Depuis plus de dix ans, plusieurs indicateurs du secteur touristique clignotent à l’orange.
Les retombées de la Révolution ainsi que les évènements terroristes ont provoqué la crise du secteur depuis 2011, tandis que l’attentat du musée du Bardo a engendré un véritable sinistre dans les réservations relatives à l’année en cours. Quelles sont les mesures prises par le ministère pour sauver la haute saison 2015 et, au-delà, comment restaurer l’image de la destination et améliorer la qualité du produit à long terme ?
Il n’est pas inutile de rappeler que le tourisme est un secteur majeur dans l’économie tunisienne, outre le fait qu’il joue le rôle de locomotive avec un effet d’entrainement sur l’ensemble de l’économie.
En effet, le secteur touristique contribue pour 7% au PIB, alors que les recettes touristiques représentent 19% de l’ensemble des recettes en devises du pays.
Le secteur est un grand pourvoyeur d’emploi avec 300.000 postes et assure la couverture du déficit de la balance commerciale à concurrence de 57%.
La Tunisie recèle un potentiel touristique énorme qui demeure inexploité. En effet, nous avons reçu 6 millions de touristes en 2014 alors que le Portugal, qui est comparable aux dimensions de notre pays, avec des atouts nettement inférieurs, en reçoit 10 millions par an.
Il faut dire que le secteur est ultra-sensible aux évènements politiques et sécuritaires, c’est ce qui explique en partie les difficultés actuelles de notre tourisme.
Une conjoncture morose
Selon les récentes déclarations des hôteliers, le nombre de nuitées enregistrées par les touristes européens a baissé de 21% durant les quatre premiers mois de l’année 2015. Plus grave encore, les réservations enregistrées par les touristes européens accusent une régression de 45% par rapport à 2014, qui est loin d’être une année de performances touristiques.
Il faut dire que la FTH n’a pas de portail électronique pour promouvoir le tourisme tunisien et encore moins un site de réservations de séjours touristiques sur Internet.
La ministre du Tourisme, Mme Selma Elloumi Rekik, lors d’une récente intervention à la tribune des trois Chambres de commerce mixtes tuniso-française, tuniso-britannique et tuniso-italienne reconnaît que le secteur est en grande difficulté. 17 mesures ont été prises pour essayer de redresser cette conjoncture défavorable, tandis qu’une stratégie en quatre axes a été mise en place pour le long terme.
Il faut dire, que deux régions touristiques entières sont sinistrées Tozeur-Nefta-Kebili pour le tourisme saharien et Tabarka-Aïn Draham pour le tourisme vert. A Tabarka, 12 hôtels sont fermés outre “la Cigale” un hôtel de grand luxe, soit plus de 60% de la capacité hôtelière.
L’Aéroport de Tabarka qui a coûté 20 MD lors de sa réalisation en 90, rien qu’en frais de fonctionnement, coûte 4 MD par an, alors qu’il ne fonctionne que deux mois par an, soit 20% de la capacité d’accueil. Le chômage bat son plein dans les deux régions touristiques, faute d’un transport aérien international régulier et d’une campagne de communication ciblée et porteuse sur ces deux sites à l’étranger.
Il faut dire que l’attentat contre le musée de Bardo est pour beaucoup : la ministre reconnaît que le secteur progresse au niveau mondial de 5% par an, qu’il génère, selon l’OMT, 9% des revenus dans le monde, mais qu’il est très sensible aux évènements politiques et sécuritaires.
Pourquoi la défaillance du marché français ?
La marché français a toujours été le premier marché émetteur pour la destination Tunisie, il a même atteint, il y a quelques années, 1,4 million de visiteurs par an, régressant ensuite à 1 million en 2010. Actuellement, il ne représente que 740.000 entrées en 2014 et pourrait dégringoler à 500.000 en 2015, bien qu’il y ait des prémices de reprise.
L’ambassadeur de France à Tunis, lors d’une récente rencontre avec la presse, reconnaît que l’opinion publique en France est très sensible aux évènements sécuritaires, lorsqu’il s’agit de vacances, surtout en raison des larges échos médiatiques consacrés aux évènements terroristes.
Il faut dire que sur le site du Quai d’Orsay, relatif aux foyers de tension dans le monde, la Tunisie est passée de l’orange au jaune, même pour le sud tunisien, malgré l’attentat du Bardo.
François Gouyette, ambassadeur de France à Tunis, propose l’organisation d’un Forum entre professionnels du tourisme tunisien et français (TO, hôteliers, agents de voyages) et autorités de tutelle pour trouver des solutions de nature à améliorer la fréquentation du site touristique tunisien.
Retour en force des Britanniques avec Easy Jet
Le marché britannique est devenu le deuxième marché après la France avec 425.000 visiteurs en 2014 après le recul des Allemands et des Italiens, et ce, bien que British Airways ait choisi de ne plus desservir la Tunisie par des vols réguliers.
En effet, selon l’ambassadeur de Grande Bretagne à Tunis, les flux des Britanniques ont progressé de 15% en 2013 et de 20% en 2014. Ils viennent sous forme de packages organisés par des TO, ils portent un intérêt particulier aux aspects culturels et viennent hors haute saison. Ils empruntent des vols low-cost avec Jet-Tours et Easy-Jet, cette dernière vient de faire atterrir ses avions à Monastir pour la première fois. Dorénavant ce sera deux vols par semaine.
