Interview conduite par Taïeb Zahar
La saison touristique en Tunisie s’annonce prometteuse. Il faut dire que le gouvernement s’est investi pour que ce secteur stratégique puisse reprendre du poil de la bête. Les recettes touristiques cumulées ayant augmenté de 51% à la date du 10 juin 2022, elles viennent confirmer cette tendance à la hausse du secteur qui constituera une bouffée d’oxygène pour une économie agonisante.
Le ministre du Tourisme, Mohamed Moez Belhassine, revient dans cette interview sur les grands chantiers dans lesquels son département s’est déjà engagé. Le ministre met le doigt, dans ses propos, sur les problèmes auxquels il s’échine avec son équipe à trouver des remèdes.
La promotion du tourisme intérieur, la réhabilitation du secteur de l’hôtellerie frappé de plein fouet par la Covid-19 figurent parmi les axes de la stratégie adoptée dans ce sens. Il est également question de booster le secteur de l’artisanat, un vecteur de taille pour la promotion de la destination Tunisie.
L’occasion était également propice pour s’informer auprès de Moez Belhassine des « assises du tourisme tunisien » portant sur son développement à l’horizon 2035, un projet visant l’élaboration d’une stratégie de développement du secteur. Interview.
Comment se profile la saison actuelle à la lumière de vos récents contacts avec les TO et les partenaires du tourisme tunisien ?
Si la pandémie a lourdement impacté l’activité touristique, le bilan de 2021 a tout de même auguré une légère reprise à partir du deuxième semestre enregistrant une courbe ascendante au niveau des recettes touristiques avec +12.6 % d ’amélioration par rapport à 2020, du nombre des entrées des touristes internationaux avec une augmentation de +23% par rapport à 2020, et du nombre de nuitées de 36%, et qui, nous le souhaitons, atteindra sa vitesse de croisière d’ici 2023.
Dès le début de l’année 2022, on a observé des signes positifs. Du 1er janvier au 10 juin dernier, le nombre d’entrées touristiques a augmenté de 144% par rapport à la même période de l’année 2021, avec plus de 1.7 million de touristes toutes nationalités confondues, même si l’on est toujours à -45% du niveau de 2019. Le nombre de nuitées a également enregistré, au 10 juin 2022, une hausse de 163% et les recettes touristiques, selon la Banque centrale, sont de l’ordre de 1.1 million de dinars avec une progression de 51% par rapport à la même période de 2021. On peut dire qu’il y a une certaine reprise.
D’autre part, et concernant nos récents contacts avec les TO et les partenaires du tourisme tunisien, ils étaient très fructueux et positifs et nous avons eu de bons échos, notamment dans les marchés classiques, à savoir la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, l’Italie, l’Espagne, etc.
D’autre part, les mesures prévues dans le cadre du plan de relance qui fait la part belle au tourisme interne et durable, devraient permettre une reprise progressive de l’activité touristique à court et moyen termes. Entre l’émergence de nouvelles formes de tourisme basées essentiellement sur la diversification de l’offre et l’orientation vers un tourisme durable et responsable qui attire une clientèle diversifiée et l’impératif de répondre aux besoins d’une demande de plus en plus exigeante, le tourisme tunisien est en pleine mutation.
Mais je dois préciser que notre objectif pour 2022 est d’atteindre 50 à 60% des résultats obtenus en 2019. Cet objectif peut être réalisé grâce aux mesures qui sont prévues dans le plan de relance sur lequel s’est penché le ministère depuis 2021, et ce, en collaboration avec tous les acteurs du tourisme, notamment les professionnels et les divers départements ministériels.
Le scénario de relance prévoit un redémarrage de l’économie touristique qui serait envisageable à partir de 2022 avec un investissement important en matière de diversification de l’offre et de son adaptation aux nouvelles exigences de la demande touristique. Il prévoit, également, le retour des touristes algériens et aussi le retour des touristes russes. Ce sont des éléments importants pour la reprise du secteur et pour atteindre cet objectif.
