Le président américain Joe Biden a convoqué pour les 9 et 10 décembre prochain, à l’occasion de la célébration de la journée internationale des Droits de l’Homme, un sommet sur la démocratie auquel seront conviés des chefs d’Etat et de gouvernement ainsi que des représentants de la société civile. L’objectif assigné à ce sommet annoncé en août 2021 consiste à échanger sur les défis auxquels est confrontée la démocratie dans le monde, notamment en matière de lutte contre l’autoritarisme et la corruption et de promotion du respect des droits humains. En raison des contraintes épidémiques qui sévissent encore, le sommet se déroulera cette année en mode virtuel avec la promesse que l’an prochain, ses assises auront lieu en présentiel.
Théoriquement, tous les pays peuvent prétendre y être invités, car ils se disent tous démocrates, ils combattent tous la corruption et font ce qu’il faut ou ce qu’ils peuvent pour respecter les droits de leurs administrés. Bien sûr, ceci est loin d’être l’avis des gendarmes du monde sur la question, à savoir les Etats-Unis d’Amérique et l’Union européenne qui sont intransigeants avec les régimes autoritaires et particulièrement ceux qui font de la résistance à l’ordre établi par ces puissances sur les plans économique et géostratégique. Et voilà qu’au courant de la semaine écoulée, un tweet de l’ancien ambassadeur américain en Tunisie, de 2009 à 2012, Gordon Gray, vient confirmer la règle et semer la zizanie dans un climat politique des plus tendus. Selon Mr Gray, connu pour être un fervent défenseur de l’islam politique, notre pays ne serait peut-être pas invité au sommet de la démocratie. Ce n’est qu’un tweet et ce n’est qu’une déclaration personnelle, mais on peut facilement deviner la raison, au cas où le tweet s’avèrerait être une info : le coup de force du 25 juillet qu’aucune tentative pour faire avorter, surtout depuis les Etats-Unis par les nahdhaouis et leurs alliés, n’a abouti jusqu’à ce jour. Faut-il s’en mordre les doigts et espérer que le ciel ne nous tombe pas sur la tête ? On aurait bien des raisons de craindre à l’avenir d’autres signes de rejet et de mécontentement venant de la Maison Blanche en réaction à l’attitude « rebelle » de notre président et à son discours pas du tout diplomatique dirigé vers les bailleurs de fonds et les agences de notation. Sauf que le « 25 juillet », ce sont les Tunisiens qui l’ont voulu et qui l’ont fêté. La démocratie de l’islam politique que défend Mr Gordon Gray, les Tunisiens en ont pâti pendant dix ans et ils n’en veulent plus. Alors, s’il faut choisir entre assister à un sommet, fut-il à Washington, et sortir son pays du chaos, il n’y a vraiment pas photo. La question ne se pose même pas. Certes, notre président rendrait service à la nation en apprenant à respecter les codes et les règles qui régissent le fonctionnement des Etats et les relations internationales, mais il n’a pas le droit de sacrifier la volonté du peuple pour se plier aux desiderata de nos partenaires étrangers. D’autant que les vétérans de l’islam politique qui ont nui à la Tunisie n’ont pas encore rendu des comptes, ils n’ont pas été jugés pour leurs crimes politiques, économiques, électoraux, sociaux, etc. Les Tunisiens ne sauraient tolérer leur retour au pouvoir de sitôt et sans reddition des comptes.
L’appareil judiciaire assume une partie du temps perdu. Il sort affaibli par une décennie de mainmise implacable des partis politiques sur son fonctionnement et sa mission. Il n’y a plus de secret autour de cela. Kaïs Saïed a appelé puis exhorté les magistrats à assumer leur responsabilité pour donner les moyens à la Tunisie de tourner la page de la démocratie factice dans les plus brefs délais et redémarrer son processus démocratique sur des bases saines et solides. En vain. Il a fallu qu’il eût recours au traitement de choc en menaçant de réformer, voire de dissoudre, le Conseil supérieur de la magistrature pour que la corporation se remette en selle. Du moins, c’est ce qu’on espère. Le CSM a, en effet, dans les jours suivants, traduit en conseil de discipline nombre de magistrats et proposé à la corporation un projet de code déontologique pour examen. Ce qui est de bon augure, même si ces actions auraient dû être engagées bien avant et non sous la contrainte. Et maintenant ? Les Tunisiens demandent justice et souhaitent la reddition des comptes dans les grosses affaires de terrorisme, de détournement des biens publics et de corruption d’Etat.
Les Tunisiens attendent beaucoup du président Kaïs Saïed. Mais celui-ci n’avance pas, il travaille seul et subit trop de pression. Même les voix qui appelaient à lutter fermement contre la corruption se sont tues et ce sont d’autres qui se sont élevées pour tout démentir. Même les deniers publics consacrés aux projets n’auraient pas été détournés mais stockés dans les comptes bancaires des communes, des gouvernorats et du Trésor. Si en cette période de concentration de tous les pouvoirs entre ses mains, Kaïs Saïed ne frappe pas fort pour faire avancer tous ces dossiers et rétablir la confiance en les institutions de l’Etat, pour réhabiliter la valeur du travail et relancer l’économie, alors il vaudra mieux privilégier les intérêts économiques et financiers de la Tunisie avec ses partenaires traditionnels et expliquer aux Tunisiens qu’un pays souverain ne tend pas la main. Cette situation offusque les Tunisiens, mais ils n’arrivent pas encore à unir leurs volontés et leurs forces pour s’en sortir.