Une stratégie à long terme avec 4 objectifs
Le tourisme souffre de plusieurs maux structurels dont le mono produit balnéaire qui accapare 80% des visiteurs durant 4 mois sur 12. C’est pourquoi, la diversification du produit est le premier objectif des pouvoirs publics : tourisme alternatif, médical, saharien, golfique tourisme de congrès et culturel sont des produits à renforcer et à développer.
Un autre objectif, à long terme, consiste à améliorer la qualité du produit touristique, car l’image de tourisme de masse a beaucoup terni l’image du tourisme tunisien. C’est pourquoi, le ministère s’emploie à repositionner le produit sur le plan stratégique et reclasser les hôtels selon des critères objectifs précis.
Il est important et urgent de reconstruire l’image de la destination Tunisie pour atteindre l’objectif de 10 millions de touristes en Tunisie en 2020. Pour cela, le ministère pense à une seule brochure par thème, plutôt que 20 actuellement, pour promouvoir le tourisme tunisien à l’étranger à distribuer partout à travers les chancelleries tunisiennes à l’étranger. Elle propose aussi de supprimer les visas pour visiter le pays (5 ont été réalisés avec les pays africains).
Dans le cadre de l’amélioration de la qualité du produit, le ministère se propose de renforcer le dispositif de la formation professionnelle qui comporte 8 centres par leur regroupement et par la formation des formateurs.
Endettement de l’hôtellerie : des solutions à la carte
Le projet de loi relatif à la société de gestion d’actifs ayant été rejeté par l’ARP car c’était plutôt une tentative de spoliation, la ministre du Tourisme reconnaît qu’il y a eu des abus de la part des banques de développement dans les années 80 et 90 qui ont pratiqué des taux d’intérêts presque usuriers. Une commission à laquelle participent toutes les parties prenantes, y compris la FTH et la FTAV, est en train de mettre au point un nouveau projet de loi qui sera prêt fin juin. Il sera basé sur le classement des hôtels en différentes catégories avec adoption de solutions appropriées pour chaque catégorie.
Parmi les solutions préconisées, la reconversion dans l’immobilier des hôtels qui n’ont jamais fonctionné et qui, à ce jour, n’ont rien remboursé.
D’autres, ceux qui ont remboursé une partie de leurs dettes mais qui ont souffert des différentes crises du secteur, pour ceux- là, il sera procédé au refinancement par recours au rééchelonnement des échéances avec allègement des charges d’intérêt.
Quelles alternatives à la défaillance des Européens ?
Nos amis algériens sont venus en masse en 2014 passer leurs vacances chez nous : 1,3 millions de visiteurs.
Lors de la récente foire du tourisme à Alger, le pavillon tunisien a eu beaucoup de succès et plusieurs accords ont été conclus entre agences de voyages des deux pays, ce qui promet une affluence record cet été.
Le gros problème qui se pose, c’est la qualité déplorable de l’accueil aux frontières. En effet, nos amis algériens viennent par la route, en famille, à travers trois points de passage principaux, or il n’y a aucune structure pour assurer leur accueil : aires de repos avec des équipements appropriés : restaurants, cafés, toilettes, stations-service-autos et parkings, boutiques… cela devient une urgence surtout lorsqu’il s’agit de la saison estivale. Pour le tourisme intérieur qui reste le parent pauvre qui n’a pas dépassé 8% de l’ensemble des nuitées, il y a encore beaucoup à faire.
D’abord, en finir avec l’idée visant à le considérer comme “une roue de secours” en cas de crise et d’en faire un produit à part entière surtout que le Tunisien est un client dépensier, il est donc en droit d’être exigeant. Il faut revoir les tarifs, trop élevés pour la bourse du Tunisien et il est urgent pour les hôteliers de revoir la qualité de l’accueil des Tunisiens dans leurs établissements.
Est-ce bientôt l’avènement du tourisme culturel ?
Le ministère du Tourisme affirme travailler en étroite collaboration avec plusieurs ministères comme celui de l’Intérieur pour assurer la sécurité des zones touristiques, des parcours et des sites historiques et celui du transport pour veiller à la facilité d’accès de nos visiteurs à la Tunisie.
A propos du tourisme culturel, une coopération étroite avec le ministère de la Culture et l’INP, s’impose. Toujours est-il que le ministère de Tourisme pense que notre pays est très riche sur le plan culturel avec 40.000 sites archéologiques et 150 musées dont 47 seulement sont visités.
La ministre a évoqué le recours à des experts de la Smithasonian fondation aux USA qui seraient spécialistes des musées pour effectuer des missions en Tunisie en vue de créer des musées virtuels aux USA pour promouvoir le tourisme tunisien.
Il reste que les USA n’étant pas réputés disposer d’un riche patrimoine historique n’ont pas vocation à favoriser l’instauration d’un tourisme culturel dans notre pays.
L’assistance technique française ou italienne, les premiers pays touristiques au monde, à forte consonance culturelle, serait plus efficace et appropriée, gratuite en plus.