La Covid a enfanté de nouvelles clientèles et de nouvelles attentes. Quels sont les contours de la politique promotionnelle que vous avez adoptés pour s’adapter à la nouvelle donne du paysage touristique mondial ?
Depuis mars 2020, le tourisme tunisien comme partout dans le monde a connu une crise imposée par la pandémie de la Covid-19.
Il va sans dire que cette crise sanitaire nous a, en effet, permis de faire une rétrospective et de repenser nos choix stratégiques, en entamant une série de réformes et d’actions adaptées à la conjoncture mondiale, en plus de l’instauration d’un plan de soutien en faveur du secteur, dans l’objectif de pérenniser nos valeurs sûres et dans la perspective d’une approche socio-durable, inclusive et humaine.
Nous avons parallèlement travaillé sur des axes stratégiques, à savoir :
– Reconstruire la « confiance» sur la destination touristique tunisienne et la repositionner
– Diversifier le produit touristique, en faisant des produits saharien, médical, culturel…, des axes de priorité en plus du développement du tourisme alternatif et durable
– Valoriser les particularités humaines, historiques, culturelles et climatiques de la Tunisie
– Adopter une nouvelle politique promotionnelle de la destination Tunisie basée essentiellement sur le DIGITAL et intensifier les efforts de communication «digitale» visant la clientèle européenne et les Tunisiens résidantà l’étranger
– Privilégier une campagne de promotion sur les marchés de proximité (marché algérien notamment)
– Miser sur l’événementiel, notamment avec la tenue de Ticad 8 à Tunis et le Sommet de la Francophonie à Djerba.
– Bien cibler les voyages presse afin d’améliorer la visibilité dans les marchés classiques et aussi émetteurs.
– Inviter des influenceurs et stars pour promouvoir les richesses naturelles, patrimoniales et culturelles de la Tunisie.
Le tourisme intérieur ne cesse de s’ériger comme une alternative sérieuse à même de combler un éventuel déficit des marchés traditionnellement émetteurs. Qu’en est -il ?
Hormis les axes cités plus haut, nous nous sommes attelés au développement en continu du tourisme interne pour en faire une composante essentielle de l’offre touristique.
Ce marché, dont la part des nuitées est actuellement de 57%, est traité de la même manière que les marchés touristiques traditionnels européens et ceux des pays limitrophes. Un budget conséquent de publicité et de promotion lui a d’ailleurs été consacré.
L’objectif attribué à ce secteur est de l’ordre de 50% de l’offre touristique nationale. Ceci a permis de limiter les répercussions négatives de la pandémie de la Covid-19 sur la rentabilité du secteur de l’hôtellerie et du tourisme en général.
Le secteur de l’hôtellerie et le parc roulant du transport touristique ont été fortement impactés par la crise sanitaire. La remise en état de cet outil de production pose problème pour les professionnels du secteur. Avez-vous sensibilisé les bailleurs de fonds quant à la nécessité de soutenir les opérateurs du secteur à ce sujet ?
C’est vrai, le secteur de l’hôtellerie et le parc roulant du transport touristique ont été fortement impactés par la crise sanitaire qui a causé l’arrêt total de l’activité touristique durant presque deux années. La reprise de l’activité nécessite sans conteste une remise en bon état de cet outil de production.
Je rappelle que dans le cadre du plan de relance immédiate, un des axes concerne la préservation du tissu économique et social. A cet effet, les mesures de soutien au secteur, qui ont été décidées en 2020, ont été prolongées en 2021 et en 2022. On parle notamment de la prise en charge par l’Etat de la cotisation patronale et du maintien de l’aide sociale de 200 dinars au profit du personnel du secteur.
On compte également faciliter l’accès aux dispositifs fiscaux et sociaux déjà engagés, mais aussi l’accès au financement pour les établissements touristiques afin de bien préparer la saison à travers la mise à disposition des crédits de campagne et des facilités de financement.
