille de route et ne demandent qu’à contribuer à sortir la Tunisie du statu quo politique, économique et social. Il devra aussi davantage se soucier de résoudre les problèmes de pénurie de produits de première nécessité provoqués de toutes sortes, de la flambée des prix et du phénomène de la contrebande qui s’engraisse les poches en privant les Tunisiens des produits subventionnés qu’ils font passer par les frontières clandestinement pour les revendre aux commerçants libyens. Pour cela, c’est une task force multisectorielle qu’il devra mettre en place pour investir le terrain et les administrations et pour y effectuer les contrôles nécessaires avant de prendre les décisions qui s’imposent.
On veut y croire et espérer que les prochains mois apporteront le vrai printemps à la Tunisie, après les années sombres de ce qui aurait dû être appelé « l’Hiver arabe ».