Et nous œuvrons également avec les bailleurs de fonds, à fournir l’aide nécessaire au secteur à travers les différentes actions de promotion et l’encouragement à l’investissement et aussi à la formation et au renforcement des capacités du personnel opérant dans le tourisme afin de garantir une bonne qualité de service pour assurer une bonne relance.
Sur le plan stratégique, vous venez de lancer les assises du tourisme tunisien portant sur son développement à l’horizon 2035. Qu’en est-il exactement ?
En effet, sous la présidence de Madame la Cheffe du gouvernement, le ministère du Tourisme a lancé les assises du tourisme tunisien (ATT) visant l’élaboration d’une stratégie de développement du secteur à l’horizon 2035 et ce, avec l’appui technique de « USAID » et le concours de l’ITES avec lequel nous avons signé récemment une convention de partenariat qui permettrait notamment d’assurer la cohérence entre la stratégie du tourisme et les autres stratégies sectorielles du gouvernement en relation avec l’industrie du tourisme.
Cette stratégie, qui repose sur 4 axes majeurs, à savoir l’investissement, la diversification du produit, la commercialisation et la compétitivité, vise :
– La transformation du tourisme tunisien face aux grandes tendances mondiales
– Le repositionnement de la destination TUNISIE dans le bassin méditerranéen face à une concurrence acharnée et rude
– Le renforcement de sa capacité de résilience dans un contexte international marqué par les crises (pandémie Covid, conflit russo-ukrainien…)
– La mise en place d’une approche gouvernementale/ interministérielle pour permettre de faire face aux défis et permettre l’implémentation de la stratégie.
Pour ce qui est du process des ATT, nous venons de clôturer le 23 mai dernier la tournée des workshops régionaux lancée le 28 mars à Tunis et couvrant ainsi l’ensemble du territoire (24 gouvernorats ). Ces ateliers ont mobilisé au total 669 participants de tout bord émanant des secteurs public et privé et de la société civile.
Ces rencontres ont notamment eu le mérite de confirmer le choix des axes proposés mais aussi de dégager des priorités communes aux régions. On a enregistré un intérêt particulier pour les thèmes «diversification& investissement», la préoccupation environnementale, une révision du cadre réglementaire visant l’investissement et la gestion de projets et l’importance de l’innovation, de la digitalisation et de la durabilité et leurs intégrations dans la stratégie nationale.
Il est à rappeler que la prochaine étape concerne le lancement de la consultation en ligne et ce, le 28 juin 2022 et sera dédiée aux Tunisiens, aux différents partenaires du secteur, ainsi qu’aux Tunisiens résidant à l’étranger pour présenter leurs suggestions et opinions. La nouvelle stratégie de développement du secteur du tourisme tunisien à l’horizon 2035 sera lancée officiellement le 27 septembre prochain.
De par la transversalité du secteur touristique, vous êtes certainement appelé à mobiliser vos collègues membres du gouvernement en vue de favoriser des synergies profitables au secteur…
Le secteur du tourisme tunisien est plus qu’un secteur, c’est la locomotive de l’économie et du développement du pays. C’est un des piliers de l’économie nationale. Transversal, il touche plusieurs secteurs dont notamment le commerce, l’artisanat, le transport, l’agriculture, la santé, la culture, les services…
Le tourisme tunisien est, également, un levier de développement que ce soit dans les zones côtières ou dans les régions de l’intérieur du pays ; il permet la création de la richesse et développe une croissance économique durable.
Compte tenu de cette importance, nous travaillons en parfaite synergie avec les ministères concernés afin de faire avancer ensemble les projets en commun ou dans lesquels ils interviennent. Et je saisis cette occasion pour remercier mes collègues les ministres concernés pour leur parfaite collaboration, ce qui nous a permis de faire avancer plusieurs projets et « chantiers » trouvés en attente.
Comment voyez-vous le rôle de la profession dans la stratégie de développement du tourisme tunisiens ?
Le tourisme est une industrie, un secteur qui collabore avec tous les acteurs publics (transport, environnement, intérieur…) et les acteurs privés (fédérations et autres…). Son développement ne peut se faire qu’avec la profession.
Le rôle du privé est essentiel et même évident car nous ne pourrons avancer, que ce soit sur la stratégie nationale ou notre quotidien, sans la participation effective des professionnels du secteur, toutes catégories d’acteurs confondues.
Les Fédérations du tourisme ont été toujours nos partenaires lors de la mise en place de nos plans stratégiques ou lors de nos choix de priorités, touchant le secteur de près ou de loin.
Rappelons que les fédérations professionnelles sont parties prenantes dans le process et représentées au sein du « working group » chargé de l’élaboration de la stratégie de développement du secteur à l’horizon 2035.
Dès le départ, nous avons souligné l’importance d’une approche participative et la nécessité de renforcer le PPP et c’est grâce au dialogue et à la concertation que nous pouvons élaborer, puis asseoir la stratégie nationale, chacun selon ses responsabilités et ses attributions.
L’artisanat dont vous avez la charge souffre de plusieurs maux. Qu’en est-il et quelle stratégie adopteriez-vous pour lui assurer un développement durable ?
L’artisanat constitue l’un des secteurs les plus dynamiques de l’économie de la Tunisie et l’une des activités professionnelles les plus anciennes et les mieux réparties à travers le pays.
Le potentiel du secteur de l’artisanat, qui est caractérisé par un savoir-faire spécifique, joue un rôle stratégique dans la croissance et l’évolution de l’économie tunisienne, puisqu’il contribue à hauteur de 5% au PIB.
Le secteur compte environ 600 entreprises exportatrices de produits artisanaux. Elles emploient 350.000 artisanes et artisans avec un taux d’insertion des diplômés dans ce secteur de 10%. Une tendance confirmant que les jeunes diplômés s’orientent de plus en plus vers ce secteur.
Le secteur de l’artisanat est aussi un vecteur pour la promotion de la destination Tunisie, la vente en ligne se présente comme l’une des solutions aux difficultés financières rencontrées par les artisans à cause de la pandémie de la Covid-19.
Cependant, le secteur de l’artisanat en Tunisie, comme le tourisme et autres secteurs économiques, est sinistré et durement impacté suite aux problèmes et difficultés financières rencontrés à cause de la pandémie de la Covid-19.
Pour atténuer cet impact négatif, le gouvernement a mis en place des mesures de soutien au profit du secteur de l’artisanat.
L’année 2022 sera celle du démarrage des grandes réformes pour le secteur et pour l’Office national de l’artisanat, grâce à l’adoption d’une approche intégrée de développement des compétences et de formation professionnelle spécifique à l’artisanat afin de combler les besoins croissants du secteur en ressources humaines qualifiées qui constituent un des éléments majeurs du déclin du secteur.
A ce titre, une panoplie de mesures ont été prises dans le cadre de la mise en œuvre des grands axes du plan national de développement de l’artisanat ( PNDA) visant à booster le secteur par le biais de plusieurs projets structurants.
L’artisanat d’aujourd’hui se marie au design et à la mode pour inventer de nouveaux objets qui égaieront notre quotidien tout en préservant le côté authentique de l’artisanat tunisien.
Le secteur de l’artisanat se porte beaucoup mieux après la reprise du tourisme post-covid et on compte aller plus loin en vue de renforcer le poids de ce secteur dans l’économie et faire augmenter sa contribution au PIB.
La nouvelle approche est axée aussi sur toute une chaîne de valeur qui prend en considération la création et la qualité. Notre produit a longtemps manqué de visibilité ainsi que de mécanismes d’accompagnement et d’appui et nous avons mis en place une stratégie adéquate pour assurer plus de visibilité à travers notamment le développement des ventes en ligne et la participation des artisans à divers salons et expositions internationaux pour exposer et vendre leurs produits directement.
Sur un autre volet, et souffrant de la contrefaçon, le produit artisanal tunisien sera beaucoup plus protégé à l’avenir grâce à un label de qualité. Le nouveau label va déterminer la traçabilité et valoriser encore plus le produit. Ceci est aussi de nature à faciliter son exportation au niveau des services douaniers.